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Martin Amis : « Dans mon roman, je vise les tabloïds »


Martin Amis : « Dans mon roman, je vise les tabloïds »

martin amis lionel asbo

Les traits fatigués mais la chemise impeccablement repassée, Martin Amis, de passage en France à l’occasion des Assises Internationales du roman, reçoit dans les salons de Gallimard. Je fixe du regard son gilet sans manches en laine bleu marine qui lui donne l’allure d’un prof. Suis-je vraiment en face du « Mick Jagger » de la littérature britannique ? J’aurais aimé commencer l’interview par « que vous arrive-t-il ? ». Pourtant je me lance, en le questionnant sur la réception mitigée de  Lionel Asbo .
Paulina Dalmayer : Comment expliquez-vous le fait que votre dernier roman ait trouvé un écho favorable en France alors qu’il a été si mal accueilli par la presse anglo-saxonne ?
Martin Amis : Je ne suis pas tout cela de très près. Mais en effet, l’Angleterre s’est montrée très sensible par rapport à ce livre.
Faudrait-il y voir le climat d’anti-intellectualisme propre à la Grande Bretagne, que vous avez dénoncé à plusieurs reprises ?
Il y a une grande tradition littéraire en Grande Bretagne et très probablement les gens ont en assez de tous ces écrivains qui les font se sentir moins intelligents qu’ils croient l’être. Aux Etats-Unis l’attitude du public envers les écrivains est beaucoup plus généreuse. Mais c’est un pays jeune, composé de communautés plus diverses. Les Américains estiment que les écrivains peuvent les aider à comprendre leur propre pays. À l’opposé, les Britanniques ne ressentent pas ce besoin.
Ce rejet aurait-il peu ou prou à voir avec une sorte de populisme ou d’antiélitisme ?
 En ce qui me concerne, il s’agit d’un populisme génétique dû au fait que mon père était un écrivain très populaire. Alors je suis comme le Prince Charles… Supposé avoir bâti sa réputation et sa carrière sur celles de son père sans jamais avoir fait quoi que ce soit de valable par lui-même.
Votre dernier roman est une charge lourde contre la culture des médias capable d’élever une petite racaille comme Lionel Asbo au rang de célébrité. Reste qu’avec vos amis Salman Rushdie et Ian McEwan, vous occupez non seulement les rubriques littéraires de titres prestigieux mais aussi les unes de la presse people. Croyez-vous avoir une position confortable pour critiquer les médias ?
Dans mon livre je vise les tabloïds. Mais quand vous vous en prenez à un titre, même de la pire espèce, c’est l’ensemble des journalistes qui se montre hostile. Lorsque j’ai commencé ma carrière, la presse ne s’intéressait pas aux écrivains. À la fin des années 1980 les journaux sont devenus très volumineux et des pages entières ont été dédiées aux joueurs de golf, aux coiffeurs ou à l’aristocratie. Puis est venue la mode des écrivains. Désormais, la presse britannique pense qu’elle nous a fait et que nous lui devons tout. La moindre critique à l’égard des médias venant de notre part suscite des crispations terribles chez les journalistes.
La culture des médias aurait-elle précipité le déclin de l’Angleterre dont vous faites le constat dans votre dernier roman ?
MA : Entre autres… Le déclin de l’Angleterre a commencé pendant la Seconde guerre mondiale. Nous parlons des Trois Grands mais en réalité au moment de la conférence de Yalta, Churchill n’était plus tout à fait un « grand ». La guerre a ruiné la Grande Bretagne. La perte de l’Inde et l’effroi que cela a provoqué chez les Britanniques sont des facteurs importants de sa décadence.
Pourquoi ne trouve-t-on pas d’échos de frustration ou de colère dans la classe inférieure dont est issu Lionel ?
D’accord, Lionel n’est pas révolté. Mais il ne faut pas oublier le personnage de Des, tout aussi important. Des a la capacité d’outrepasser ses frustrations de manière constructive. C’est probablement le plus beau personnage que je n’ai jamais crée.  Lionel Asbo  étant davantage un conte moderne qu’une satire sociale, mon petit héros accomplit de grandes choses à l’instar des personnages dickensiens. Il y a beaucoup de magie dans tout cela…
Pourquoi avoir inventé la ville de Diston plutôt que de situer votre roman dans une vraie banlieue ?
Cela relève du subliminal et de l’instinctif. Certaines décisions s’imposent plus qu’on ne les prend. Je savais que j’avais besoin d’un personnage comme Lionel, d’une ville comme Diston et d’une famille dysfonctionnelle de façon exagérée, caricaturale.
Vos méthodes de travail ne sont pas celles de Tom Wolfe ! Mais en toute honnêteté… N’auriez-vous pas simplement eu peur d’enquêter dans des banlieues ?
Non. Je préfère imaginer qu’observer. Tom Wolfe, que je lis avec beaucoup de plaisir, reste très connecté à la réalité, très dépendant aussi de l’enquête journalistique. Cela suppose que la vie réelle est plus intéressante que la fiction. Je ne suis pas d’accord. J’aime la liberté de la fiction.
Puisque vous évoquez la liberté, parlons de la liberté des mœurs. Vous semblez assez déçu de la révolution sexuelle des années 60…
Pas du tout. Je pense que c’était un phénomène inévitable et nécessaire. Cependant beaucoup de gens n’ont pas su se débrouiller avec la liberté. Ce fut le cas de ma sœur, morte à l’âge de 46 ans. Elle aurait été mieux dans une société victorienne, ou même islamique, où les règles sont préétablies et très strictes… Ma sœur est allée trop loin parce que la liberté sexuelle c’était trop pour elle.
Et comment était-ce  pour vous ?
Super.
De manière générale, la révolution sexuelle dont vous faites le fond de toile de votre roman La veuve enceinte, qui sort actuellement en livre de poche, aurait été plus difficile pour les femmes que pour les hommes ?
Sans aucun doute. Les choix difficiles revenaient aux femmes : comment fait-on, alors ? Suit-on la façon de se comporter des garçons ou cherche-t-on une autre voie qui pourrait être la nôtre? Ce qui s’est passé, c’est que pendant les cinq premières années de cette révolution, il n’y avait pas de différence entre le comportement des femmes et des hommes.
Qu’en reste-t-il ? Qu’avons nous reçu en héritage ?
Quoi qu’on dise nous avons plus de liberté que nous n’en avions avant 1968.
Il n’y a pas un risque à confondre liberté sexuelle et pornographie ?
Passé un certain âge il est indécent de parler de la sexualité des jeunes gens… Mais il y a un peu de réflexions à ce sujet dans Lionel Asbo. J’imagine que les jeunes tiennent leur connaissance de la sexualité de la pornographie diffusée et accessible sur Internet. C’est incroyablement déshumanisé et, à la fin, toujours très humiliant envers les femmes.
D’autre part nous avons affaire à la montée du puritanisme…
Et qui va vite s’user. Prenez l’exemple du Parti républicain aux Etats-Unis… Il y a chez les républicains des figures assez extraordinaires, pour n’évoquer que Ron Paul. Il se définit lui-même comme libertarien et en effet il en est un, à l’exception des questions concernant les femmes, le mariage, la famille, le droit à l’avortement… Il ne pourra pas l’emporter. Tout simplement parce que sa position n’est plus valable sur le plan social car trop anachronique.
Le succès de la Manif pour Tous en France incite à penser le contraire…
Je trouve ça assez étrange. En Grande Bretagne l’opposition au mariage gay a été très faible.
N’êtes-vous pas tenté d’écrire sur ces changements ?
Pouvoir décider sur quoi écrire relève à mes yeux de la perfection. Je termine actuellement un roman sur l’Holocauste parce que ce sujet est venu à moi. Je n’ai eu d’autre choix qu’obéir.

*Photo: Wikimedia Commons



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Paulina Dalmayer est journaliste et travaille dans l'édition.

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