Disparition à l’âge de 94 ans de l’acteur qui incarna, entre autres, le voisin médecin dans la série « Maguy » à la télévision.
La célébrité est souvent injuste. Réductrice ou grossissante. Elle ne vous appartient pas. Vous n’en êtes pas propriétaire, simplement locataire, le plus souvent précaire avec des mois d’arriérés. Elle file à son propre rythme, n’écoute personne, s’insinue dans la mémoire du public et n’en démord plus. Elle a décidé de vous mettre dans une case et vous n’en sortirez pas. C’est une geôlière féroce. Emprisonné à double-tour, l’acteur ne répond plus de ses actes. Quoi qu’il fasse, il est tributaire de son image. La popularité fait fi des prix d’interprétation majeurs et des rôles totémiques, de l’adoubement des pairs ou de la tendresse des cinéphiles. Elle se moque des modes vertueuses et des cercles présomptueux. Elle a son système de classification et de valeurs. Avant tout, elle déteste le désordre.
Maguy le jour, Maguy la nuit…
Les comédiens sans port d’attache et les carrières en dents de scie lui provoquent des maux de tête. C’est pourquoi Henri Garcin sera éternellement l’ex-interne des hôpitaux de Paris de la série « Maguy », comédie ménagère des années 1980 avec Rosy Varte et Jean-Marc Thibault. L’acteur né en 1928 à Anvers aura signé plus d’ordonnances que d’autographes depuis son apparition dans le petit écran sur feu Antenne 2. Il était diablement crédible dans son rôle de voisin médecin au cœur d’artichaut. Il en avait la prestance et la voix, le charme bourgeois et le comique feutré. Combien de fois lui a-t-on demandé des nouvelles de Marthe Villalonga et s’il était satisfait des travaux de voirie sur la commune du Vésinet ?
Dans la vraie vie, il faisait ses courses au Monoprix de la rue de Rennes sous l’œil vigilant de l’écrivain Arnaud Guillon, pince-sans-rire natif de Caen. Les deux partageaient le goût de la dérision en veste de tweed et des lunettes faussement studieuses. Henri Garcin fut le toubib préféré des Français quand la médecine n’était pas encore devenue un art divinatoire et enfermatoire. Nous aimions ce théâtre de boulevard filmé pour l’immense talent des acteurs présents au générique et aussi pour son charme un peu démodé. La désuétude est en soi une forme de résistance. C’était déjà, à l’orée d’une mondialisation sauvage, un dernier plaisir avant liquidation générale du pays. Après, ce ne fut que ricanements et injonctions, dénonciations et vulgarité, victimisation et pleurnicheries à la pelle. « Maguy » se regardait en famille dans la quiétude des foyers, au trot de percheron, sans fracas, quelques bons mots d’auteurs égrenaient les épisodes et les scènes de comédie se (sur)jouaient avec la connivence des téléspectateurs. Nous étions complices, chaque dimanche soir, de leurs gentils désaccords et des aléas d’une vie somme toute paisible. Nous n’attendions pas que « mam’ Maguy » bouleverse la société avec des prises de parole ridicules. Quelques minutes de sourire, à l’abri du tumulte extérieur avant de retourner à l’école le lendemain suffisaient à notre bonheur.
Une place à part
Dans les HLM de banlieue, on rêvait aux pavillons cossus recréés en studios. En province, on louait l’élégance apprêtée de Rosy qui fut longtemps le modèle-phare des commerçantes de France. Et l’on proposait toujours un apéritif au bon docteur qui sonnait à l’improviste. Cette bienveillance peut amuser les esprits amers qui voient partout les traces rampantes d’un monde réactionnaire. Elle nous renvoie à notre enfance molletonnée et à une douceur qui est le propre des peuples heureux.
Henri Garcin a donc une place à part dans le bric-à-brac de nos souvenirs. Bien sûr, il ne fut pas seulement médecin de télévision. Il fut un acteur complet au théâtre et au cinéma. Pour autant cette célébrité cathodique n’est pas mensongère. Elle nous renseigne sur le caractère de l’Homme et sur les volte-face d’un métier où la ligne droite est le plus court chemin vers l’indifférence. Henri Garcin ne labourait pas le même sillon. Par choix ou par nécessité, personne ne maîtrisant sa destinée dans les professions aventureuses, il faisait le grand écart idéologique, ce qui est un régal pour les honnêtes gens. Vous pouviez le voir chez Truffaut et Philippe Clair, chez Agnès Varda ou Michel Boisrond, et comble du snobisme dans « Marie Pervenche ». Cette filmographie est tout à son honneur. Je me souviens de lui chez Michel Vianey et Michel Mitrani, en résistant chez Rappeneau et aussi en conducteur de DS taguée chez Kurys. C’était, il y a si longtemps. Et dans « Trocadéro bleu citron » en 1978, à la manière d’un Jacques François drolatique, il excellait dans la haute administration publique et les autorités galonnées. Ah si nos élites avaient pu lui ressembler…
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !