Il y a une semaine, Boris Johnson survivait à un vote de défiance des députés de son propre parti. Quelles sont les motivations des Conservateurs qui s’opposent au Premier ministre, et quelles sont les véritables conséquences de ce résultat? L’explication de Jeremy Stubbs.
Le matin du lundi 6 juin, au lendemain du weekend du jubilé, le président du Comité 1922, qui regroupe tous les députés conservateurs non-ministériels, annonçait la tenue d’un vote de défiance à l’égard du chef du parti et Premier ministre. Le soir, le même président annonçait que BoJo avait gagné le vote, recevant 211 votes sur 359. Cette victoire est loin d’être un triomphe. Dans la même situation, Margaret Thatcher et Theresa May ont eu des scores similaires ou meilleurs, mais leurs jours étaient comptés. Il y a toutes les raisons de croire qu’il en va de même pour Boris Johnson. Dans les milieux politiques et médiatiques en Europe, ceux qui condamnent le Brexit et voient en Johnson un véritable démon populiste sont en train de jubiler face à ses difficultés ; tandis que ceux qui voient dans le Brexit l’échec d’un européisme galopant et font l’éloge du leader britannique sont soulagés par sa survie. Les deux groupes ont tort.
Ô Pyrrhus, où est ta victoire?
Car l’issue de ce vote est le pire des résultats. Si une majorité des députés avait condamné Boris Johnson, ce dernier aurait été contraint de se présenter (ou non) à une nouvelle élection à la direction du parti et, en toute probabilité, un nouveau chef, bénéficiant d’un nouveau mandat, l’aurait remplacé. En revanche, si une majorité plus importante avait soutenu le Premier ministre, il serait sorti de l’épreuve mieux armé qu’auparavant pour faire face à tous les défis qui menacent le Royaume Uni en ce moment. Cette victoire à la Pyrrhus maintient en poste un leader déjà affaibli en l’affaiblissant encore plus.
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Qu’est-ce qui était – et continue à être – reproché à Boris Johnson ? Au-delà des images et anecdotes concernant la culture de fête qui aurait eu cours au 10 Downing Street pendant le confinement, ce sont les réponses pour le moins louvoyantes du Premier ministre aux questions du Parlement qui ont mis en doute son honnêteté et sa crédibilité. Si on y ajoute un certain nombre de scandales où régnait un parfum de corruption (ou, selon le terme familier en anglais, « sleaze »), on peut comprendre pourquoi sa cote de popularité personnelle est au plus bas dans les sondages. Les députés conservateurs qui ont voté contre lui l’accusent d’abord d’avoir terni son image de chef ainsi que celle du gouvernement. En même temps, la nécessité constante où il se trouve de gérer toutes ces affaires a visiblement sapé sa capacité à se focaliser sur les problèmes graves qui affligent le pays. En ce moment, le taux de l’inflation est à 9% et, selon les prévisions, même s’il devrait baisser l’année prochaine, il restera à 5%. La livre sterling est très faible, ce qui augmente le prix de l’essence. Les factures d’énergie des Britanniques risquent d’augmenter de 46% au cours de l’hiver prochain. Et la prévision de croissance de l’OCDE pour le Royaume-Uni en 2023 est de 0%. Le Brexit a sans doute contribué aux difficultés économiques du pays mais il est loin d’en constituer la cause majeure.
Le Premier ministre, qui refuse de démissionner, pourra-t-il donner toute son attention à cette problématique complexe ? Il y a deux échéances qui doivent le préoccuper. D’abord, le 23 juin, il y aura deux élections partielles, l’une dans le nord de l’Angleterre, dans une de ces circonscriptions traditionnellement travaillistes gagnées par les Conservateurs en 2019, et l’autre dans une circonscription traditionnellement conservatrice du sud. C’est un test à la fois pour le « Red wall » et le « Blue wall » (le mur rouge, à gauche, et le mur bleu, à droite). Selon toutes les prévisions, le Parti conservateur subira deux défaites. Les partielles ont été provoquées par des méfaits sexuels de députés conservateurs, l’un condamné pour agression et l’autre forcé d’avouer qu’il a regardé des vidéos pornographiques sur son téléphone dans la Chambre des communes. Tout cela est loin d’arranger l’image du gouvernement sur le plan moral. L’autre échéance, encore plus préoccupante pour Boris Johnson, est le rapport qui sera publié à l’automne par la Commission éthique du Parlement et qui statuera sur la question de l’honnêteté du Premier ministre dans le Partygate. Un verdict négatif pourrait bien signaler la fin du mandat de Boris Johnson.
La quadrature du cercle?
Le Premier ministre a essayé de reprendre l’initiative en annonçant une nouvelle politique permettant aux Britanniques qui louent un logement social d’en devenir les propriétaires et en indiquant qu’il va réduire les impôts – mais sans spécifier quand. En dehors de l’efficacité de telles mesures, le problème fondamental reste celui d’un chef du gouvernement affaibli. Cela s’exprime de deux manières. D’abord, l’exécutif et surtout les fonctionnaires de l’État sont peu motivés pour réaliser les projets d’un Premier ministre fragilisé : « A quoi bon ? », se disent-ils. « Il sera probablement remplacé dans un avenir proche par un autre leader qui aura ses propres projets et nous dira de changer de cap. » Les mesures vigoureuses que Johnson a besoin de mettre en œuvre pour surmonter les difficultés du pays et réaffirmer sa légitimité ne seront appliquées que lentement et mollement.
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L’autre conséquence d’un affaiblissement du chef est la dépendance de ce dernier par rapport à certaines factions qui, en échange de leur soutien, demandent des concessions. Les premiers signes suggèrent que Boris Johnson est désormais sous l’influence d’un groupe de ministres en faveur d’une ligne dure concernant le Brexit. Soyons clairs : le vote de défiance n’a pas été initié par d’anciens opposants au Brexit cherchant à se venger de BoJo. Lors du scrutin, les députés anciennement pro et anti-Brexit se sont trouvés des deux côtés. En revanche, certains des ministres fidèles à Johnson, dont la ministre des Affaires étrangères, Liz Truss, sont plus intransigeants que le Premier ministre quant aux négociations avec l’UE sur l’application du Protocole sur l’Irlande du Nord. Aujourd’hui, le gouvernement introduit un projet de loi pour déroger à ce Protocole qui a été signé lors de la finalisation de l’Accord de retrait.
Or, les problèmes les plus urgents du Royaume-Uni, qui sont d’ordre économique, n’ont rien à voir avec ce Protocole. Ce dernier est loin d’être la préoccupation majeure des Britanniques. Le projet de loi ne peut être qu’une distraction de plus au moment où on a besoin d’une focalisation étroite sur la question du coût de la vie. Le gouvernement de Boris Johnson a été élu pour remplir une mission paradoxale : il devait réaliser le Brexit au nom d’une vision libérale du commerce international tout en protégeant les classes ouvrières du nord de l’Angleterre des effets de la mondialisation. Si Johnson n’apporte pas de solution rapide et efficace aux épreuves économiques que subissent surtout ses électeurs ouvriers, ce sera non seulement sa carrière de Premier ministre qui en pâtira mais sa conception du Brexit, et donc l’héritage qu’il laisse à la postérité. Cet été, les vacances risquent d’être courtes pour BoJo.