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Tous derrière et lui devant

Il se voyait déjà en haut de l'affiche...


Tous derrière et lui devant
Discours de Jean-Luc Mélenchon à la convention d'investiture des candidats de la Nupes, Aubervilliers, 7 mai 2022 © ISA HARSIN / SIPA

Dans le passé, la gauche s’unissait autour de sa composante la plus modérée. Avec la Nupes, c’est le courant le plus extrême qui est à la manœuvre. Les alliés de LFI réussiront à sauver quelques sièges mais en payant idéologiquement le prix fort.


« Je me suis déjà fait baiser dans ma carrière politique mais là, j’ai l’impression de sortir d’un gang bang dans une cave. » Cette réplique tirée de la série Baron noir dit clairement la façon dont se passe souvent l’union de la gauche : après l’idéal du rassemblement de tous les courants, c’est l’hégémonie d’un seul homme qui s’impose.

L’union, un mythe qui permet tous les arrangements

Le PS est longtemps sorti vainqueur de ce jeu de bonneteau au détriment de son frère ennemi, le PCF. Mais aujourd’hui, avec la Nouvelle Union populaire et sociale, c’est à son tour d’être dans la position de dupe et de se voir satellisé. La Nupes entérine la domination de LFI sur ce champ de ruines qu’est devenue la gauche. Le PS, qui s’est servi si souvent de la rhétorique de l’union pour conquérir le pouvoir, est la principale victime d’un accord qui marque une victoire historique : celle du gauchisme révolutionnaire sur la gauche démocratique et républicaine.

Entre ces deux gauches, au-delà d’une question de degrés de radicalité ou de quête de justice, il y a une différence de nature. D’un côté, une vision violente, passionnelle et autoritaire de l’action politique ; de l’autre, une vision démocratique, rationnelle et tempérée de la pratique du pouvoir. De plus, si le communisme et le socialisme étaient deux branches issues d’un même tronc, la gauche multiculturaliste, racialiste et woke qu’est devenue LFI a peu à voir avec l’histoire des luttes sociales et la quête d’égalité de la gauche traditionnelle française. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, ces deux gauches sont irréconciliables et la plus radicale est en train de dévorer l’autre, car elle a su tirer tous les bénéfices du « vote utile ».

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Seulement, l’union demeure un mythe si puissant qu’il fait encore rêver les électeurs. Lors de cette dernière élection présidentielle, les partis de gauche, tous confondus, n’ont représenté que 30 % des votants. Un échec électoral pourtant présenté comme l’annonce de victoires futures. Plus encore, comme un événement fondateur, selon Jean-Luc Mélenchon qui estime sobrement que la Nupes est en train d’écrire une page de l’histoire de France : un tel rassemblement « n’a été fait ni par le cartel des gauches, ni par le Front populaire, ni à la Libération, ni par Mai 68, ni par le programme commun ». Grâce à cette union, son échec au premier tour serait donc le prélude de sa consécration aux législatives…

Alliances de circonstance

C’est ainsi que, réduite à une pure question de conquête du pouvoir, l’instrumentalisation de la rhétorique de l’union permet de légitimer la compromission et l’abandon de tout principe. Dans ce cadre, la fin justifiant les moyens, peu importent le projet politique ou le degré de radicalité affiché, seule compte la réussite électorale. Voilà pourquoi la gauche n’a aucun mal à s’allier avec l’extrême gauche, « on choisit ses adversaires, pas ses alliés, c’est la base [1] ». Cela justifie que l’argument idéologique pèse peu lorsqu’il est question de s’unir. C’est aussi oublier qu’une union, qu’elle soit féconde ou mortifère, repose sur un minimum de compatibilité entre les forces représentées.

Parmi les politiques expérimentés qui ont conclu cet arrangement, personne ne croit réellement que ces législatives soient le troisième tour de l’élection présidentielle. Seule la peur des élus de disparaître du paysage explique leur ruée vers la Nupes. Mais sa célébration par ceux dont elle entérine le déclin ressemble davantage aux derniers soubresauts de leur agonie qu’à l’espoir de lendemains qui chantent.

Union ou fusion-acquisition?

Lorsque, comme le PS, on passe d’un parti qui détenait tous les pouvoirs en 2012 à 1,75 % des voix à la présidentielle de 2022, l’union peut sans doute sauver quelques postes, mais à quel prix ? Sans un travail de refondation de l’offre politique, elle ne fera au mieux que retarder l’inéluctable. Le PCF a déjà suivi ce chemin : lors de l’élection de François Mitterrand en 1981, les communistes avaient récolté 15,35 % au premier tour. C’était un partenaire avec lequel il fallait compter, mais le programme commun ne l’a pas sauvé du déclin. Avec son score de 1,75 %, le PS ne représente même plus une force constituée et les territoires qu’il tient encore relèvent de la survivance plus que d’un capital exploitable. On a certes vu des empires commencer sur des bases territoriales réduites, mais encore faut-il avoir un grand dessein à faire partager. Or au PS, c’est là que le bât blesse.

L’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, la présidente de la région Occitanie Carole Delga et d’autres socialistes opposés à la Nupes ont rappelé les divergences essentielles qu’ils avaient avec l’identité politique de LFI et son programme. Ils ont dénoncé à juste titre son obsession de la race, son rapport à la violence politique, sa dimension communautariste, son soutien aux marqueurs de l’islamisme (voile, burkini), son rejet de la laïcité et son refus du nucléaire. Le problème est que le PS a, en son temps, labouré les mêmes terres et ciblé le même public. Pour gagner, le clientélisme communautariste s’est souvent révélé bien utile. Quant au discours sur la persécution des minorités et les violences policières, le PS n’a pas hésité non plus à en user et à en abuser.

Rassemblement des candidats Nupes de Seine-Saint-Denis, à l’occasion du dépôt de leurs candidatures pour les élections législatives, Bobigny, 18 mai 2022 © ISA HARSIN / SIPA

Malgré la révolte de barons locaux suffisamment implantés pour se permettre de prendre quelque distance avec des positionnements réduits à une logique de survie, la vérité est que le PS n’a pas grand-chose à dire aux Français. Sa vision managériale de la société, son absence de courage sur les sujets identitaires et régaliens, ainsi que son antifascisme de salon le rendent si compatible avec le parti d’Emmanuel Macron que celui-ci a siphonné sans problème ses jeunes pousses et autres frustrés il y a cinq ans. Et sur le front du clientélisme fondé notamment sur ses complaisances envers les islamistes et les racialistes, LFI lui a aussi raflé le marché. Dans une telle configuration, on ne voit pas comment l’association avec les Insoumis pourrait être autre chose que le baiser de la mort.

Pour EELV, la problématique est différente. Le parti a toujours été une force d’appoint. La déception a néanmoins dû être grande, car celui-ci se rêvait en patron de la gauche. Mais le parti écologiste a toujours eu du mal à garder une certaine stabilité militante : ses adhérents se renouvellent beaucoup, ses leaders sont éphémères et il a longtemps eu du mal à se constituer une base territoriale significative. Depuis les dernières municipales, les choses ont changé, mais ce parti s’affirme moins écologique que profondément gauchiste et très peu différent de LFI dans ses références idéologiques. Yannick Jadot y a certes été préféré, de peu, à Sandrine Rousseau lors des primaires écolos, mais c’est elle qui prend la lumière et qui est en train de devenir l’incarnation des Verts, balayant les références à la République.

A lire aussi : Sandrine Rousseau: de l’émasculation comme écologie prioritaire

Quant au PCF, si Fabien Roussel représente encore un parti attaché au travail et à la représentation du monde ouvrier, la jeune garde, elle, est très woke et islamo-gauchiste. Elle a compris que l’électorat ouvrier la délaissait au profit de l’extrême droite et a réorienté son discours vers sa clientèle : les communistes n’ont pu que constater que ce qui faisait leur force, cette ceinture rouge ouvrière qui entourait Paris, est devenu une ceinture verte où le vote des Français de confession musulmane pèse de plus en plus lourd. Or ceux-ci sont captés par LFI et non par le PCF, comme en ont témoigné les scores chavéziens de Jean-Luc Mélenchon dans nombre de villes de Seine-Saint-Denis. La ligne plutôt républicaine que Fabien Roussel a tenté de porter, et qui fait finalement de lui une voix originale à gauche dans cette campagne, a peu de chance de survivre à ce constat comme au vieillissement de ceux qui la portent. Les nouvelles générations sont clairement séduites par la ligne verte-rouge, dite islamo-gauchiste, qui fait le succès de Jean-Luc Mélenchon en banlieue.

L’hégémonie de LFI, un obstacle au renouveau de la gauche ?

L’histoire a validé la stratégie de l’union, à la fois pour prendre le pouvoir et élaguer l’arbre généalogique de la gauche. Puisque l’appel au « vote utile » a consacré l’hégémonie de Jean-Luc Mélenchon et qu’il a réussi à réunir presque tous les partis sous la bannière de la Nupes, pourquoi LFI ne deviendrait-elle pas l’outil du renouveau de la gauche ? Pourquoi ne pas prendre acte de la disparition de la gauche républicaine au profit de la gauche communautariste ?

Le problème est que les conditions qui ont permis, dans le passé, à la gauche de s’unir pour accéder au pouvoir ne se présentent plus aujourd’hui. L’union s’est toujours faite autour du parti le plus modéré, celui capable de rassembler le plus grand nombre, au-delà des partisans les plus engagés. Or désormais, l’acteur le plus fort de cette nouvelle union est celui qui a les positions les plus extrêmes. Celui qui tient les rênes de l’attelage est sans doute un habile tribun, mais c’est aussi un homme emporté, autocrate qui ne vit que d’orages et de tempêtes et dont la violence verbale rejoint le goût pour la violence politique. Il réalise néanmoins une synthèse qui, bien qu’originale, est extrêmement fragile : ses bases politiques et sociologiques sont instables et hétéroclites. Encore plus que son alter ego de droite, Marine Le Pen, il est le point de rassemblement de colères diverses : « Départements ultramarins, campagnes alternatives, bastions syndicaux, génération climat, banlieusards et bataillon de la gauche diplômée des métropoles[2] » composent l’archipel électoral de Jean-Luc Mélenchon. Un électorat qu’il a capté en partie grâce à l’effondrement du PS, d’EELV et du PCF, mais dont il peine à séduire la totalité des sympathisants. Son succès n’est avéré que dans un seul segment, celui des Français de confession musulmane. Que 69 % de ces électeurs-là aient voté pour lui, séduits par son discours dénonçant leur pseudo-persécution, est à la fois un fait politique majeur et un phénomène inquiétant qui explique aussi la course à l’échalote pour récupérer leur vote aux législatives.

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Les noces de l’islamo-gauchisme et du racialisme avec le moralisme condescendant bobo et les difficultés quotidiennes des petites gens ne tiennent que grâce au culte du chef et à son discours de victimisation, habile à répercuter colères et dénonciations tout en étant muet sur le modèle de société qui en découle. Pas sûr en effet que les intérêts des femmes et ceux des islamistes soient convergents, qu’une société où la couleur de la peau détermine l’identité des personnes puisse être égalitaire, que l’addition de tribus qui ne vivent que de l’expression de leurs différences puisse se traduire en société solidaire. La gauche LFI, c’est la gauche Jean-Claude Dusse, celle qui espère « conclure sur un malentendu ». Le problème est que, si elle y arrive, ses contradictions se renforceront, la contraignant à chercher son salut dans la mise en accusation permanente du système et dans l’épuration interne. Une histoire qu’a déjà connue LFI quand, après avoir réuni dans le même parti, racialistes, islamo-gauchistes et républicains, elle a dû sacrifier les derniers aux premiers. Djordje Kuzmanovic et François Cocq, qui animaient ce courant, comme Henri Peña-Ruiz, le spécialiste de la laïcité, en ont fait les frais.

Une union sans avenir collectif

La recomposition à gauche autour de LFI est un atout pour Emmanuel Macron. La montée des extrêmes à droite comme à gauche rabat automatiquement au centre un électorat modéré. Une dynamique qui devrait s’illustrer dans le succès législatif qui attend le parti du président. Loin d’être le futur artisan d’une victoire politique susceptible de se traduire en avancées sociales, Jean-Luc Mélenchon vise juste la place de premier opposant et d’imprécateur public, comme naguère Jean-Marie Le Pen et son FN. C’est l’analyse que font Carole Delga et les hiérarques du Parti socialiste opposés à la Nupes (voir l’entretien avec Julien Dray pages 69-73). Ils proposent d’organiser en septembre des états généraux de la gauche pour « refonder la promesse républicaine ». Sauf que cette fois-ci, pour « garder la vieille maison[3] » face à l’aventure gauchiste de la Nupes, il va falloir entièrement la reconstruire.

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[1] Philippe Rickwaert dans Baron noir, saison 2, épisode 6.

[2] Jérôme Fourquet, « Macron-Le Pen : deux France face à face », Jérôme Fourquet, Fondation Jean-Jaurès, 21 avril 2022.

[3] Phrase prononcée par Léon Blum au congrès de Tours (1920), au moment de la scission de la SFIO et de la création du Parti communiste français.

Juin 2022 - Causeur #102

Article extrait du Magazine Causeur




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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