On aura fait beaucoup de chose au bar de l’Univers, havre malouin chanté par Bernard Lavilliers et fréquenté jadis par Ernest Hemingway. Nous y aurons admiré les tableaux de Gustave Alaux avec A.D.G., fumé des cigarillos avec Michel Déon, d’excellents cigares avec Jean-Paul Kauffmann et abusé des américanos avec Sébastien Lapaque et Olivier Maulin. Comme ce dernier, Bernard Bonnelle aura été révélé par le festival Etonnants voyageurs de Saint-Malo, où il vient d’obtenir le Prix Nicolas Bouvier 2013. Cet ancien commissaire de la marine, qui a eu la chance de pas mal bourlinguer dans l’Océan Indien, vient d’écrire un fin roman, qu’on dirait ciselé par un sabre de la Royale. C’est sous les auspices d’Arthur Rimbaud et d’Henry de Monfreid, un verre de single malt à la main, que nous aurons refait le monde avec lui place Chateaubriand.
Nous sommes au printemps 1940 à Djibouti. La Côte française des Somalis, « Djibout » pour les intimes, est quasiment encerclée, comme assiégée, par les possessions italiennes que sont l’Ethiopie, l’Erythrée et la Somalie voisines. A l’est, il y a Aden, bastion avancé de nos alliés britanniques.
Le lieutenant de vaisseau Philippe Jouhannaud prend le commandement de l’Etoile-du-Sud – un antique yacht russe devenu patrouilleur colonial français – à la place de son ami Alban de Perthes, un fils de famille protestante du Faubourg-Saint-Germain, dont on a retrouvé le corps dans le carré du navire, une balle dans la tête. Il va se retrouver en butte aux vexations et à la morgue du Commandant de la marine de Djibouti, le capitaine de vaisseau Marquin, mauvais lecteur de Pierre Benoît. Cette « ville française en Afrique » qu’est Djibouti n’est pas grande. La clef du mystère de la mort d’Alban de Perthes se trouve quelque part entre l’église copte éthiopienne et l’établissement de nuit à l’enseigne des Belles Abyssines.
Dès les premières pages de ce roman, on est séduit par la précision du vocabulaire maritime et militaire. Usant d’une langue remarquable, l’auteur évoque à merveille une atmosphère lourde mais colorée par un entrelacs de « calottes brodées des Somalis, turbans des Yéménites, cheveux tressés et graissés des Danakil, larges chapeaux des Abyssins, voiles blancs de leurs compagnes »… Il y a de quelque chose d’Honoré d’Estiennes d’Orves dans ces porteurs d’uniformes blancs. Nous voici transportés entre Dino Buzzati et Pierre Schœndœrffer, entre le Désert des Tartares et le Crabe tambour. On demande des colonies !
Bernard Bonnelle, Aux belles abyssines, La Table Ronde, 184 p., 17 euros.
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