“Le journal Le Monde a prétendu, avec une mauvaise foi confondante, que c’est la nomination d’un homme noir à la tête d’un ministère régalien qui avait suscité la polémique. On est un ennemi du genre humain désormais quand on voit ce qu’on voit, lit ce qu’on lit et qu’on en tire les conséquences. Avec l’extension sans fin du domaine du racisme, la vie politique et la vie intellectuelle deviennent totalement irrespirables.” Alain Finkielkraut, Le Figaro, 2 juin 2022.
Au Monde et sur la radio publique, deux ritournelles circulent depuis la nomination de Pap Ndiaye et les pourtant légitimes interrogations sur celle-ci. Cette nomination aurait « provoqué la fureur de l’extrême-droite » et il faut mesurer son importance « à l’aune des réactions de l’extrême-droite et du milieu intellectuel conservateur » (1). Sur France Inter, il a été décrété que Pap Ndiaye est « un grand universaliste » (1). De son côté, l’instance supérieure de décodage moral, alias Le Monde, réduit les critiques faites au nouveau ministre à du racisme !
Il était une fois dans l’Ouest
Il faut mesurer l’importance de cette nomination à l’aune des travaux, des écrits et des déclarations de Pap Ndiaye, et de rien d’autre. Le parcours de Pap Ndiaye est intéressant en cela qu’il ressemble à celui de beaucoup d’universitaires et de journalistes qui, comme lui, sont passés par les États-Unis et ont importé en France les thèses issues des racial studies et des mouvements politiques noirs américains. Dans un portrait-entretien justement intitulé Noir sur le tard (Libération du 24 février 2007), Christophe Boltanski rapportait les sentiments de la sœur, de l’épouse et d’une amie de Pap Ndiaye sur son rapport à sa couleur de peau : « Elle a été étonnée quand il a commencé à s’intéresser à la couleur de sa peau. […] Jeanne Lazarus confirme : “Quand je l’ai rencontré, le fait qu’il soit noir n’existait pas.” Une amie de vingt ans, qui l’a connu en khâgne, décrit un “garçon élégant, courtois, presque précieux, et assez secret”. La différence d’aspect physique était entre eux “complètement absente”. » Mais, aux États-Unis où, selon lui, « il n’y a pas ce modèle de citoyen abstrait qui commande de faire fi de ses particularités individuelles », Pap Ndiaye semble avoir « découvert » qu’il était noir et compris que la société française le lui avait caché pour l’effacer. En France, dira-t-il à Christophe Boltanski, « j’étais on ne peut plus républicain universaliste. J’étais pris dans ce modèle de l’invisibilité ». Si les journalistes du Monde ou de la radio publique avaient lu ce seul entretien, ils n’auraient pas pu affirmer que Pap Ndiaye est « un grand universaliste ». Ils auraient pu éventuellement écrire que Pap Ndiaye était un grand universaliste avant d’être allé aux États-Unis, ce qu’avoue implicitement l’intéressé lui-même.
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De plus, s’ils avaient lu le récent rapport sur la diversité à l’Opéra de Paris que Pap Ndiaye a co-signé, il auraient constaté que les thèses racialistes américaines sont devenues l’alpha et l’oméga des réflexions « antiracistes » et « diversitaires » de l’historien, ce qui l’amène à proposer des mesures relevant de la cancel culture et de la discrimination positive. Ils auraient compris que Pap Ndiaye a substitué au concept d’universalisme celui du déconstructivisme wokiste. Ils auraient remarqué que, parmi les personnes consultées pour écrire ce rapport, figure David Bobée, directeur du Théâtre National de Lille et membre très actif de l’association « Décoloniser les arts » dirigée par la militante indigéniste Françoise Vergès. Il auraient lu, en plus des mots « blanc » (81 occurrences), « noir » (66 occurrences) et « non-blanc » (17 occurrences), les expressions « blanchité », « non-blanchité », « cesser de blanchir », « diversité mélanique », « uniformité chromatique » et autre « public monochrome » émaillant ce rapport et confirmant qu’il est en réalité un plaidoyer de stricte obédience racialiste flirtant parfois avec le racisme.
L’étiquette postcoloniale « ne m’embarrasse aucunement »
Les phrases policées et les subtilités rhétoriques du nouveau ministre de l’Éducation nationale n’y changent rien et ne trompent que les journalistes complaisants, trop paresseux ou trop idéologisés pour aller chercher dans les livres et les journaux les quelques éléments qui pourraient contredire leurs préjugés.
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Par exemple, l’introduction de son livre, La condition noire : essai sur une minorité française, permet de concevoir tout ce qui sépare l’esprit racialiste américain qui taraude les travaux de Pap Ndiaye et l’esprit universaliste français. M. Ndiaye désire que les Noirs de France deviennent, comme aux États-Unis, un groupe social « revisibilisé » et reconnu pour sa seule couleur de peau. Il regrette que, s’il existe « de bonnes études sur les familles africaines, les immigrés africains, les étudiants africains, les migrants antillais et réunionnais » en France, il n’y soit « pas question des Noirs, comme si cette figuration par la couleur de peau n’avait pas de légitimité ou de pertinence pour décrire les situations contemporaines ». C’est que, justement, la France universaliste s’est toujours refusée à faire de la couleur de peau un déterminant distinctif, ce qu’avait bien compris l’écrivain noir américain James Baldwin exilé en France : « Les Français m’ont sauvé la vie car ils ne me voyaient pas (en tant que noir). Ils m’ont débarrassé des béquilles de la race. » (2)
Pour conclure, qu’il me soit permis de citer deux passages de cette introduction qui sont, pour le premier, un exemple de la précautionneuse phraséologie ndiayenne permettant, selon le lieu ou l’interlocuteur, différentes interprétations ; pour le second, derrière les arabesques réflexives, l’aveu explicite d’un essai écrit sous l’égide des théoriciens américains à propos de la « question raciale » – c’est-à-dire, dans leur immense majorité, des universitaires ayant développé les théories racialistes qui imprègnent le wokisme.
1) « Il ne me semble pas qu’il [ce livre] s’inscrive dans la mouvance postcoloniale, même s’il chemine occasionnellement avec ses tenants – à moins de considérer le postcolonial dans une acception si large qu’elle vienne à inclure tout travail portant sur les minorités et critiquant le modèle républicain français, ce qui est possible (l’étiquette postcoloniale ne m’embarrasse aucunement). »
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2) « Si le terrain d’enquête de ce livre n’est pas états-unien, je suis en revanche américaniste et le suis resté pour enquêter en France. Le comparatisme est essentiel sur les questions relatives aux minorités raciales, ce qui n’implique en rien de plaquer des notions américaines sur la société française. En outre, les sciences sociales anglo-américaines fournissent des points d’appui très utiles à l’analyse des situations françaises, particulièrement lorsqu’il s’agit d’appréhender la « question raciale ». Ce livre a donc incontestablement une dimension franco-américaine assumée. »
Ce sont peut-être cette « dimension franco-américaine » et ce goût pour le « en même temps » polysémique qui ont décidé le président de la République à choisir Pap Ndiaye pour succéder à Jean-Michel Blanquer.
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