Gérald Darmanin devrait écouter la station de radio publique plus souvent, qui relativise les scènes d’effroi au Stade de France. Selon Thomas Legrand et Claude Askolovich, depuis samedi dernier, les réacs en ont trop fait avec l’organisation chaotique de la finale. « Un match retardé d’une demi-heure, quelques dizaines de supporters rançonnés par des voyous », pourquoi en faire tout un fromage ?
Mettons sur pause. De quoi parle-t-on?
Thomas Legrand est tombé dedans quand il était petit. Pas dans la marmite qui contient la potion magique permettant à d’irréductibles gaulois de résister à l’ennemi, mais dans celle qui contient le breuvage idéologique permettant à d’inamovibles journalistes de la radio publique de repousser la vérité et de nier la réalité. Ce matin (2 juin), le journaliste france-intérien a lu un éditorial qui aurait pu sortir des bureaux du fameux Ministère de la Vérité de 1984. Comme les fonctionnaires de ce ministère, Thomas Legrand pratique la « double-pensée ». Ce mécanisme cognitif par principe totalitaire consacre la possibilité de « connaître et ne pas connaître », d’émettre des « mensonges soigneusement agencés », d’employer « la logique contre la logique » pour finalement « nier la réalité objective » afin de mettre en place, mieux qu’une simple propagande, un système continu de « contrôle de la réalité ».
Les journalistes mettent en avant les soucis d’organisation et minimisent l’ensauvagement
Il est maintenant parfaitement établi que le drame qui s’est déroulé lors de finale de la Ligue des champions au Stade de France est essentiellement dû à des hordes de « jeunes des quartiers » avoisinants et de migrants en situation irrégulière qui se sont jetées sur les supporters anglais et espagnols afin de les dépouiller, de les frapper, voire de les agresser sexuellement. Des centaines de témoignages ont été recueillis par la presse espagnole et anglaise, dans les commissariats ou dans les clubs de foot. Photos et vidéos à l’appui, tous font état d’une violence inouïe, continue, avant et après le match, dirigée en particulier contre les personnes plutôt âgées, les femmes ou les parents avec de jeunes enfants. Certains supporters ont cru y laisser leur peau. Il ne s’est pas agi que de simples « mouvements de foule incontrôlables » et les supporters n’ont pas été pas seulement « désorientés » – ils ont vécu la frayeur de leur vie sous les coups et les rires des barbares qui les agressaient et les volaient.
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Mais Thomas Legrand n’en a cure. Selon lui, les tabloïds anglais en ont rajouté. Le fiasco est d’abord « organisationnel ». Les « jugements définitifs et globalisants sur la Seine-Saint-Denis » ne lui font pas peur – en tout cas pas plus peur qu’à Gérald Darmanin qui, lors de son audition au Sénat, a trouvé que les propos « nauséabonds » d’une sénatrice sur la délinquance et le changement de population de ce département faisaient « le jeu de partis assez extrêmes » (sic). D’après Thomas Legrand, il n’y avait pas de quoi fouetter un chat : « Un match retardé d’une demi-heure, quelques dizaines de supporters rançonnés par des voyous », allons, allons, « il faut relativiser », « mettons sur pause » et tirons les leçons de cette petite mésaventure : « la prochaine grande compétition sera bien organisée ». On respire.
… et puis ailleurs il y a la guerre, en plus
La double-pensée dirige l’écriture de discours qui paraîtront hallucinants à ceux qui voient ce qu’ils voient. Derrière le micro du nouveau Ministère de la Vérité radiophonique, Thomas Legrand parle la novlangue issue de cette double-pensée comme personne. Celle-ci opère ici de deux manières : par l’oblitération des faits les plus importants et par la reprise sans distance des éléments de langage du pouvoir, en l’occurrence du ministre de l’Intérieur. C’est de la double-pensée appliquée à la lettre. On atteint, dans le cas présent, une sorte de perfection sémantique qui n’est pas sans rappeler celle des discours tenus sur certaines estrades révolutionnaires pour cacher la vérité au peuple. Cela mérite d’être cité intégralement :
« L’enchainement des faits et des fautes, le dysfonctionnement en chaine commence à être établi : grève du RER B, défaut de filtrage à la sortie du RER D, points de contrôles mal placés, faux billets qui font croire à une panne du système de lecture des vrais billets et bloque le flux, autant de facteurs qui, cumulés, ont abouti à des mouvements de foule incontrôlables. Et comme la police avait été préparée, équipée, pour faire face à des hooligans qui n’étaient pas là… et pas à une masse de supporters (parfois en famille) désorientée, impatiente ou en colère, le maintien de l’ordre a été chaotique, décalé, produisant des images dégradantes d’utilisation du lacrymogène pour de mauvaises raisons. Encore un exemple de notre inculture de la désescalade en matière de maintien de l’ordre… bref, tout est regrettable dans cette histoire, scandaleux par certains aspects mais, en effet, il n’y a ni blessés ni morts… C’est le type même d’évènement qui, étant par nature surmédiatisé, prend -quand ça dérape- l’aspect et le temps d’antenne d’une catastrophe mondiale, d’un drame sanglant. Parfois il faut dézoomer un peu. » Circulez, y’a rien à voir.
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Plus tard dans la matinée, au même Ministère de la Vérité radiophonique, le fonctionnaire attaché à la lecture de la presse écrite et à la distribution des bons et des mauvais points, le respirateur artificiel du journal comateux Libération, le préposé à l’édification du peuple inculte via la presse progressiste, Claude Askolovich en personne, recadre l’hétérodoxe Alain Finkielkraut. Dans un entretien donné au Figaro, Le philosophe a en effet eu l’audace de se demander si Paris ne devrait pas se désister pour les Jeux Olympiques prévus dans deux ans. Il faut préciser que ces jeux se tiendront pour partie dans le 9-3. Le village olympique hébergeant 14 000 personnes pour les Jeux olympiques puis 8000 pour les Jeux paralympiques sera situé sur les communes de… Saint-Denis et Saint-Ouen. Mais il n’y a rien à craindre. Comme dit Thomas Legrand, « la prochaine grande compétition sera bien organisée ». Et puis, il faut relativiser, parce que, quand même, « il y a la guerre en Ukraine! »