Selon le spécialiste des extrémismes, Jean-Luc Mélenchon n’est pas d’extrême gauche car il ne prône ni la révolution ni la prise du pouvoir par la violence. Chef d’orchestre autoritaire d’un mouvement hétérogène, il a choisi la posture populiste. Propos recueillis par Élisabeth Lévy.
Causeur. Avant tout, essayons de nous entendre sur le sens des mots. Pouvez-vous rappeler ce que sont l’extrême gauche, l’ultra-gauche et la gauche radicale ?
Christophe Bourseiller. Si on dresse une cartographie de la gauche en partant du centre, on observe d’abord le « centre gauche », la « gauche modérée » qui pourrait inclure la gauche de la République en Marche et la droite du Parti socialiste, le PRG et quelques autres formations. Ensuite, il y a la « gauche de la gauche », qui veut revenir aux fondamentaux que la gauche aurait oubliés. Là, on trouvera La France insoumise de Mélenchon et les communistes de Fabien Roussel. Un fossé sépare cette « gauche de la gauche » des extrêmes gauches proprement dites, qui elles sont révolutionnaires, c’est-à-dire qu’elles prônent un changement radical de société auquel on ne peut parvenir que par la violence. Vous m’objecterez qu’elles se présentent aux élections, mais c’est avant tout pour bénéficier d’une tribune… et de subventions.
Cette cartographie est-elle valable à l’échelle européenne ?
Elle vaut à l’échelle mondiale ! On trouve le même phénomène dans tous les pays de culture démocratique et occidentale. En Angleterre, il y a, à la gauche du Parti travailliste, le tribun George Galloway. Mais ce qui complique l’analyse, c’est que beaucoup de mouvements d’extrême gauche pratiquent l’entrisme dans les mouvements de la gauche modérée. Ainsi plusieurs courants trotskistes sont à la manœuvre dans l’Union populaire.
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Qu’appelleriez-vous « gauchisme » ?
C’est un terme péjoratif souvent accolé à l’extrême gauche, mais qui ne veut pas dire grand-chose. L’extrême gauche tient en deux archipels : un archipel léniniste, dirigiste, dans lequel on retrouve les trotskistes, les staliniens, des ex-maoïstes, etc. ; et un archipel anti-autoritaire, donc non léniniste, dans lequel on trouve beaucoup de mouvances, mais surtout deux sensibilités. Une première est née au xixe siècle, avec les anarchistes, et une autre en 1920, après la révolution d’Octobre, quand on a vu surgir des marxistes anti-autoritaires critiquant la lecture léniniste de Marx. Cette dernière mouvance, c’est l’ultra-gauche. Au fil du temps, tous ces courants ont connu de multiples mues, certains anarchistes se rapprochant de l’ultra-gauche. De sorte qu’on voit émerger de nos jours une forme de « post-anarchisme ». Ces gens, issus du marxisme et de l’anarchisme (plus précisément du communisme libertaire), constituent l’ultra-gauche du xxie siècle.
Où se situent les « black blocs » dans cette nébuleuse ?
C’est la police allemande qui, en 1982, a employé ce terme. En réalité, vous parlez des héritiers de ceux qu’on appelait les « autonomes ». Autrement dit, ils viennent de l’ultra-gauche, cette synthèse moderniste entre « post-anarchistes » et « post-marxistes ». Ce ne sont pas des groupes organisés, mais de petites communautés qui s’agrègent et se désagrègent. En France, on observe une gauche anti-autoritaire d’environ 2 000 activistes qui interviennent dans une multitude de luttes. On les retrouve du côté des antifas, dans le soutien aux migrants ou dans les ZAD. Pour eux, la violence politique est stratégique : il s’agit d’entraîner la classe ouvrière, de lui montrer l’exemple, en frappant des symboles du capital comme des McDo ou des agences bancaires. En réalité, il est rarissime que les travailleurs les rejoignent. C’est arrivé pendant le mouvement des Gilets jaunes lors de l’assaut de l’Arc de triomphe ou le pillage du Fouquet’s. Pour les autonomes, ce furent en conséquence de grandes victoires politiques.
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Sauf qu’en attendant le Grand Soir, ils transforment les manifestations en émeutes…
Ils pourrissent les manifestations depuis longtemps. Ce sont des gens bien organisés, habiles et très malins. Par exemple, la femme qui a frappé le pompier lors de la manifestation parisienne du 1er mai portait le casque et l’uniforme d’une « street medic ». De plus, ils sont très bien insérés dans la gauche de la gauche, ce qui leur permet, par exemple, d’avoir accès à des avocats militants.
Il faut dire aussi que cette ultra-gauche a bénéficié d’une certaine mansuétude, particulièrement sous le quinquennat Hollande où plusieurs mouvements d’extrême droite ont été interdits, mais aucun mouvement d’extrême gauche. Gérald Darmanin a pour sa part décrété plusieurs dissolutions, mais ce sont des mesures très symboliques, puisque ces groupes n’ont pas de stature administrative ou juridique.
Voulez-vous dire qu’on les laisse faire pour effrayer le bourgeois avec de belles images de violence afin de discréditer les mouvements sociaux ?
C’est une possibilité, mais il ne faut pas oublier que ce sont des mouvements très anciens. Le pillage du Quartier latin en 1971 a été organisé par des gens de l’ultra-gauche qui voulaient affaiblir l’extrême gauche ! Par ailleurs, jusqu’à la fin des années 1980, cette violence était gérée par les services d’ordre des syndicats et des groupes d’extrême gauche. La France des années 1970 était beaucoup plus violente que celle d’aujourd’hui, mais la CGT avait un service d’ordre de plusieurs centaines de gars bien entraînés, de même que la Ligue communiste révolutionnaire (l’ancêtre du NPA) et l’Organisation communiste internationaliste (OCI). Celui de Lutte ouvrière avait même la réputation d’être particulièrement dur…
Qu’est-ce qui a changé la donne ?
La chute du mur de Berlin et la déstalinisation brutale des partis communistes, puis des syndicats procommunistes a modifié le paysage. La CGT, qui était un bloc monolithique au service du PCF, s’est ouverte aux dissidences. Du coup, de nombreux militants d’extrême gauche l’ont rejointe en pratiquant l’entrisme. Or, ils se sont montrés beaucoup plus indulgents que les communistes orthodoxes vis-à-vis de l’ultra-gauche. Résultat, les syndicats en sont venus à penser qu’ils n’avaient plus vraiment besoin de services d’ordre pléthoriques et surentraînés. Et quand, à partir de 2010, la violence des autonomes connaît une recrudescence, ils n’ont rien à leur opposer. Quant à l’extrême gauche, elle pratique le laisser-faire. Aujourd’hui, toutes les gauches estiment que c’est à la police de gérer le problème. Mais comment ? Si la police approche de trop près et frappe des manifestants, on hurle à l’État policier et si elle est trop loin, on dénonce sa passivité. Pour moi, la solution serait que les mouvements d’extrême gauche traditionnelle et les syndicats se dotent à nouveau de services d’ordre efficaces.
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N’y a-t-il pas aussi dans la police l’inhibition Malik Oussekine ?
C’est très relatif, la police dépend d’ordres ministériels qui varient fortement. De ce point de vue, la crise des Gilets jaunes est emblématique. Les deux ou trois premiers samedis, la police essaie d’être calme, elle se tient à distance, tout le monde se plaint parce qu’elle n’intervient pas. Puis il y a l’attaque de l’Arc de triomphe, dont on parle dans le monde entier, et le samedi suivant, la police arrive avec des LBD, elle est très violente et tout le monde dit : « Quelle horreur ! La France devient un État fasciste ! »
En tout cas, chaque samedi les commerçants étaient priés d’ériger des protections devant leurs boutiques. En clair, on a le sentiment que la police ne protège plus les biens. Est-ce une stratégie délibérée ?
Je ne sais pas. Ce que je peux dire avec certitude, c’est que les black blocs ne sont pas des policiers ou des gens d’extrême droite infiltrés… L’attitude de la police à leur égard reste effectivement complexe, mais les interdictions ne servent pas à grand-chose. Si on veut véritablement réprimer des mouvements subversifs ou dangereux, il faut s’en prendre aux individus, pas aux groupes. Ce sont les leaders qui sont à la manœuvre…
Venons-en maintenant au parti qui est aujourd’hui au cœur de la gauche, La France insoumise. Pour vous, il n’appartient pas à l’extrême gauche, mais à la gauche de la gauche, celle qui veut revenir aux fondamentaux. Si on considère que la laïcité en fait partie, ce n’est pas très probant…
Pour vous répondre, il faut faire un peu d’histoire. Au départ, Mélenchon est un militant trotskiste-lambertiste, donc laïque, infiltré dans le PS. Plus tard, il abandonne le trotskisme et joue le jeu des appareils. Ensuite il crée le « Parti de gauche », avec beaucoup d’anciens lambertistes. Quand l’alliance avec le PC capote, Mélenchon fait un coup de poker et décide de jouer la carte populiste. Avec une agence de communication, il lance un produit marketing qui s’appelle « La France insoumise » : elle est populiste, elle est de gauche, elle veut lutter contre les riches, contre l’injustice et elle est dans un certain flou idéologique. Mais le regroupement est très large. On observe en particulier la montée en puissance du collectif Ensemble, dans lequel évoluent des personnalités comme Clémentine Autain ou Danièle Obono. Ce collectif se trouve à la pointe de la lutte contre l’islamophobie et pour le droit des femmes à porter le voile. À cause de leur rôle grandissant, beaucoup des laïques les plus radicaux quittent les Insoumis et Mélenchon se retrouve dans la posture fragile du chef d’orchestre. Dans un groupe très hétérogène, il essaie de ménager les sensibilités de chacun. Comment? En étant flou. Si vous interrogez dix Insoumis, vous aurez dix discours différents. Vous voyez bien que le leader populiste s’en tient à des généralités lyriques et à un programme de compromis. Aujourd’hui, l’Union populaire rassemble une myriade de sensibilités, rassemblées par l’humanisme flou de Mélenchon. Les forces laïques sont clairement en retrait. Pour ne rien arranger, la laïcité, valeur de gauche par excellence depuis des siècles, est classée aujourd’hui à droite tandis que la gauche ne jure plus que par le respect des minorités… En tout cas, chez les Insoumis, les tenants du populisme de gauche ont gagné.
Que désignez-vous par cette formule ?
Pour aller vite, le populisme se définit par trois critères : la référence constante au peuple contre les élites, des slogans démagogiques mais compréhensibles de tous et un leader charismatique. C’est d’ailleurs ce qui a fait la différence entre Mélenchon et Jadot. Qu’on l’aime ou qu’on le déteste, Mélenchon est plus charismatique que Jadot ou Hidalgo.
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Mais pourquoi tracer un signe d’égalité entre populisme et extrémisme ?
Le populisme ne doit pas être confondu avec l’extrémisme. L’extrémiste lutte pour un changement radical de société et veut y parvenir par la violence. Le populiste à l’inverse s’inscrit dans le système actuel, qu’il veut en quelque sorte réformer.
La période présente me semble cependant marquée par un durcissement, voire une extrémisation des discours politiques, tandis que les partis du xxe siècle disparaissent progressivement. Ces recompositions ne sont pas inhabituelles à gauche. La nouveauté, c’est qu’il y a un président centriste, donc à la fois de gauche et de droite, qui encourage l’émergence non pas de blocs, mais d’archipels populistes de plus en plus forts à droite comme à gauche.
Tout en admettant que le féminisme radical, les idées woke et l’indigénisme occupent une place de choix chez les Insoumis, vous ne les classez toujours pas à l’extrême gauche. Pourquoi ?
Diriez-vous que le Parti socialiste était trotskiste parce qu’il comportait des courants trotskistes ?
Il s’agissait d’anciens trotskistes, ce n’est pas pareil ! À LFI, on ne parle pas de woke repentis ou convertis, mais de woke bien actuels !
Ceux qui pratiquaient jusqu’à une date récente l’entrisme dans le PCF, le Parti socialiste ou les Verts n’étaient pas tous d’anciens trotskistes. Il y avait parmi eux beaucoup de trotskistes en activité. Mélenchon ne propose pas un programme révolutionnaire et ne prône pas la violence. Nous sommes bien dans une forme de populisme de gauche. Nous sommes dans la gauche de la gauche, et non dans l’extrême gauche.
Il n’est pas logique, en ce cas, de qualifier le Rassemblement national d’extrême droite…
Je suis d’accord. Le RN n’est pas un mouvement d’extrême droite, mais un mouvement populiste de droite. On parle en science politique de « national-populisme ».
N’empêche, avec Marine Le Pen, on a réactivé le vieux front républicain, qui conserve sans doute encore un peu d’efficacité. Les Insoumis, qui sont tout aussi radicaux, bénéficient à l’inverse d’une grande complaisance médiatique. Comment expliquez-vous ce deux poids, deux mesures ?
Dans mon premier livre, Les Ennemis du système : enquête sur les mouvements extrémistes en France, paru en 1989, je parlais déjà conjointement de la droite et de la gauche, ce qui m’a valu des critiques. Certains se demandaient si je n’étais pas un agent d’extrême droite… Bien entendu, il y a des extrémismes à droite comme à gauche ; et des populistes de droite comme de gauche. Plus encore dans L’Extrémisme : une grande peur contemporaine, que j’ai publié en 2011, j’observais ce « deux poids, deux mesures », une étrangeté française, ou peut-être européenne, qui fait que si on a été maoïste ou trotskiste dans sa jeunesse, c’est plutôt un atout pour faire carrière ; alors que si on a été royaliste ou fasciste, il faut le cacher.
Est-ce lié à notre incapacité à établir le bilan du communisme ?
C’est lié à la lenteur de l’évolution culturelle de la France. Le communisme a perdu la bataille des idées : l’alternative révolutionnaire, aujourd’hui, ne pèse guère. Mais en même temps, l’héritage de cette culture de gauche reste très présent. Pour reprendre la formule d’Emmanuel Todd, il y a une gauche « zombie », une gauche en quête d’elle-même et de son identité. Cette rémanence explique le réflexe du front républicain. Cependant, lors de la dernière élection présidentielle, il a été faible. Le constat largement partagé que Marine Le Pen n’était techniquement pas capable d’être présidente a davantage joué. J’ai trouvé curieux que Macron reprenne à son compte entre les deux tours la rhétorique de la menace de l’extrême droite. Considérer Le Pen comme étant d’extrême droite aujourd’hui, revient à lutter contre le RN avec un logiciel du xxe siècle. Si on n’est pas d’accord avec Marine Le Pen, il faut la critiquer pour ce qu’elle dit. Est-on pour ou contre l’immigration ? Le souverainisme ? L’isolationnisme ? Le retour au franc ? Au lieu de quoi on a vu fleurir les banderoles proclamant en 2022 : « La jeunesse emmerde le Front national », alors que le FN a depuis longtemps changé de nom.
Ce qui est factuellement faux, car un quart des moins de 25 ans votent RN (et 30 % Mélenchon). Il y a aussi la dimension sociologique : depuis une vingtaine d’années les électeurs de gauche viennent essentiellement des villes les plus riches. La gauche a-t-elle définitivement abandonné « le peuple old school », comme dit Onfray, pour se réduire à l’alliance des bobos et des immigrés ?
Pendant le quinquennat Hollande, la gauche a effectivement abandonné au populisme de droite la défense des classes populaires. Dans l’entourage de Hollande, on a bien observé ce changement de paradigme, encouragé par la fondation Terra Nova. Ce qui comptait, c’était le mariage pour tous, les minorités. Le regretté Laurent Bouvet avait raison : il fallait revenir aux fondamentaux de la gauche.
Quelle est la sociologie électorale des Insoumis ?
Il y a énormément de jeunes séduits par Mélenchon pour des raisons très diverses. « Parce qu’il veut sauver la planète », comme je l’ai entendu. Beaucoup d’enseignants voient en lui l’héritier de Mitterrand, un homme qui incarne une gauche modérée avec un souffle lyrique. D’autres, nombreux, viennent de la gauche radicale et auraient voté PCF il y a quelques années. Enfin, il y a ceux qui hésitent entre Mélenchon et Le Pen, et se demandent lequel des deux défendra le mieux la classe ouvrière.
Vous avez oublié le vote communautaire. En 2017, les Insoumis avaient obtenu environ un tiers du vote musulman, aujourd’hui ils en captent 70 %. Et plusieurs enquêtes montrent qu’il s’agit largement d’un vote identitaire – en tant que musulman…
Ces résultats s’expliquent par la montée en puissance du collectif Ensemble, face à d’autres courants qui sont sur une ligne plus laïque. Tout va se jouer dans les années à venir en fonction de ce que Mélenchon va décider. Va-t-il rester le leader inamovible de son organisation ou engager un processus de succession en mettant en avant quelqu’un comme Adrien Quatennens, qui est justement un tenant de la ligne laïque, ou François Ruffin, soutenu par Ensemble ?
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Encore faut-il que les autres ne lui fassent pas la peau. L’évolution d’un Alexis Corbière, qui a troqué la ligne républicaine contre un crypto-wokisme, est pour le moins inquiétante…
Corbière et Garrido font partie des gens qui, pour l’instant, se taisent mais qui n’en pensent pas moins. Ce sont à mon avis des laïques. Il y a une forme d’union sacrée des gauches derrière Mélenchon. Les laïques insoumis attendent leur heure. En réalité, si Mélenchon arrivait au pouvoir, rien ne prouve qu’il irait dans le sens d’un soutien à l’islamisme.
Ce glissement vers l’islamo-gauchisme n’est donc pas une colonne vertébrale idéologique ?
Non. Qu’il fasse des alliances tactiques pour gagner des voix, c’est certain ; mais son ADN et son parcours excluent cela. Mélenchon est d’une culture de gauche « old school », le vieux progressisme de gauche. Il a laissé des pro-woke entrer dans les Insoumis, parce qu’il voulait avoir le maximum de gens autour de lui. Il s’est laissé envahir, car il souhaite rassembler. Mais il ne faut pas réduire Mélenchon à l’islamo-gauchisme. En réalité, sa grande faiblesse, c’est son âge. Combien de temps pourra-t-il tenir ses troupes ?
Les Insoumis laissent volontiers entendre que, s’ils perdent le troisième tour des élections législatives, ils feront le quatrième dans la rue. N’a-t-on pas des raisons de juger ce mouvement plus dangereux pour la République que celui de Marine Le Pen ?
Pour l’instant, ce mouvement est contrôlé par Mélenchon. Il y a toujours eu, à gauche, une étrange schizophrénie. Même du temps de Mitterrand, et encore sous Hollande, les discours radicaux se conjuguaient à une politique modérée, voire centriste. Il y a quelques années, une exposition sur le Front populaire organisée à la mairie de Paris rendait hommage aux grandes figures de la gauche : il y avait Rosa Luxemburg, Jean Jaurès et François Mitterrand, mais pas Guy Mollet… C’est dommage, car lui aussi était socialiste.
Vous pensez qu’une fois au pouvoir ces gens-là seraient beaucoup plus pragmatiques ?
Je n’en sais rien. Ce qui est valable avec les socialistes d’antan ne l’est sûrement pas pour les Insoumis. Il y a chez eux des gens qui proviennent de l’extrême gauche et d’autres qui y sont encore. Mélenchon a mis de l’eau dans son vin, mais je crois qu’il pourrait vraiment quitter l’UE et l’OTAN.
Et quand il annonce qu’au-delà d’un certain niveau de richesses, il prend tout, il est sérieux ?
C’est possible aussi.
Cette radicalité-là ne risque-t-elle pas de l’éloigner du pouvoir ? Il est paradoxal que, dans un pays qu’on disait de plus en plus à droite, on ait le sentiment que la gauche a gagné l’élection présidentielle.
Les Français sont très complexes : ils veulent la sécurité de la vie quotidienne, donc ils votent à droite ; mais ils veulent aussi la sécurité sociale, donc ils votent à gauche. Ils veulent le beurre et l’argent du beurre. C’est pour cela qu’un centriste qui offre tout a des chances de l’emporter.
Le caractère emporté de Mélenchon est-il un handicap ?
Il est sûr qu’il y a chez lui une forme d’ubris. Il apporte au débat public une certaine dose de polémique et de parano. Pour beaucoup d’électeurs, cette intempérance est une source d’inquiétudes. Imaginez qu’il se retrouve à pouvoir appuyer sur le bouton nucléaire et que, dans un coup de folie, il le fasse. Quand on voit son caractère sanguin on peut honnêtement se demander s’il serait capable de se contrôler.
À paraître en octobre 2022 : Ils l’appelaient monsieur Hitler : enquête sur les hitlériens français 1920-1945, Perrin.