Panne dans le recrutement, incapacité du système à remplir les postes mis au concours, et en urgence procédures de « job dating » dans l’Académie de Versailles. Un vent de panique souffle sur l’Éducation Nationale, estime notre chroniqueur.
Le rectorat de Versailles inaugure donc la nouvelle politique de recrutement : un entretien d’embauche, 20 minutes et roule la galère — et galère est bien le mot. Il suffit pour se présenter d’avoir une licence de quoi que ce soit, même si cela n’a aucun rapport avec les matières enseignées. Psycho ? C’est bon, vous leur apprendrez à compter. Socio ? Excellent, vous leur apprendrez à lire. Droit ? Pas de problème, vous leur enseignerez l’anglais.
Il y a urgence, en particulier dans le premier degré. Un « professeur des écoles » absent, cela se voit — puisqu’il est absent toute la journée, toute la semaine. À toutes les heures. Ça se remarque davantage qu’un prof de collège, une heure ou deux par-ci par-là.
Comment en est-on arrivé là ?
Nous sommes toujours dans la dynamique du départ à la retraite des enseignants nés pendant le baby-boom — fin des années 1950, début 1960. Et ça va durer encore un certain temps, ils ont été recrutés du milieu des années 1970, en plein « collège unique », à la fin des années 1980, où pour se concilier les enseignants, qui votaient alors Mitterrand comme un seul homme, on a assez largement ouvert le recrutement.
Le problème, c’est que l’on n’a pas de vivier de remplacement. Dans une majorité de concours, le nombre de candidats était inférieur au nombre de postes. Pour ne rien dire du nombre d’admissibles, après des écrits où pourtant la plus grande mansuétude est de rigueur — si je puis dire.
Le Vespéral s’est penché sur la question, et a interrogé présidents et membres de jurys. Le nombre de candidats en baisse « a un impact mécanique sur le niveau du concours », détaille Xavier Sorbe, le président du jury de Capes de mathématiques – où seuls 817 candidats sont admissibles cette année, pour 1 035 postes. « Lorsque les candidats sont moins nombreux, il y a forcément moins de bons profils ». Je ne le lui fais pas dire.
Violaine Morin continue son reportage. « « Honnêtement, le niveau est très faible », s’alarme une professeure (1) des écoles membre du jury pour le concours du premier degré dans l’académie de Créteil, qui ne souhaite pas donner son nom. Dans cette académie, la note du dernier au concours des professeurs des écoles serait de 6/20 – ce que le rectorat refuse de confirmer. « Je vois des copies bourrées de fautes d’orthographe, sur lesquelles je me demande comment les candidats sont arrivés jusqu’au master. » Cette correctrice assure que le faible nombre d’admissibles à Créteil cette année (ils sont 521, pour 1 079 postes ouverts) est d’autant plus préoccupant que « la consigne a été donnée de noter large, en évitant d’éliminer les candidats dès l’écrit ». »
À part ça, le niveau ne baisse pas… Ni celui des maîtres, ni, par voie de conséquence, celui des élèves. Parce qu’en vérité je vous le dis : on ne peut enseigner qu’à condition d’en savoir dix fois, cent fois plus que les élèves, qui d’ailleurs ne reconnaissent vraiment que le savoir.
Les candidats recrutés enseigneront à vos enfants, voilà la réalité. Les candidats repêchés au « second concours » (organisé en Île-de-France à l’intention de postulants recalés en province, dont le niveau s’avère légèrement supérieur à celui des candidats de banlieues parisiennes) enseigneront à vos enfants. Les candidats recrutés en « job dating » enseigneront à vos enfants — sans connaissances, sauf accident, sans préparation ni formation. L’essentiel, n’est-ce pas, est qu’il y ait un adulte devant chaque classe.
Pour y faire quoi ?
On ne colmatera pas éternellement les brèches, parce que ce sont des gouffres. Non seulement il n’y aura pas toujours d’enseignant face à vos enfants, à la rentrée, mais ceux qui seront là seront en suspicion légitime. Voilà des années que je conseille, ponctuellement (pas question que l’on me confie une formation réelle, je ne suis pas assez dans le moule pédago, je préfère distiller des connaissances réelles que du vent) la plupart de mes nouveaux collègues de Lettres, pendant que mes collègues mathématiciens apprennent à leurs homologues frais émoulus de la Machine universitaire comment on fait une division.
Que faire ?
D’abord, et c’est une évidence, renoncer à faire passer les concours à Bac + 5. Cette procédure censée unifier le métier (un seul corps de la maternelle à l’Université, plaidaient Langevin-Wallon après-guerre, et les syndicats dits de gauche s’accrochent à cette idée) dissuadent les étudiants les plus pauvres à continuer des études pendant lesquelles ils ne gagnent rien en vue de passer un concours fort aléatoire, étant entendu que si vous ne vous pliez pas aux diktats des petits gauleiters qui gèrent les INSPE (ex-ESPE, ex-IUFM), vous risquez fort de vous retrouver le bec dans l’eau. Comme dit le SNES : « La réforme de la formation des enseignant-es qui entre en vigueur cette année a restreint le vivier d’étudiant-es de la session de concours 2022, du fait du déplacement du concours du M1 (jusqu’en 2021) au M2, sans aucune mesure transitoire. » (2)
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Il faut parallèlement ouvrir une formation spécifique Enseignement dès la deuxième année de fac — une formation qui sera dispensée par des profs généralistes, pas des spécialistes de la recherche du poil de cul transgenre dans les manuscrits du XIVe siècle. Nombre de bons agrégés en sont capables.
Tertio, il faut impérativement qu’aucun premier salaire ne soit inférieur à 2000 euros net — sans nécessairement que l’augmentation initiale se répercute uniformément sur toute la chaîne d’ancienneté. Introduire une part de rémunération au mérite (le vrai mérite, pas celui d’obéir aveuglément à l’Inspection) est une hypothèse sur laquelle il faut travailler.
J’entends d’ici protester ceux qui trouvent qu’un tel métier, avec tant de vacances et si peu d’heures de présence, ne mérite pas un salaire inférieur d’un tiers à celui d’un garçon de café marseillais. Je suggère à mes détracteurs de venir faire cours, au niveau qu’ils préfèrent, pendant un mois. Après on causera. Si d’ailleurs le métier était si attractif, s’il était la sinécure que présentent les piliers du Bar des Copains, il n’y aurait pas de problème de vocations.
Quarto, il faut régionaliser tous les concours de recrutement, sur le modèle de ce qui se fait pour le primaire. Il est très dissuasif, quand vous habitez Pau, de savoir que si vous réussissez, vous aurez à vous loger pendant dix ans au moins en Seine-Saint-Denis, et que grand-maman prendra le TGV pour venir garder les mômes le mercredi matin. C’est l’une des propositions de mon dernier livre, mais comme disait Edgar Faure, « avoir toujours raison, c’est un grand tort. »
Enfin, il faut décréter la tolérance zéro envers les agaceries (ça, c’est un euphémisme !) des élèves et des parents. Et de certains inspecteurs, qui ne valent pas la corde pour les pendre.
Le problème, quoi qu’en pensent les syndicats, n’est pas le nombre de places offertes au concours. Le problème, c’est l’état dans lequel vous arrivez devant les élèves. Le problème est qualitatif, pas quantitatif. Nous voulons de bons enseignants — pas des enseignants à n’importe quel prix. Parce qu’à recruter (pour pas cher) des intérimaires et des « adjoints d’enseignement », on fait bien des économies ponctuelles, mais c’est l’avenir qui présentera la note. Et vos enfants prendront cher.
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- C’est à ce genre de fantaisie graphique que l’on distingue un article du Monde d’un papier de Causeur, où globalement nous respectons la langue tout en lui faisant des enfants.
- C’est à ce genre de fantaisies graphiques proprement indicibles que l’on sait que l’on cite un syndicat de gauche, et pas un auteur de Causeur écrivant en français.
Elisabeth Lévy sur l’autorité à l’Education nationale et la perte de sens du métier d’enseignant
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