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Isolé, Darmanin recompte les faux billets

Le scandale des violences autour du Stade de France n’en finit pas


Isolé, Darmanin recompte les faux billets
La ministre des Sports Mme Oudea-Castera et le ministre de l'Intérieur M. Darmanin s'expriment devant les journalistes, Paris, 30 mai 2022 © Jacques Witt/SIPA

Le ministre de l’Intérieur ne parvient pas à calmer les polémiques autour de l’organisation chaotique de la finale de la Ligue des Champions en Seine-Saint-Denis, samedi. Ni le président de la République ni les autres ministres ne se pressent pour le soutenir. La colère des Français inquiétés par l’ensauvagement de leur société (et des Anglais, désignés comme les principaux fauteurs de troubles le soir des incidents) ne retombe pas. Le Rassemblement national qualifie le ministre de « menteur pathologique ». L’analyse politique de Céline Pina.


La France se targue d’être la septième puissance mondiale. Samedi, en accueillant la finale de la Ligue des Champions, elle a surtout démontré qu’elle était incapable d’organiser dans de bonnes conditions un match de football.

Les faits sont là et même si notre orgueil national peut trouver saumâtre les railleries de la presse étrangère, force est de reconnaître que le chaos dont témoignent sur les réseaux les supporters tant anglais qu’espagnols a de quoi révolter. Au-delà de la mauvaise organisation qui a empêché nombre de supporters de rentrer dans le stade, ceux-ci racontent les attaques dont ils ont été victimes par des meutes de jeunes venus de cités avoisinantes avant et après le match. Des témoignages que confirment les policiers sur le terrain. Ils évoquent des bandes très organisées, se mettant parfois à huit ou neuf pour détrousser leurs cibles, et pointent la grande représentation de jeunes d’origine africaine. Abdoulaye Kanté évoque, lui, des migrants parmi les agresseurs, ce que les arrestations et comptes rendus des comparutions immédiates publiées par la presse confirment.

La réputation de la France prend un coup terrible

Ce qui est sûr, c’est qu’on ne retrouve pas une majorité de supporters anglais parmi les personnes interpellées. À se demander où sont passés ces 30 à 40 000 supporters anglais qui seraient venus avec des billets falsifiés et à qui Gérald Darmanin reproche d’être responsables de la violence comme de la pagaille constatée. Le chiffre avancé par le ministre de l’Intérieur est d’ailleurs tellement outrancier qu’il n’apparait même pas crédible et dévalue encore la parole et la réputation de la France.

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C’est cette affirmation aussi insultante qu’invérifiée qui a de quoi inquiéter la communauté internationale sur la capacité de la France à organiser dans de bonnes conditions la Coupe du monde de rugby de l’année prochaine comme les JO de 2024. En effet, ce fiasco devrait amener la France à s’interroger sur sa politique de maintien de l’ordre et sur sa capacité à assurer la sécurité des biens et des personnes. Or, en préférant accuser les supporters anglais, le gouvernement témoigne de son refus de tirer les leçons de son échec. Désigner un coupable pour s’exonérer de ses fautes, c’est refuser explicitement de changer sa façon d’agir. Pour continuer à s’enfoncer dans l’erreur, c’est idéal.

La délinquance du 93 semble inarrêtable

Mais cette violence parle aussi de notre quotidien, de la sauvagerie qui monte et de la réalité de l’existence de zones de non-droit aux portes de Paris, comme de la dérive incontrôlée de certaines villes. La question qui se pose ici est de savoir si l’État a encore les moyens de faire régner l’ordre public à quelques kilomètres du centre névralgique du pouvoir. Cela parle aussi de l’échec d’une politique qui voit dans le délinquant une victime, et qui investit dans des stratégies de compensation: l’implantation d’équipements publics majeurs dans les zones défavorisées en fait partie.

Le but de ces investissements est symbolique, montrer à ces zones qu’elles comptent, les tirer vers le haut et pousser au mélange des populations, au moins à l’occasion d’évènements prestigieux. Le risque étant que, si la sécurité n’est pas assurée, ce soit l’effet inverse qui se produise…

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Les évènements du stade de France ont fait la preuve par l’exemple que ces zones deviennent effectivement infréquentables, et que ces investissements ne servent pas à grand-chose, si ce n’est à procurer à des voyous des proies faciles à dépouiller. Quand à cela s’ajoute le déni de réalité des politiques jusqu’au plus haut niveau de l’État, on peut craindre que la contagion ne progresse. 

« Saint-Denis, ce n’est pas Paris »: que n’avait pas dit Thierry Henry!

Un épisode illustre bien cette réalité. Invité à s’exprimer sur une plateforme de streaming américaine, Paramount plus, Thierry Henry avait rappelé le mois dernier que « Saint-Denis, ce n’est pas Paris. Croyez-moi, vous ne voulez pas être à Saint-Denis, ce n’est pas la même chose que Paris ». Pour avoir simplement exprimé une vérité qui connaissent tous les Français, l’ancien champion du monde de football avait reçu les foudres du maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin : « Le mépris avec lequel vous avez caractérisé notre ville n’est pas acceptable. Nous ne sommes pas Paris, mais nous ne sommes pas infréquentables pour autant ». La suite a confirmé que Thierry Henry avait raison. Quant au réflexe de victimisation du maire de Saint-Denis, il participe aussi de l’impossibilité de changer la donne sur ces territoires par refus d’accepter la réalité de ce qui s’y passe. Et c’est un malheur collectif. Pour les habitants de ces zones de non-droit, qui aspirent à l’ordre public et subissent la loi des voyous pendant que leurs représentants, par souci de ne pas stigmatiser, finissent par refuser d’agir contre les comportements déviants. Pour tous les Français qui voient s’étendre comme une tache d’huile les territoires où il devient dangereux d’aller et difficile de vivre, et qui doivent continuer à subir les leçons de morale des élus qui transforment les auteurs de violences en victimes de discriminations.

Les scènes qui ont eu lieu aux abords du stade de France ne sont pas dignes d’une nation civilisée. Mais si les ministres concernés n’ont déjà plus le courage de réagir et bottent en touche, alors ces scènes ne parlent pas d’une faute à laquelle il est possible de remédier, mais d’un avenir peu réjouissant dont elles sont l’augure.




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Ancienne conseillère régionale PS d'Île de France et cofondatrice, avec Fatiha Boudjahlat, du mouvement citoyen Viv(r)e la République, Céline Pina est essayiste et chroniqueuse. Dernier essai: "Ces biens essentiels" (Bouquins, 2021)

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