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Elle prend quoi Lola Quivoron, au petit déjeuner?

A Cannes, la réalisatrice esthétise la violence des rodéos sauvages qui minent de nombreux quartiers


Elle prend quoi Lola Quivoron, au petit déjeuner?
La réalisatrice Lola Quivoron au Festival de Cannes, 20 mai 2022 © JPPARIENTE/JMHAEDRICH/SIPA

La réalisatrice Lola Quivoron déplore que le terme “rodéo sauvage” soit connoté négativement. Selon elle, les voyous du bitume, qui cassent les oreilles de nombreux voisinages et narguent la police, sont des Michel-Ange de la rue à prendre en considération. Notre chroniqueuse y voit une preuve ultime de la déconnexion entre des élites cannoises bavardes et le peuple.


À l’occasion de la projection de son premier long métrage, “Rodeo”, présenté dans la sélection Un certain regard à Cannes, la réalisatrice Lola Quivoron a donné une interview sur Konbini en début de semaine qui témoigne d’un parti pris idéologique inconséquent, mais révèle aussi la déconnexion flagrante entre d’un côté la France des paillettes qui va bien, et de l’autre la France ensauvagée.

Le film raconte l’intégration d’une jeune fille dans une bande de bikers adeptes de rodéos sauvages, pratique qui consiste à soulever sa moto et à faire des acrobaties en roulant à fond sur la chaussée.

Dans la France des zones de non droit, soulever sa bécane à la barbe des policiers fait désormais partie des rites initiatiques d’une certaine jeunesse – comme être un bon chouffe. On mesure le temps parcouru dans notre glorieuse histoire : autrefois, le passage à l’âge adulte consistait à démontrer son courage de guerrier, ou à suivre les chemins de la carte du tendre pour gagner le cœur de la personne aimée…

Mais revenons à notre réalisatrice qui se vit comme une rebelle par procuration. Lola Quivoron est en quelque sorte la version féminine de Mathieu Kassovitz. Elle ne supporterait peut-être pas cette comparaison, elle qui s’autoproclame dans un entretien donné récemment à Marie-Claire « neutre, ni fille ni garçon. » Il parait que c’est à la mode

Une belle pratique criminalisée ? Bah voyons…

En tout cas, lorsqu’il s’agit des policiers, elle délaisse cette neutralité de genre pour adopter une radicalité idéologique qui ne déplairait pas aux militants décoloniaux et indigénistes d’extrême gauche, toujours prêts à hurler leur haine antiflic à toutes les manifs d’Assa Traoé. Lola Quivoron dénonce dans les rodéos de rue une « une pratique criminalisée à mort » et met en cause la responsabilité des policiers « qui prennent en chasse et qui poussent les riders vers la mort ». C’est bien connu : lorsque les braquages se passent mal, c’est à cause des otages qui se débattent !

Ses propos illustrent de manière limpide une complète inversion des valeurs, les policiers seraient les vrais criminels et les délinquants les victimes. Loin de moi l’idée de remettre en cause la liberté artistique (le film vient de sortir, et sa réalisatrice ne devant pas être mécontente du raffut provoqué par ses propos), mais ces déclarations sont non seulement fausses et inconséquentes, mais surtout en décalage total avec la réalité du terrain. Depuis les émeutes urbaines de 2005 et le drame survenu à Villiers-le-Bel en 2007 (où les violences urbaines avaient éclaté à la suite de la mort de deux adolescents sur moto cross rentrés en collision avec une voiture de police), l’ordre donné le plus souvent aux forces de l’ordre est de ne pas intervenir et dans les cas des rodéos sauvages de ne pas poursuivre. Devant cette inaction volontaire de la force légitime, la lutte contre les rodéos s’est plutôt menée sur le terrain législatif avec une loi de 2018 portée par le député Natalia Pouzyreff qui fait du rodéo urbain un délit spécifique puni d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende – et aggravé quand il est commis en réunion ou sous l’emprise d’alcool ou de drogue et lorsqu’il y a récidive. Mais en dépit de cet arsenal législatif plus répressif, et des opérations anti-rodéos menées par les forces de l’ordre et les 1400 condamnations prononcées en 2021 dont se targue le ministère de l’Intérieur (sans qu’on sache si elles ont été exécutées), la pratique n’a eu de cesse de se développer à tel point qu’elle est devenue le symbole de l’impuissance de l’État.

Les vraies victimes

Mais ce qui interpelle le plus, c’est qu’au-delà de faire l’apologie d’un délit, Lola Quivoron n’a pas le moindre mot pour les véritables victimes de ces rodéos urbains qui sont les habitants des quartiers. Enfin, les propos tenus par la réalisatrice branchée ont aussi été jugés indécents car le rodéo tue.

Oui, et les victimes sont parfois aussi à déplorer du côté des passants, et pas seulement chez les kékés perchés sur leurs motos cross ! Mettre en scène « la bike life » sur les écrans, c’est une chose, mais dans la vraie vie c’est aussi la « bike death »avec des accidents graves qui s’accumulent. En 2021, il y a eu trois morts. Dimanche 22 mai, encore, un enfant de cinq ans a été gravement blessé à Pantin. Quant aux forces de police, elles font les frais des refus d’obtempérer de plus en plus nombreux (un toutes les 20 minutes).

Mais à entendre Lola Quivoron, les chauffards qui pétaradent jusqu’à pas d’heure sous les fenêtres d’habitants épuisés par cet enfer sonore sont en quelque sorte des artistes de la roue qu’il faut savoir entendre… En faire des Michel-Ange du bitume ne va en tout cas pas arranger le sentiment d’impunité qui les habite.

Face à ces nuisances insupportables, à cette insécurité flagrante, les habitants de certains quartiers finissent même par déménager pour fuir l’ensauvagement. C’est ce qui se passe d’ailleurs dans le centre de Lyon qui se dépeuple à vitesse grand V. Joint par téléphone pour Causeur, l’avocat de « Presqu’ile en colère » et « Guillotière en colère », deux associations de riverains, Me Edouard Raffin, affirme que « sur 400 plaignants, 60 ont déjà fait leur valise » ! Le refus du tribunal administratif de Lyon de reconnaître leurs plaintes, portant sur les défaillances de l’État et de la mairie quant à leurs missions d’assurer la sécurité et la tranquillité publique, n’a pas dû les convaincre de rester. La capitale des Gaules serait-elle devenue un vrai Far west où les gangsters sur bécane ont imposé leur loi ? On se souvient l’an dernier des Daltons, ce gang de racailles mi-rappeurs mi-dealers, en tout cas chauffards, qui paradaient sous les fenêtres du maire écolo Grégory Doucet, levant leur bécane en signe de bras d’honneur phallique, défiant toute autorité.

Ovationné sur la Croisette par la caste mondaine de la cinéphilie en mal de sensations fortes, “Rodeo“ sera donc peut-être boudé par les habitants de quartiers entiers pris en otage, qui rêvent en secret qu’un rodéo sauvage ait un jour lieu sous les fenêtres de l’Élysée. Pour célébrer la fête de la Musique, pourquoi pas ?




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