Une tribune libre de Charles Beigbeder, entrepreneur et président de la Fondation du Pont-Neuf.
Plus personne n’ignore que le conflit en Ukraine a très fortement accéléré la hausse brutale des prix du pétrole, du gaz et de l’électricité dont nos économies avaient déjà subi l’impact à la fin de l’année dernière. Les tentatives maladroites de l’Union européenne pour sanctionner la Russie sans pénaliser de manière excessive l’économie allemande ont du moins eu le mérite d’imposer aux médias un sujet habituellement réservé aux seuls experts : celui de l’approvisionnement de la France en énergie. Nos décideurs se trouvent désormais contraints de prendre clairement position sur les moyens de limiter l’impact de la crise actuelle sur le budget des ménages. Reste à savoir si cette tardive prise de conscience débouchera sur des choix politiques conformes aux intérêts de la France.
Il est heureux que les pouvoirs publics n’aient pas cherché à minimiser la gravité de la situation : Bruno Le Maire n’est-il pas allé jusqu’à la comparer au choc pétrolier de 1973 ? Malgré tout, l’inquiétude monte dans l’opinion. Nos dirigeants ont donc déployé des trésors d’imagination et des ressources budgétaires apparemment sans limites dans l’espoir d’apaiser la colère des électeurs. La Commission européenne a proposé pour sa part de regrouper les achats d’hydrocarbures des pays de l’Union. Ce projet a été accueilli avec scepticisme : l’expérience des achats de vaccins a démontré ce que vaut la solidarité européenne. L’efficacité d’un tel mécanisme paraît d’autant plus douteuse que nos autres fournisseurs de gaz (Norvège, Algérie) n’ont pas la capacité de compenser les 140 milliards de mètre cubes de gaz russe importés chaque année (40% de la consommation européenne). Quant au GNL importé des Etats-Unis ou du Qatar, il faudra des mois voire des années pour construire les terminaux méthaniers indispensables pour le regazéifier.
La confusion croit de jour en jour
Toujours prompt à la dépense, le gouvernement français a opté pour des solutions plus radicales. Depuis le début avril, les consommateurs et les entreprises bénéficient d’une remise de 18 centimes par litre de carburant qui nécessitera, d’ici au 31 juillet, un financement de 3 milliards d’euros, en partie couvert par le surplus des revenus fiscaux. Cette remise s’ajoute aux autres dispositifs déjà en place, dont le coût total devrait s’élever à 26 milliards. Il faut toutefois reconnaître que la France n’est pas le seul pays à mobiliser des ressources budgétaires pour protéger les consommateurs : la Grande-Bretagne a également prévu de dépenser l’équivalent de 11 milliards d’euros pour limiter la hausse des factures d’électricité attendue cette année.
A lire aussi Gil Mihaely: Le XXIe siècle sera nucléaire ou ne sera pas
Malgré ce volontarisme politique, la confusion croît de jour en jour. C’est que l’embargo plus ou moins strict imposé aux importations de gaz russe n’est qu’un facteur, parmi d’autres, de la crise actuelle. Dans son rapport du 4 avril, le Conseil d’Analyse Economique estime d’ailleurs que cette mesure n’entraînerait qu’une baisse minime de notre activité économique (-0,3%). La reprise de la demande, des ruptures répétées dans les chaînes d’approvisionnement ou la mise en œuvre des nouvelles réglementations européennes avaient créé, bien avant l’invasion de l’Ukraine, de profonds déséquilibres. Faut-il rappeler que le baril de pétrole avait déjà augmenté de 65% entre février 2021 et février 2022 ?
Dans ces conditions, la concurrence entre responsables politiques pour proposer des solutions immédiatement applicables n’aide guère à résoudre un problème qui nécessite une vision de long terme. Depuis des années, notre politique énergétique se trouve confrontée à un défi majeur : permettre l’émergence de nouveaux opérateurs alternatifs sans affaiblir EDF. Le compromis de l’ARENH établi en 2011 donne l’obligation à EDF de vendre aux fournisseurs alternatifs environ 30 % de la production du parc nucléaire historique (soit 100 TWh), à un prix qui était censé assurer la rentabilité de nouveaux investissements dans le nucléaire. Il y a trois mois, en réponse à la hausse des prix observée depuis la fin de l’année dernière, le gouvernement a augmenté de 20 TWh le volume d’électricité vendu au titre de l’ARENH, entraînant un surcoût de 8 milliards pour l’opérateur historique.
Cette décision intervient au pire moment pour EDF : compte tenu de divers problèmes techniques, l’arrêt de 11 réacteurs nucléaires fera baisser d’au moins 10% la production d’électricité nucléaire en 2022. Ce déficit de production devra être compensé par des achats sur le marché européen, à un moment où celui-ci a été fortement perturbé par une conjonction de facteurs exogènes entraînant une hausse soudaine des prix à court terme – ce qui peut se concevoir – mais aussi hélas à moyen terme – plus surprenant – pour s’aligner sur le prix des centrales à gaz (soit 20% de la production européenne globale, mais moins de 10% en France). Alors que nos 18 centrales nucléaires fournissent une électricité décarbonée et relativement bon marché, on peut comprendre l’absurdité économique du mécanisme de 2011 devenu désormais totalement déséquilibré.
Revirement macronien
Ce mécanisme doit être remplacé par une ouverture du parc nucléaire aux opérateurs alternatifs pour de nouveaux investissements. Sous l’égide d’EDF bien entendu, puisque le consensus national implicite implique que l’opérateur historique conserve le monopole de l’exploitation du nucléaire électrique. Les opérateurs alternatifs se verront en lieu de l’ARENH proposer de co-investir aux côtés de EDF au sein des nouveaux réacteurs EPR. Seule une vraie prise de risque industrielle pourra leur procurer l’avantage du nucléaire.
Après avoir longtemps défendu l’objectif d’une réduction de la part du nucléaire à 50% de la production française, Emmanuel Macron semble aujourd’hui se rallier à l’idée d’un renforcement de la filière nucléaire, annonçant la construction de six EPR de deuxième génération (pour un coût chiffré à 46 milliards d’euros, à financer…) et prônant à demi-mot la renationalisation d’EDF. Ce revirement est à mettre au compte des miracles qui ne manquent pas de se produire en période électorale. Cependant, n’oublions pas que ce genre de bonnes intentions se juge sur le long terme : il faut au moins dix ans entre la décision de construire un réacteur et sa mise en service. Ce délai ne sera pas de trop pour organiser l’ouverture minoritaire des tours de table des futurs EPR…Rappelons également que ces réformes devront être défendues au sein des institutions européennes. Rien n’indique en effet que le Parlement européen ait renoncé à son opposition radicale à l’inclusion du nucléaire dans la « taxonomie des investissements verts » publiée par la Commission le 2 février dernier.
Qu’adviendra-t-il si la France échoue à faire prévaloir sa position ? Il ne nous restera plus alors – comme le président de la Commission de Régulation de l’Énergie nous y invitait dans une interview du 28 mars – qu’à « baisser le chauffage, la climatisation, les lumières » en prévision des hivers difficiles qui nous attendent.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !