Rudy Ricciotti n’est pas seulement un architecte mondialement célèbre. Derrière ses coups de gueule contre Paris ou sa profession, se cache un homme épris d’absolu. Son Manifeste légionnaire est un chant d’amour à la France et à un corps d’élite qui porte haut ses valeurs et ses couleurs : la Légion étrangère.
De Rudy Ricciotti, on connaît l’architecture – en tout cas les œuvres les plus célèbres, comme le Mucem à Marseille ou le département des Arts de l’islam du Louvre –, les coups de gueule contre l’intelligentsia parisienne ou ses confrères, qui parcourent la plupart de ses ouvrages, comme L’Exil de la beauté ou L’architecture est un sport de combat. Les initiés savent que ce colérique romantique entretient avec le sacré un rapport intime exprimé par la transgression, qu’il met parfois en scène dans des installations vivantes réalisées avec sa poétesse d’épouse, Myriam Boisaubert. Le public a pu découvrir dans les nombreux reportages qui lui sont consacrés la vue renversante sur les calanques de Cassis qui sont son décor quotidien – un décor où on imagine sans peine Ulysse descendre de son navire.
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Avant la parution de son Manifeste légionnaire, peu de gens savaient, en revanche, que cet anar patriote, bourru et solaire a une passion pour la Légion étrangère, un corps d’élite dont il est colonel au titre de la Réserve citoyenne. On aurait tort d’y voir un paradoxe ou une incongruité. Car Rudy Ricciotti est un amoureux de la France, ou plutôt d’une certaine idée de la France : celle qui ne fait pas la différence entre le riche et le pauvre, le métèque et le descendant des Croisés, qui honore autant le maçon que le savant et sait que la liberté va de pair avec l’engagement. Républicain de toutes les fibres de son âme, Ricciotti a peut-être tendance à oublier que la France, comme la Légion, est née avant la République et sans doute fait-il trop de cas de ces fameuses valeurs, tellement brandies qu’elles deviennent une ritournelle. Mais il est vrai que chaque légionnaire les vit charnellement, existentiellement, à l’entraînement comme au combat.
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Tous ceux qui ont le privilège de découvrir la Légion étrangère sentent immédiatement qu’elle est la France dont nous sommes beaucoup à rêver et dont nous nous sentons orphelins, ce pays dont on devient citoyen par amour de son histoire, de sa langue, de sa devise. Venus du monde entier, les légionnaires la servent avec « honneur et fidélité », ces traits de caractère qui font cruellement défaut à notre société d’individus où, écrit Riciotti « tout devient mesquin au lieu d’être républicain ». Avec ce petit livre vigoureux et amoureux, ce fils d’immigré italien né en Algérie, comme la Légion, ainsi que le remarque le général Lardet, le « père Légion » (commandant de la Légion étrangère) dans sa préface, honore la dette contractée auprès de ces soldats qui l’ont accueilli dans leur fraternité comme lui les accueille à sa table.
Malgré son talent et la reconnaissance mondiale dont il jouit, son métier d’architecte n’a pas comblé son besoin d’absolu : « Architecte, c’était pour l’étudiant que je fus la perspective d’un destin flamboyant, un souffle guerrier capable de chahuter la médiocrité. À l’heure du bilan, je dois malheureusement constater le règne frêlement précipité de l’inconsistance à tous les étages. […] Le métier d’architecte, a presque tout perdu de sa noblesse. » À la Légion, Ricciotti a rencontré ce que ses confrères ne sont plus : des bâtisseurs épris de quelque chose de plus grand qu’eux, animés par la volonté farouche d’accomplir la mission, quoi qu’il en coûte.
Au fil des chapitres, on découvre chaque régiment légionnaire avec ses traditions, ses rituels et ses domaines d’excellence, on croise Cendrars, Malaparte et bien d’autres étrangers qui, ayant appris à aimer la France comme une seconde patrie, sentirent « le besoin impérieux de lui offrir leur bras », comme l’écrivit Cendrars en août 1914, quelques mois avant de perdre le sien dans les tranchées. On se prend aussi à se demander avec angoisse si la Légion étrangère n’est pas une survivante en sursis, un anachronisme condamné par l’aplatissement du monde. Non, répond Ricciotti, la Légion, c’est « une histoire d’avenir éclairée par le passé ». Un fleuron français qui nous enseigne une façon universelle d’être au monde. Alors merci colonel, et que vive la Légion !
Rudy Ricciotti, Manifeste légionnaire, 88 pas-minute au service de la démocratie, NBE éditions, 2021.