Monsieur le président, de quoi ou de qui devez-vous être le garant ? Monsieur le président, j’ai le droit de vous poser cette question. L’article 64 de la Constitution fait de vous « le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire » mais n’êtes-vous pas seulement devenu le protecteur de votre garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti ?
Peu m’importe que le résultat des élections législatives rende peut-être provisoire sa confirmation comme ministre. De toutes façons c’est un scandale judiciaire et démocratique dont, même en connaissant votre goût de la provocation et votre mépris pour la normalité républicaine, je ne vous aurais pas cru capable.
J’ai eu tort car avec vous il arrive que le pire soit sûr : en effet il y a quelque chose qui dépasse de très loin ce qu’une conception équilibrée du pouvoir devrait imposer et qui est tout simplement, chez vous, la volupté narcissique de prendre la Justice et la démocratie à contre-pied. De les effacer car c’est votre bon plaisir.
Parce qu’il convient de l’admettre : vous détestez la magistrature au point de me conduire à banaliser la foucade de Nicolas Sarkozy sur les « petits pois » en 2007 par rapport à ce choquant maintien, contre tout ce qui aurait dû le rendre impossible, d’Eric Dupond-Moretti à ce poste.
Vous aviez naturellement fait un coup qui était une déclaration de guerre, en nommant un avocat brillant et tonitruant ayant sans cesse vilipendé et méprisé la magistrature. Etonnant paradoxe que de convier le loup dans la bergerie et l’opposant dans un univers dont il aurait la charge d’assurer la défense et de veiller à son respect.
Qui pouvait penser qu’après deux ans d’un mandat ministériel ayant démontré l’absurdité d’un choix dont les effets redoutables et délétères ont été sans cesse constatés – malgré la délégation des affaires sensibles à Jean Castex -, Eric Dupond-Moretti serait ainsi renforcé ?
Lorsqu’une première expérience s’avère un fiasco, la renouveler relève de la malfaisance préméditée et de ce que je n’hésiterai pas à nommer de mauvais traitements à magistrats et à citoyens.
On aurait déjà pu s’inquiéter en constatant qu’il ne se présenterait pas aux législatives et en apprenant que depuis votre réélection il faisait « le forcing » auprès de vous. Alors qu’on ne lui avait rien demandé, il flattait la Première ministre dès sa nomination, ce qui n’était pas neutre. Mais de là à concevoir cette lamentable pantalonnade républicaine qui vous constitue comme le gardien exclusif d’une personnalité à sauver puisque précisément un large consensus aspirait à son exclusion, on était loin du compte.
Cependant ce n’était pas faire preuve de malignité et de de mauvaise foi – bien au-delà de toute animosité singulière, aussi justifiée qu’elle soit – que d’estimer impossible, de la part d’un président de la République, la sauvegarde d’un ministre tellement peu en accord avec l’urbanité démocratique, si peu sensible aux apparences de l’impartialité, faisant l’objet de réquisitions de renvoi devant la commission d’instruction de la Cour de Justice de la République par le parquet général et n’ayant pas eu, le moins qu’on puisse dire, dans ces circonstances, la réserve et la courtoisie qu’un ministre, surtout de la Justice, aurait dû s’imposer…
Sauf à considérer par son garant, le président Macron, que ces péripéties étaient dérisoires, que les possibles conflits d’intérêt étaient inévitables et que seul comptait l’intérêt du conflit contre les magistrats. L’un et l’autre, le protecteur et le protégé, l’avaient engagé en connaissance de cause et le renouvellement d’Eric Dupond-Moretti, aujourd’hui, allait encore l’amplifier sur un mode encore plus acerbe.
Je crains que cette hypothèse soit pertinente malgré tous les bons apôtres accusant les magistrats d’avoir « commencé » alors qu’on a confié leur destin collectif à quelqu’un qui obsessionnellement avait pris les devants pour les attaquer.
Ce n’est plus une déclaration de guerre répétée, validée, confirmée que cette scandaleuse persistance d’Eric Dupond-Moretti place Vendôme. C’est une humiliation sans pareille de la magistrature et cela fera le bonheur de certains mais une énorme brèche dans un tissu démocratique déjà quotidiennement élimé.
Sans être naïf, je n’ose pas croire que c’est la politique menée en faveur des avocats – malgré des reniements par exemple sur la cour d’assises – qui a ainsi suscité votre indulgence incompréhensible, celle de Jean Castex hier. Et, je ne l’espère pas, d’Elisabeth Borne demain.
Je ne peux pas m’imaginer qu’en flattant votre veine sulpicienne ou partisane – visite aux prisonniers d’abord, plus de considération pour les coupables que pour les victimes, il n’y a pas d’insécurité mais seulement un sentiment, cracher en permanence sur Marine Le Pen et Eric Zemmour et donc mépriser la part importante du peuple qui les a soutenus, défaite cinglante dans les Hauts-de-France contre Xavier Bertrand – il ait pu s’attirer aussi aisément vos bonnes grâces.
Irais-je jusqu’à présumer que vous vous sentiez l’obligation immorale de le renouveler comme ministre puisque dans son état actuel il ne pouvait rien faire d’autre ?
Monsieur le président, vous avez commis une faute puisqu’à peine votre engagement prononcé sur un « nouveau mandat et une nouvelle présidence », vous nous démontrez que vos promesses ne lient que vous et qu’au moins sur le plan qui nous occupe vous n’êtes pas un homme de parole. Vous aimez trop garder près de vous ceux qui vous doivent tout. L’échec n’est rien, la fidélité est tout. Ainsi vous lui avez maintenu la tête dans votre pouvoir.
Comme nous avons les deux plus hauts magistrats de France qui donnent une superbe image de cette belle mission démocratique mais qu’ils sont respectueux et sans l’ombre d’une arrogance – bien loin du gouvernement des juges ! -, vous êtes assurés de ne pas les voir publiquement stigmatiser ce qui vient de se produire et qui n’est rien moins qu’une trahison à l’égard du corps dont vous êtes pourtant le garant de l’indépendance.
Mais, à l’évidence, votre hiérarchie n’est pas la nôtre.