Durant des siècles, l’art du pamphlet a aiguisé l’esprit français. Piquer, égratigner ou assassiner par le verbe un adversaire nécessite un talent que ne partagent pas tous les littérateurs. Dans un savoureux florilège, François Bazin présente son panthéon personnel. L’ai-je bien descendu ? Les politiques dans le viseur des écrivains (Bouquins, 2022).
Le pamphlet est une sorte de jeu de massacre qui remonte au XVIIe siècle, au cardinal de Retz précisément, père fondateur du genre, dixit François Bazin, l’auteur de cette anthologie de textes d’écrivains destinés à flétrir, moquer, voire fesser certains acteurs du monde politique.
Après Retz, puis le duc de Saint-Simon, le libelle assassin va faire fortune pour devenir une fantaisie littéraire assez courue. On voit alors les esprits les plus fins se disputer la clef du champ de tir. Un casse-pipe beaucoup moins fréquenté de nos jours, hélas, malheureuse époque où pèse un climat d’offuscation permanent qui nous astreint tous à une prudente bienveillance quasi obligatoire, car les fleurets sont mouchetés par la menace procédurière. Le pamphlétaire peut encore aboyer, mais il est prié de porter muselière. Pourtant, tout le plaisir du croquis vachard est là, dans l’ardeur mise à mordre ! Attention, la volonté de faire mal ne suffit pas, encore faut-il y mettre du style, et c’est sans doute pourquoi la droite littéraire a prospéré dans l’exercice avec une férocité gourmande.
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D’ailleurs, François Bazin puise largement dans ce groupe d’écrivains – Rebatet, Barrès, Maurras, Buisson, Léon Daudet, Morand notamment – pour composer, en partie, la liste des 56 auteurs qui peuplent son livre. On y trouve les vieux routiers, comme Balzac, Hugo, Céline, Bernanos, Giono, Mauriac, Stendhal, etc., quelques contemporains inattendus, comme Bayrou et Montebourg, ainsi que des trouvailles telles la comtesse de Boigne et sa saisissante peinture de Chateaubriand en prince égotique, ou Karl Marx qui voit dans Bonaparte un « grave polichinelle ». On y croise aussi de très brillants sujets, pourvus de plumes taillées pour l’abordage : Jean-Edern Hallier et sa véhémente Lettre ouverte au colin froid (pauvre Giscard !), Jean Cau (VGE : « Il a une case de trop »), Philippe Alexandre (Barre : « Il veut faire croire qu’il a du caractère alors qu’il n’a que des emportements »), Matthieu Galey (Mitterrand : « Un petit saurien en costume beige » ; Edgar Faure : « Simple raquette à renvoyer la parole »), Stéphane Denis (Chevènement : « Cet homme droit s’exprimait en courbes »), et bien d’autres encore qui ont le génie de la formule homicide et sont sans pitié pour leur cible.
Ces pistoleros font mouche à tous les coups. Si les autres tirent souvent à côté, c’est qu’ils n’y mettent pas assez de hargne ni de vivacité, car pour toucher, l’assaut doit être vif, bref et cinglant, comme celui d’un mousquetaire… Quand le billet est réussi, c’est une véritable gifle qu’un homme du peuple inflige à un parlementaire, un ministre ou un président. Ce soufflet, c’est l’orgueil de notre République ! Ah ! Si seulement l’essai de François Bazin pouvait nous aider à retrouver le goût des moqueries fines et de l’esprit de chicane ! Quand recroisera-t-on le fer avec la plume, comme jadis on le faisait avec l’épée ?
François Bazin, L’ai-je bien descendu ? Les politiques dans le viseur des écrivains, Bouquins, 2022.