D’après l’éditorialiste Thomas Legrand, si Zemmour a perdu, c’est à cause de… Bolloré. Et pas du tout à cause de la campagne digne d’une république bananière que nous venons de vivre…
Thomas Legrand, éditorialiste politique de France Inter et bobo autoproclamé qui déclarait en 2018 que « le bobo est à l’aise avec la mondialisation et s’intéresse peu à l’entre-deux, la nation » [1], a expliqué mardi dernier les raisons de la défaite d’Éric Zemmour. Il y en a deux, d’après lui : Poutine et surtout… Bolloré.
Quel problème d’identité française ?
Passons rapidement sur l’explication Poutine, avancée par Zemmour lui-même, pour ne retenir que la conclusion de l’éditorialiste, une charge obtuse contre l’idée de nation et d’identité s’appuyant sur une « vérité » qui reste à démontrer : « Que le candidat d’extrême-droite se soit à ce point trompé sur ce que le nationalisme et l’identitarisme produit toujours – brutalité et malheur – a détourné nombre d’électeurs simplement conservateurs. »
Si Zemmour a perdu, selon le journaliste, c’est surtout parce qu’il a « surdimensionné » le problème identitaire, en particulier avec son discours sur l’immigration, et a finalement confondu « le bruit que produisait […] son écosystème médiatique identitaire (sic) avec la réalité », celle d’une immigration heureuse uniquement dévalorisée par les « écrans “bollorisés” ». Raison principale pour laquelle, selon lui, les villes n’ont pas voté pour Zemmour et peu pour Le Pen, malgré « l’auto intoxication (sic) des journaux et télés réactionnaires ».
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Quels sont ces journaux et télés qui méritent le qualificatif de « réactionnaires » ? Le ton utilisé par Legrand pourrait laisser croire que ces journaux et ces télés occupent de loin la plus grande place sur la scène médiatique. À part CNews et Valeurs actuelles, que Thomas Legrand tacle régulièrement sans jamais manquer de les ranger dans la case « extrême-droite », à quels autres organes de presse fait allusion notre journaliste france-intérien ? On ne sait pas. Il ne sait pas non plus – ou plutôt il sait très bien ce qu’il fait : sa formulation vague laisse planer le doute mais, en vérité, il n’ignore pas que les médias dominants, l’audiovisuel public en tête, a minutieusement participé à la victoire d’Emmanuel Macron. Le pluralisme médiatique français est une fable : la presse française est essentiellement libérale-libertaire, européiste, progressiste et wokiste.
Une presse archi-favorable au président sortant
L’Observatoire du Journalisme s’est ainsi amusé à établir le rapport de force médiatique (non exhaustif mais significatif) entre les deux-tours de la présidentielle. Il n’y a pas photo :
– Quotidiens et magazines pro-Macron : Le Monde, Libération, L’Opinion, L’Humanité, Les Échos, La Croix, la majorité de la presse régionale. Le Point, L’Obs, L’Express, Télérama, Courrier International, Paris-Match, Elle, la presque totalité de la presse féminine.
– Télévisions et radios pro-Macron : tout l’audiovisuel public, le groupe TF1, M6, Arte, BFMTV et, plus subtilement, la majorité des grandes radios privées.
– Échappent à la propagande : Valeurs actuelles, Marianne, CNews, et quelques médias comme Radio Courtoisie, Sud Radio ou TV Libertés.
Si Zemmour était parvenu au second tour, la répartition aurait été à peu près la même. Nous aurions peut-être eu droit en plus à l’équivalent du dessin répugnant qui servit de couverture au Courrier International (qui fait partie du Groupe Le Monde) lors des élections de 2002 et qui représentait une caricature de Français avec béret, petite moustache hitlérienne, bouteille de rouge marquée de la croix gammée et baguette de pain faisant un salut nazi, pour illustrer le titre : “France, l’Europe te regarde (Le monde aussi).”
À ceux qui se sont posé la question de savoir pour quelles raisons Emmanuel Macron n’a pas fait campagne avant le premier tour de l’élection présidentielle, il est facile de donner une partie de la réponse : parce que les médias dominants l’ont fait, d’une manière ou d’une autre, à sa place. En omettant de faire le bilan du quinquennat macronien et en chargeant comme une mule le « polémiste d’extrême-droite », Thomas Legrand et ses confrères ont délibérément soutenu le candidat Macron en empêchant le débat. Aucun des sujets qui auraient pu entacher la nouvelle candidature de Macron n’a véritablement émergé : ni la vente à l’encan des bijoux industriels de la France (Alstom, Lafarge, etc.), ni la catastrophique fermeture de Fessenheim, ni la dette abyssale, ni l’influence de plus en plus grande de l’UE sur le destin de la France, ni les accointances des membres les plus importants du cabinet Mc Kinsey avec le président, ni les propos contradictoires de ce dernier sur le nucléaire, la colonisation, la culture française, le voile islamique. L’insécurité grandissante, le problème migratoire, l’école en faillite, l’écroulement civilisationnel, tous ces sujets fondamentaux que le candidat Zemmour avait à cœur de mettre sur la table ont été irrémédiablement balayés d’un revers de main sous les accusations de xénophobie, d’islamophobie, d’élitisme et de nationalisme rappelant « les heures les plus sombres de l’histoire ».
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Ce n’est pas « la faute à Bolloré » si Éric Zemmour a échoué. Comme ce n’est pas seulement la faute à Marine Le Pen si elle a perdu. Rien n’aura été plus obscène que l’évidente collusion de la majorité de la presse avec le pouvoir en place pour soi-disant « faire barrage à l’extrême-droite ». La courbette à ce niveau-là, moi je dis que ça devient gênant. Le Billet d’Honneur (ou de Déshonneur, c’est selon) est décerné, une fois de plus, à « l’odieux visuel du sevice public » (Gilles-William Goldnadel), organisme rémunéré par l’ensemble des Français mais dont la moitié d’entre eux sont méprisés par des journalistes et des humoristes qui ne cachent plus leur détestation pour ces Français qui ne votent pas comme il faut.
Nupes, ça a de la gueule
Si « l’extrême-droite » doit être combattue coûte que coûte, l’extrême-gauche a droit à certaines faveurs. Après avoir ciré les mocassins macroniens, Thomas Legrand nettoie un peu les croquenots mélenchonistes. Il comprend, explique-t-il dans son billet du 4 mai après de subtiles circonlocutions, « l’idée de cet accord » entre LFI, EELV et les restes du PS et du PC. Finalement, dit-il, cela « a presque de la gueule ». Je peine à imaginer quelle gueule, du point de vue de Thomas Legrand, aurait pu avoir un accord entre le RN et Reconquête ! Je suppose qu’après avoir épuisé toutes les références nazifiantes, il aurait évoqué les “gueules cassées” de la Grande Guerre, victimes de l’esprit nationaliste de gens qui croyaient encore, les malheureux, que l’idée de nation – comme « âme et principe spirituel » (Renan) – est celle qui doit gouverner l’histoire et le destin des peuples européens.
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Aux yeux du prêtre radiophonique Thomas Legrand, cette idée de nation est aussi baroque que celle qui laisse penser que cette âme française pourrait être corrompue par un problème d’intégration des immigrés. Le seul problème d’intégration, disait-il déjà lors de son homélie du 10 mai 2022, est celui « des Français de souche vivant dans ces zones rurales ou périurbaines sans étrangers et sans diversité ethnique. […] Cette France vieillissante, effrayée par la représentation d’un monde urbain métissé. […] Cette population qui se sent exclue d’un monde qui semble en expansion, d’un monde qui accepte mieux la différence tout simplement parce qu’elle la connaît mieux. » Mélenchon – et, en vérité, la majorité des représentants politiques et médiatiques, de Macron à Rousseau et de L’Obs au Monde – pensent la même chose. Qu’il y ait encore quelques minuscules endroits « bollorisés » où l’on puisse penser autrement, voilà qui ne convient ni à Thomas Legrand en particulier, ni aux médias « pluralistes » en général.
[1] Entretien donné au Temps, le 22 octobre 2018, à l’occasion de la sortie de son livre Les 100 mots du bobo, écrit en collaboration avec Laure Watrin, paru aux éditions PUF.