Dans un film en deux parties, en salle les 11 et 18 mai, le cinéaste japonais Kôji Fukada renouvelle la figure de la femme fatale.
Costume-cravate, chemise blanche, belle gueule: un garçon propre sur lui, au physique comme au moral. Employé modèle chez Onda, une entreprise de jouets et feux d’artifices, Tsuji est inlassablement courtisé, au turbin, par sa paire de collègues en classique rivalité féminine. Or, par hasard, une nuit, il sauve la vie de la fascinante inconnue qu’il vient juste de draguer dans un petit bazar de quartier. Coincée dans sa voiture qui a calé en plein passage à niveau alors qu’un train déboule à grande vitesse, la fille, grâce à lui, en réchappe.
Mais sa propension à la compassion et sa rectitude ne tardent pas à jouer des tours au secourable Tsuji : de fil en aiguille, le voilà amené, presque malgré lui, à prendre en charge les problèmes de cette demoiselle au psychisme indéchiffrable.
Répétant indéfiniment, comme un mantra : « Je suis désolée », Ukiyo (c’est son prénom) asservit ainsi le valeureux prince charmant aux vertigineuses complications qu’elle ne cesse de provoquer à ses dépens, l’enfermant dans une relation toujours plus inextricable et périlleuse, dont il ne parvient jamais à se soustraire.
Inquiétantes péripéties
Menteuse, manipulatrice, alcoolique, mythomane, Ukiyo serait-elle l’incarnation de la Femme fatale, au sens le plus trivial de l’expression ? Un succube, à la malignité vernissée de candeur et de vulnérabilité ? Perverse ? Innocente ? Les inquiétantes péripéties de « Suis-moi, je te fuis » s’enchaînent selon une construction haletante et millimétrée, qui infuse thriller et film sociétal dans la romance. Renversant les points de vue, multipliant le nombre des comparses tandis que par ellipses se prolonge sur quatre années supplémentaires l’idylle décidément fort contrariée entre Tsuji et Ukiyo, « Fuis-moi, je te suis », le second volet du film, porte un regard délicieusement acide sur la double aliénation du travail et de la famille.
Dans cet ultime opus du génial Kôji Fukada, on retrouve la même stupéfiante maîtrise scénaristique qui présidait à « Harmonium » (2016) puis à « L’Infirmière » (2019) – deux joyaux du cinéma nippon contemporain. Au départ, Suis-moi, je te fuis/ Fuis-moi, je te suis est une série télévisée en dix épisodes diffusée sur une chaîne locale japonaise, adaptation de The Real Thing, un vieux manga signé Mochiru Hoshisato. Fort de son succès d’audience, le réalisateur décide d’entreprendre le remontage de ladite série pour en faire, destiné cette fois au grand écran, un diptyque d’une durée totale de plus de quatre heures. Du feuilleton d’origine, ce très long métrage garde une qualité de tempo staccato magnifiquement articulé. Au spectateur ébloui, les dernières minutes de cette deuxième partie réservent, lyriquement nappé d’une bande-son symphonique exhumée de quelque vieil enregistrement 78 tours, un dénouement magique qui réunit nos deux héros. Sur les mêmes rails ?
Suis-moi, je te fuis. Durée : 1h49. En salles le 11 mai. Fuis-moi, je te suis. Durée : 2h04. En salles le 18 mai. Film en deux parties de Kôji Fukada. Avec Win Morisaki et Kaho Tsuchimura. Japon, couleur, 2020.
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