Le Sinn Fein, favorable à la réunification en Irlande, est devenu la première force politique d’Irlande du Nord, après les élections locales du 5 mai.
Selon un vers du poème « Invictus », écrit en 1888 par le poète anglais, William Ernest Henley, et qui a donné son titre au film sur la Coupe du monde de Rugby de 1995 en Afrique du Sud, « My head is bloodied, but unbowed » (« Ma tête est ensanglantée, mais reste droite »). C’est ainsi qu’on pourrait décrire Boris Johnson et le gouvernement conservateur qui ont pris une sacrée déculottée, quoique prévisible et non historique, lors des élections municipales qui se sont tenues, le 5 mai, en Angleterre, en Ecosse et au Pays de Galles. Autrement historique, quoique tout aussi prévisible, était le résultat des élections pour la législature dévolue en Irlande du Nord qui ont eu lieu le même jour. Pour la première fois, le parti nationaliste, Sinn Féin, est arrivé en tête, ouvrant la voie à une éventuelle réunification de l’Irlande.
Les fêtes sont finies
Des élections municipales arrivant au milieu d’un mandat parlementaire sont rarement favorables au parti de gouvernement. C’est ainsi que le bilan global pour les Conservateurs affiche une perte de 11 municipalités, puisque, bien qu’en perdant le contrôle dans douze, ils l’ont quand même gagné dans une municipalité. Si les Travaillistes ont profité de ce recul, leur propre bilan n’est qu’un gain global de cinq municipalités, puisqu’ils en ont gagné 11 tout en perdant six. Le petit parti centriste des Libéraux démocrates a progressé de trois municipalités, tout comme les nationalistes gallois de Plaid Cymru. Le Parti national écossais a une municipalité de plus, mais comme il dominait déjà en Ecosse, les gains ne pouvaient être que limités. Le plus dramatique pour les Conservateurs est la perte de deux municipalités londoniennes, dont Westminster, qui était entre les mains des Tories depuis sa création il y a presque soixante ans, et Wandsworth.
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Cette défaite s’explique à la fois par la fatigue de mi-mandat du gouvernement et par les difficultés que connait l’électorat actuellement concernant le pouvoir d’achat et la montée de l’inflation. Il faut quand même y ajouter l’effet des scandales du « Partygate », ces différents rassemblements apparemment festifs de fonctionnaires et de personnel du Parti conservateur qui ont eu lieu au cours des confinements de 2020 et 2021 en violation des règles imposées par le gouvernement lui-même. Boris Johnson a déjà fait l’objet d’une amende, et d’autres enquêtes policières sont toujours en cours. L’image du Premier ministre a certainement été ternie aux yeux du public, et le leader travailliste, Sir Keir Starmer, a essayé d’en profiter en appelant à la démission de BoJo. Pourtant, la posture de modèle de vertu de Sir Keir a été minée par un autre scandale le concernant, le « Beergate ». Il aurait participé à un repas collectif – un curry arrosé de bière en bouteilles – en avril 2021, lors d’une campagne électorale à Hartlepool, ville du nord de l’Angleterre. Initialement, les Travaillistes avaient présenté le rassemblement comme étant quelque chose de spontané, avant que la fuite d’une note interne ne suggère qu’il s’agisse d’un événement planifié d’avance. Sir Keir fait désormais l’objet d’une enquête policière et pourrait se voir infliger une amende lui aussi. L’arroseur semblant bien arrosé, Boris Johnson s’en est tiré encore une fois et reste Premier ministre – jusqu’au prochain scandale, du moins.
Vers la réunification irlandaise ?
Pendant ce temps, de l’autre côté de la Mer d’Irlande, le triomphe attendu de Sinn Féin aux élections pour l’Assemblée législative de l’Irlande du Nord se confirmait. Le parti nationaliste, autrefois considéré comme la voix officielle de l’organisation terroriste interdite, l’IRA, a obtenu un total de 27 élus, dépassant les 25 sièges du Parti unioniste démocrate (DUP), qui dominait jusqu’ici et qui représente les électeurs protestants favorables au maintien de l’union avec le Royaume Uni. En fait, la victoire de Sinn Féin est le résultat moins d’une progression extraordinaire de son vote, puisque le parti avait déjà le même nombre de sièges, que de la progression du Parti de l’Alliance, une formation politique centriste et non-communautaire, qui a plus que doublé le nombre de ses élus, ces derniers passant de huit à 17, surtout aux dépens des unionistes. Globalement les députés unionistes restent toujours plus nombreux au palais de Stormont, à Belfast, que les nationalistes, ce qui a toujours été le cas sous le système actuellement en vigueur. Mais selon les règles, le parti qui a le plus de sièges doit nommer le Premier ministre, tandis que le deuxième parti nomme le vice Premier ministre. C’est ainsi que le leader de Sinn Féin, Michelle O’Neill peut, pour la première fois, prendre la tête de l’exécutif. Une nationaliste à la tête du gouvernement de cette « province » créée en 1921 ? Du jamais vu ?
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Sauf qu’il y a un hic. Le partage des pouvoirs en Irlande du Nord et le processus par lequel l’exécutif est constitué à partir des élus de la chambre législative sont fixés par l’Accord du Vendredi saint de 1998. On devrait plutôt dire les Accords de Belfast, puisqu’il y a deux accords complémentaires : l’un entre les partis nord-irlandais et l’autre entre les gouvernements du Royaume Uni et de la République d’Irlande. Selon ces accords, l’exécutif de l’Irlande du Nord ne peut fonctionner que si les deux grands partis nationaliste et unioniste se disent prêts à coopérer l’un avec l’autre. Or, pour l’instant, une telle coopération ne semble pas aller de soi. Le chef du DUP, Sir Jeffrey Donaldson, a annoncé son refus de participer à un gouvernement tant les problèmes entourant l’application du Protocole sur l’Irlande du Nord ne seraient pas résolus. Certes, les élus ont jusqu’à six mois pour constituer un gouvernement, mais l’exécutif a déjà été suspendu de nombreuses fois dans l’histoire : en 2000 ; deux fois – pendant 24 heures – en 2001 ; pendant cinq ans de 2002 à 2007 ; et, suite au référendum sur le Brexit, entre 2017 et 2020. L’exécutif s’est effondré de nouveau en février de cette année, lorsque le Premier ministre, appartenant au DUP, a démissionné en prétextant les problèmes liés au fameux protocole.
Entre la réunification et le Brexit
Sinn Féin a fait campagne, non sur la réunification de l’Irlande, mais sur des sujets plus terre à terre comme le coût de la vie. Pourtant, la réunification fait bien partie de ses raisons d’être. Pour qu’elle soit possible, il faut réunir des circonstances qui sont, encore une fois, précisées – avec plus ou moins de précision ! – dans les Accords de Belfast. La réunification de l’Irlande doit recevoir le consentement librement donné par tous les citoyens de l’Irlande, Nord et Sud.
Pourtant, rien n’est spécifié quant à la manière d’expression de ce consentement dans la République. Jusqu’à présent le gouvernement irlandais n’a rien fait pour préparer une telle éventualité. Côté Nord, la Loi sur l’Irlande du Nord promulguée par le parlement britannique en 1998 stipule que le Secrétaire d’État pour l’Irlande du Nord, qui appartient au gouvernement britannique, doit organiser un référendum sur la réunification si les études d’opinion indiquent qu’une majorité des citoyens nord-irlandais est favorable à la réunification. Selon le sondage le plus récent, en avril, seul un tiers de la population y serait favorable en ce moment. Pour le moment, Sinn Féin met l’accent sur le besoin d’unité entre citoyens nord-irlandais quelle que soit leur appartenance communautaire, et parle de la réunification comme d’un projet à long terme qui pourrait prendre dix ans. Pour le moment, le plus urgent est la résolution des problèmes du protocole qui empêchent la constitution d’un exécutif. Les négociations entre Londres et Bruxelles ont été interrompues pendant la campagne électorale et vont reprendre. Le gouvernement britannique a déjà annoncé, au grand dam des unionistes, qu’il n’allait pas dénoncer le fameux protocole qui fait partie de l’Accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne et qui est destiné à maintenir l’Irlande du Nord dans une union douanière avec l’Union européenne. Face à de telles complexités, il faut que la patience de tous reste invaincue – « invicta »…
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