Neuf Mocky, sinon rien… C’est une bonne idée de ressortir en salles neuf des films, et non des moindres, du plus iconoclaste des cinéastes français. D’autant plus que, du côté des nouveautés, la concurrence est inexistante.
La Tête contre les murs (1958), Les Dragueurs (1959), Un drôle de paroissien (1963), La Cité de l’indicible peur (1964), Solo (1969), Le Témoin (1978), Litan (1982), À mort l’arbitre (1984) et Agent trouble (1987). Sur trente ans, un choix de films subjectif mais pertinent parmi les plus de soixante tournés par Jean-Pierre Mocky jusqu’à sa mort en 2019. Tel est le contenu d’un programme qui permet de voir ou revoir sur grand écran des temps forts d’une filmographie certes inégale mais terriblement stimulante.
On pourra s’étonner d’y trouver en ouverture un film réalisé par Georges Franju, La Tête contre les murs. Mais c’est d’abord une façon de rendre hommage à l’excellent acteur que fut Mocky et pas seulement sous sa propre direction. Il fut même l’une des belles gueules du cinéma français de la fin des années cinquante et du début des années soixante. Et puis, c’est lui qui a signé cette adaptation d’un roman d’Hervé Bazin, puisqu’il avait été à l’origine du projet proprement dit. Lui encore qui décida du formidable casting (Anouk Aimée, Pierre Brasseur, Paul Meurisse, Charles Aznavour et Édith Scob, s’il vous plaît !). Sur le tournage, il réalisa en outre plusieurs scènes. Bref, le film lui doit beaucoup.
En revanche, Les Dragueurs est véritablement son premier film. À l’heure où le romantique Homme qui aimait les femmes de François Truffaut fait l’objet, au détour d’une émission, d’une attaque en règle sur France Culture, il n’est pas certain que ce premier opus de Mocky passerait les fourches caudines de la morale selon la maison ronde. Mais peu importe, ou plutôt, raison de plus pour dire tout le bien que l’on pense de ce film qui fit rentrer le mot « dragueur » dans le langage quotidien. Adoubé par le jeune Godard et tourné dans l’esprit de la Nouvelle Vague, Les Dragueurs donne une nouvelle occasion d’apprécier les talents d’acteur d’Aznavour et démontre combien Mocky sait filmer Paris. Et c’est, dans le fond, un film assez grave, d’aucuns, dont Mocky lui-même, diraient moraliste.
Les deux œuvres suivantes de cette réjouissante sélection se succèdent à un an de distance et boxent dans la même catégorie, la farce policière rigolarde : Un drôle de paroissien et La Cité de l’indicible peur. Avec en point commun des acteurs que l’on retrouvera à plusieurs reprises chez Mocky, au premier rang d’entre eux, le complice par excellence : Bourvil. On se gardera bien d’en résumer ici les délirants scénarios. Mais qu’il incarne Georges Lachaunaye, aristo catho désargenté et pilleur de tronc par nécessité ou Simon Triquet, inspecteur à la poursuite d’un faussaire évadé dans une ville imaginaire d’Auvergne, Bourvil fait des étincelles face aux impeccables Francis Blanche et Jean Poiret, entre autres cabots de génie.
Mais la force de Mocky, c’est précisément de ne pas s’être cantonné dans cette seule veine absolument réjouissante. Les deux films qui suivent dans la programmation (Solo et Le Témoin ) n’ont rien de farcesque. Le premier est un polar très noir autour de l’extrême gauche révolutionnaire et terroriste. Mocky y est impeccable en dandy entraîné malgré lui dans l’engrenage de la violence politique. Le second, un implacable réquisitoire contre la pédophilie, les erreurs judiciaires et la peine de mort trois ans avant son abolition. Au-delà des intentions, c’est un abyssal face-à-face cinématographique entre les deux monstres sacrés que sont le Français Noiret et l’Italien Sordi.
Pas plus que parmi les précédents, on ne choisira dans les trois films restants. Impossible de départager. Litan est l’un des très rares films fantastiques français parfaitement maîtrisés. De même que À mort l’arbitre constitue, avec Coup de tête de Jean-Jacques Annaud, la seule contribution pertinente du cinéma hexagonal à la mise à distance du sport national qu’est le football et de ses mœurs étranges. Enfin, avec Agent trouble, Jean-Pierre Mocky a notablement contribué à apporter une pierre singulière à l’édification du « monument » Deneuve, laquelle avec sa perruque rousse bouclée et ses lunettes rondes cerclées illumine ce polar en couleurs et noir et blanc comme la neige.
Pas de doute, Mocky, ça fait toujours du bien.