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L’impôt tue la croissance


L’impôt tue la croissance
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L’économie n’est pas une branche de la morale ou de la politique : c’est une branche de la philosophie ; de la philosophie au sens originel du terme c’est-à-dire une discipline de l’esprit qui ne cherche pas à définir ce qui devrait être mais à décrire ce qui est. Ce que l’économiste étudie et cherche à anticiper, c’est l’enchaînement des causes et des conséquences ; c’est, en un mot, la réalité.
Une de ces descriptions du réel défendues depuis longtemps par les économistes, c’est l’intuition populaire qui veut que « trop d’impôt tue l’impôt » ou, pour reprendre la formulation plus précise de Jean-Baptiste Say, l’idée selon laquelle « un impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte[1. Jean-Baptiste Say, Traité d’économie politique, livre III, chapitre IX (1803).]. » En substance, au-delà d’un certain point, toute augmentation du taux de l’impôt réduit l’assiette sur laquelle il est assis. C’est le principe de la courbe de Laffer, du nom de l’économiste américain qui l’a formalisée ; c’est l’effet sur lequel la puissance publique compte lorsqu’elle surtaxe le tabac ou lorsqu’elle envisage d’imposer à 75% les revenus au-delà d’un million d’euro par an. L’objectif est bien, dans les deux cas, de détruire la base sur laquelle porte l’impôt : respectivement, la consommation de tabac[2. On me fera remarquer à juste titre que lorsque la puissance publique surtaxe des produits à faible élasticité-prix, elle espère justement que le taux ne rognera pas l’assiette. Dans le cas du tabac, les motivations réelles du législateur peuvent en effet se discuter.]et les revenus supérieur à un million d’euro.
Naturellement, on pense de prime abord à l’évasion ou la fraude fiscale. Effectivement, et pour reprendre les exemples cités, on sait qu’à mesure que l’État augmente les taxes sur le tabac, la contrebande de cigarettes importées illégalement se généralise et les embouteillages aux frontières se rallongent. De la même manière, il ne fait aucun doute qu’un impôt prohibitif sur les hauts revenus entrainera, au mieux, une recrudescence de la fraude fiscale et au pire, une vague d’exils fiscaux. On peut le regretter, considérer que les fraudeurs et les exilés fiscaux sont des traitres, on peut pester, crier, pleurer et couvrir ses cheveux de cendres. Ça n’en reste pas moins vrai.
Mais ce n’est pas tout. Même en supposant des frontières hermétiquement fermées et une administration fiscale parfaitement efficiente, les prédictions de la courbe de Laffer continuent de se vérifier[3. Arthur Laffer raisonnait d’ailleurs en économie fermée.] ; au-delà d’un certain niveau d’imposition, vous obtiendrez effectivement les effets que vous recherchiez : une baisse de la consommation de tabac et une raréfaction des revenus de plus d’un million d’euro. C’est-à-dire que la pression fiscale aura un effet dissuasif : les fumeurs arrêteront de fumer et ceux d’entre nous qui perçoivent ou pourraient percevoir des revenus au-delà de ce fameux million d’euro décideront tout simplement de lever le pied.
À l’échelle d’une économie, si l’on néglige les impôts sur le capital[4. Qui est constitué de revenus passés.], la base que détruit notre impôt exagéré n’est rien d’autre que le Produit intérieur brut et donc la croissance. En d’autres termes, lorsque la pression fiscale en général atteint un certain seuil, elle détruit la capacité d’un pays à produire des richesses.
C’est précisément la situation dans laquelle nous sommes aujourd’hui. Cela ne vous a sans doute pas échappé : la Cour des comptes vient de publier un rapport dans lequel elle estime que les chiffres de croissance sur lesquels tablait notre actuel gouvernement pour boucler son budget 2013 sont largement surestimés. En d’autres termes, selon les sages de la rue Cambon, le manque à gagner fiscal lié à une croissance plus faible que prévue devrait se traduire par un déficit budgétaire « entre 3,8 et 4,1% du PIB » au lieu des 3,7% initialement prévus[[5. Pour mémoire, c’est le 39ème budget déficitaire d’affilée depuis le plan de relance de M. Chirac en 1975 et le New Deal de Franklin D. Roosevelt s’était traduit par un déficit budgétaire moyen de 4,3% sur six ans.]. Constat dont notre premier ministre lui-même a reconnu publiquement qu’il était « malheureusement vrai » et ce, malgré l’effort « historique » qui consiste à stabiliser la dépense publique en 2013 et à la réduire de 1,5 milliards d’euros en 2014 (sur 1 151,2 milliards ; soit une baisse de 0,13% sur deux ans si tout va bien – « historique » vous dis-je !).
Et c’est ici que nous entrons de plein pied dans ce que The Economist appelait en mars dernier le « déni français ». Il y a bien une pression fiscale qui bat des records historiques et une économie désormais en récession mais personne au sein de l’appareil d’État et de la presse subventionnée ne semble faire le lien entre les deux. Si j’en crois le discours officiel, la position du gouvernement consiste à persévérer dans cette voie et à attendre le retour de la croissance.
Mme Karine Berger, conseillère du président en matière d’économie qui se définit elle-même  et sans fausse modestie aucune comme une « vraie intellectuelle » par ailleurs « extraordinairement influente », l’affirme : ce n’est plus qu’une question de temps. La croissance est là, à portée de main et nous sommes, grâce aux impulsions données par notre État-stratège et par la vertu de nos politiques de redistribution, à la veille d’une séquence économique comparable aux Trente glorieuses. Après la pluie, nous assurent-ils, viendra le beau temps.
Mais le cycle économique, à l’instar de l’amour, est enfant de Bohême qui n’a jamais, jamais connu de loi et le bougre, manifestement, n’est pas d’humeur. En attendant que se réalise l’oracle de la Pythie, les entrepreneurs fuient le matraquage fiscal, nos jeunes diplômés les plus brillants s’expatrient, les français taillent dans leurs dépenses, le chômage galope, les banques hésitent à prêter et les entreprises évitent soigneusement d’investir… Bref, tous se passe comme si nous glissions du mauvais côté de la courbe de Laffer mais nos énarques et polytechniciens balayent l’objection d’un revers de main dédaigneux.
Enfermés dans leur citadelle parisienne où, sans doute, la crise ne se fait pas sentir trop durement, nos dirigeants n’en démordent pas : hors une augmentation de la dépense publique, point de salut ! Si ça ne fonctionne pas, c’est sans doute qu’on n’en a pas fait assez et, en application de la devise Shadock, il vaut mieux continuer à pomper même si cela ne produit rien de bon que risquer qu’il se passe quelque chose de pire en ne pompant pas.
Mais la réalité, écrivait Philip K. Dick, c’est ce qui, quand on cesse d’y croire, ne disparait pas. Le président et ses ministres auront beau répéter comme un mantra que la croissance et les emplois reviendront à la fin l’année, au début de la suivante, à la prochaine lune ou aux calendes grecques, le fait est que pour le moment, les faits leur donnent tort. Cette courbe de Laffer qu’ils tenaient pour un mythe, une élucubration de théoriciens (forcément) ultralibéraux est en train de les rattraper et de saper sous nos yeux l’économie de notre pays.
Au-delà des convictions politiques et des postures morales et uns et des autres, le philosophe sait que ce ne sont pas les faits qui se trompent. Voilà bientôt quatre décennies que nos dépenses publiques explosent, que la pression fiscale augmente, que nous enchaînons les déficits budgétaires et que les dettes s’amoncellent et qu’avons-nous obtenu ? De moins en moins de croissance et une génération entière qui partira bientôt à la retraite sans jamais avoir connu le plein emploi. Quand, enfin, allons-nous apprendre ?



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est un blogueur et économiste français

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