Causeur. D’une manière générale, quelle est votre vision du rôle de la prison ?
André Vallini[1. Avocat de profession, André Vallini est sénateur et président du Conseil général de l’Isère. En 2006, il a remarquablement présidé la commission parlementaire sur l’affaire d’Outreau (avec son rapporteur l’UMP Philippe Houillon). Il était en charge de la justice dans la campagne Hollande.].Le premier rôle de la prison, c’est de protéger la société contre celui qui est considéré comme dangereux et qu’il faut mettre hors d’état de nuire. La privation de liberté a aussi une fonction punitive que je ne veux pas minorer. La punition est nécessaire. Mais elle doit aussi être un temps utile où on prépare le détenu à sa vie d’après. En effet, si les délinquants, a fortiori les criminels, doivent être punis aussi sévèrement que nécessaire, encore faut-il que leur mise à l’écart puisse les conduire sur le chemin de la rédemption, ou pour rester laïque, de la réintégration dans la société.
Dans la réforme en cours de préparation, la prison aura-t-elle toujours les missions que vous lui assignez ?
Si nous voulons être compris des quartiers populaires et des banlieues, où se trouvent les premières victimes de la délinquance, nous devons tenir un discours très clair : aucun délit, même le moins grave, ne doit échapper à une sanction car le facteur majeur de la récidive est, nous le savons tous, le sentiment d’impunité. Pour autant, l’enfermement n’est pas toujours la punition la plus efficace, notamment pour les primo-délinquants. Ne vaut-il pas mieux leur demander de réparer leur faute ? Les travaux d’intérêt général ne sont à cet égard pas assez développés.
Cette position tranche avec l’irénisme d’une partie de la gauche et des médias qui présentent volontiers les voyous comme des victimes…[access capability= »lire_inedits »]
Je le dis tout net : l’opinion publique en a assez qu’on lui explique pourquoi des délinquants sont devenus délinquants. Certes, la délinquance a des facteurs économiques, sociologiques ou sociaux : chômage de masse, précarité, échec scolaire, économie souterraine, urbanisme dégradé. Et nous devons les prendre en compte pour traiter les racines du mal et pas uniquement ses symptômes. Mais face à l’électorat, notamment populaire, si vous relativisez la responsabilité des délinquants, vous donnez le sentiment que vous cherchez à les excuser.
Cela signifie-t-il qu’il faille mentir au peuple ?
Au contraire, il faut avoir un discours de vérité pour rappeler qu’à conditions de vie équivalentes, avec les mêmes problèmes dans les mêmes quartiers, les uns deviennent délinquants, d’autres non. Certains se lèvent tôt, prennent le bus (quand il existe) pour aller travailler et être payés au SMIC, pendant que d’autres se lèvent à midi, traînent toute la journée, et le soir trafiquent de la drogue pour gagner en une soirée ce que celui qui s’est levé à 6 heures va gagner en un mois…
Ce qui nous amène à la question très sensible de la Justice des mineurs. Vous avez appelé le Président de la République à revenir aux principes de l’ordonnance de 1945, mais le mineur de 2013 est-il le même que celui de 1945 ?
Nicolas Sarkozy disait : « Un adolescent aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui de 1945, ne serait-ce que physiquement, il est beaucoup plus grand. » Ce critère de la différence de taille est stupide et, si je suis d’accord avec Nicolas Sarkozy pour dire que les adolescents ont changé, c’est dans le sens inverse de ce qu’il prétend. Ceux d’aujourd’hui sont confrontés à des risques bien plus grands que ceux des années 1950 : ils sont exposés du matin au soir – et parfois du soir au matin – à des images de violence, de sexe, et d’argent-roi. À quoi il faut ajouter les défaillances de l’Éducation nationale et la crise de la cellule familiale : du coup, ceux qui devraient leur inculquer des repères ne sont pas toujours au rendez-vous. C’est pourquoi les principes protecteurs de l’ordonnance de 1945 doivent être maintenus : primauté de l’éducatif sur le répressif, juridiction spécialisée, atténuation de la peine.
Croyez-vous vraiment que cet « humanisme » est efficace face à des jeunes caïds, capables de violence gratuite et privés de tout repère, comme vous l’avez souligné ?
Les « jeunes caïds » dont vous parlez doivent être pris en charge, dans des structures spécialisées dotées d’un encadrement strict comme les centres éducatifs fermés, qui donnent souvent de bons résultats, ou les établissements pénitentiaires pour mineurs. Cela nécessite beaucoup de moyens, mais c’est la seule façon de les remettre sur le droit chemin.
Y a-t-il une vision de gauche et une vision de droite de la Justice ?
Si le clivage droite/gauche est pertinent sur les questions fiscales ou sociales, en matière pénale, en revanche, nous devrions être d’accord puisque nous avons le même objectif : la sécurité des Français. Une approche dépassionnée de ces questions, sans idéologie du côté de la gauche ni démagogie du côté de la droite, pourrait faire émerger un consensus républicain en faveur d’une politique pénale à la fois efficace et respectueuse des principes fondamentaux. À condition de renoncer aux postures qui donnent bonne conscience aux uns, et aux impostures qui rapportent des voix aux autres.
Pendant la campagne de François Hollande, vous étiez chargé des questions de Justice et de laïcité. Qu’avez-vous pensé de l’arrêt de la Cour de cassation sur Baby Loup ?
La Cour de cassation a mis en lumière une lacune juridique : il faut donc modifier la législation. Quand la loi sur la burqa a été présentée à l’Assemblée, j’ai beaucoup réfléchi avant, finalement, de refuser de la voter. Aujourd’hui, je le regrette. À vouloir être trop démocrate, j’en oubliais d’être d’abord républicain. Certains principes, comme la laïcité ou l’égalité des hommes et des femmes, font partie de notre corpus à la fois constitutionnel et culturel. Si on veut vivre en France, on doit se conformer à ces principes.[/access]
*Photo : Parti socialiste.
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