Après la découverte du corps sans vie d’un nourrisson dans une usine agro-alimentaire, la commissaire Priya Dharmesh et son équipe tentent de coffrer l’auteur d’une série de crimes sanglants, flanqués d’un écrivain en mal d’inspiration. Addictif, La fille du boucher, le premier roman de Marie Capron est une agréable surprise.
Professeur de français, Marie Capron a beaucoup bourlingué. A en croire les quelques lignes de biographie qu’on peut glaner ici et là, elle aime plus particulièrement les îles grandes comme l’Australie ou celles, plus petites, de Mayotte ou de La Réunion. Elle y a en tout cas vécu et enseigné la philosophie, ainsi que la littérature.
Cette appétence de Marie Capron pour l’insulaire, on la retrouve dans son tout premier roman, Priya – La fille du boucher (Viviane Hamy éditions, 2022). Au travers de Priya Dharmesh, « une petite bonne femme d’un mètre soixante à peine, (…) Réunionnaise d’origine indienne », commissaire de police.
De la littérature au sens d’Orwell
Dans Orwell, anarchiste tory (Climats, 2003, 142 p), l’un des nombreux essais qu’il a consacré à l’écrivain anglais, Jean-Claude Michéa a exhumé un texte peu connu de l’auteur de 1984, intitulé New Words. Dans ce dernier, Orwell pointait l’impuissance du langage existant à formuler la « part la plus importante de notre pensée ». Il avançait en outre que « presque toute la littérature est un effort pour échapper à l’incommunicabilité par des moyens détournés, les moyens directs (les mots dans leur sens littéral) étant à peu près impuissants. »
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Si l’on peut définir ainsi la littérature, ce premier roman de Marie Capron s’y rattache certainement. Loin de ces « autofictions » que Fabrice Luchini appelle des « dégueulis du privé », et très loin aussi des insupportables romans à thèse, Marie Capron ne tient pas de discours visant à nous convaincre de penser ceci ou cela. Elle ne brandit ni carotte ni bâton. Elle n’argumente pas. Elle ne dégaine pas des concepts à tout bout de champ. Elle ne théorise pas. Elle ne vise pas à nous indigner. Elle ne cherche même pas à nous faire entrer dans le crâne un début d’idée formulée en tant que telle. Elle montre. Elle suggère. Elle fait ressentir à son lecteur la bêtise, l’horreur, l’absurde, le monstrueux, le pathétique, le pitoyable, le débile, l’effroyable. Elle nous écœure, nous fiche la nausée, nous sidère. Nous fait rire aussi. En résumé, elle dit. Mais avec d’autres mots que ceux qui, à force d’avoir trop servi, ne veulent plus rien dire, ne provoquent plus rien sinon l’envie de bailler, de reposer le livre ou de se servir de ses pages au moment d’éplucher des pommes de terre.
Même si son roman raconte la traque d’un tueur en série n’ayant rien à envier au glaçant Hannibal Lecter du Silence des agneaux (et appartient ainsi à ce que l’on peut appeler la « littérature noire », celle du roman policier et du polar), on est heureusement loin d’un énième thriller à l’américaine. Plus proche, en réalité, du néo-polar à la Jean-Patrick Manchette, ceci même si Marie Capron, c’est le moins que l’on puisse dire, n’a pas les mêmes sujets de prédilection que feu l’auteur de L’Affaire N’Gustro (1971) ou de Laissez bronzer les cadavres ! (1971). On est ainsi, par quelque bout qu’on prenne ce roman, du côté de ceux qui ont encore quelque chose à nous dire à propos de notre époque et savent le faire dans les règles de l’art.
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Sinon, que ceux qui fuient la littérature des cosy mystery et autres crimes à l’heure du thé n’aient aucune crainte : Priya Dharmesh n’a pas la moindre des qualités requises pour remplacer à plus ou moins brève échéance Miss Marple. A lire les dernières pages de ce qui semble être le premier tome d’une longue saga, Marie Capron, avec son héroïne ambigüe, n’a nullement l’intention de nous servir du réchauffé. Au contraire. Et tant mieux.
Marie Capron, Priya – La fille du boucher, Viviane Hamy éditions, coll. « chemins nocturnes », mars 2022, 342 p
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