« ET CENT FOIS DANS SON SEIN CE FER A REPASSÉ ! »
25 avril. Racheté pour la énième fois À la manière de, délicieux recueil de parodies littéraires signées Paul Reboux et Charles Muller, trop souvent prêté ou perdu, ou les deux.
J’ai eu la chance de découvrir ce petit chef-d’œuvre dès l’âge de 13 ans. Grâce à mes parents, évidemment ; pas à l’école ! Pourtant, c’était exactement l’angle qu’il me fallait pour aborder la littérature. Reboux & Muller mettent en lumière les petits tics et trucs de nos grands auteurs qui, ainsi descendus de leur piédestal, paraissent aussitôt moins intimidants.
Sous leurs dehors légers, Paul et Charles donnent des conseils de lecture personnalisés : une fois qu’on a vu tout le monde par le petit bout de la lorgnette, à chacun de décider qui en sort grandi ! Sur cette base, le Reboux & Muller est vite devenu mon Lagarde & Michard à moi. Se cultiver en se moquant : une offre que je ne pouvais pas refuser.
Ce bouquin m’aura fait découvrir tout un tas d’écrivains dont je ne connaissais souvent que le nom, même pas le prénom. (Mais qui n’a jamais cru que La Rochefoucauld s’appelait Maxime ?) Tel quel, il fut, en tout cas pour moi, une excellente introduction à leurs œuvres, tant il est vrai qu’un pastiche réussi est affaire sérieuse. Il y faut non seulement une solide connaissance de l’auteur, mais une sorte d’osmose distanciée avec lui – si tant est qu’une telle chose existe.
Pour aborder Racine, rien de tel que son Cléopastre, doté d’un important appareil critique où le sérieux côtoie agréablement l’absurde. Tout l’univers de la tragédie classique tient dans la première – et interminable – tirade de l’héroïne, où elle expose à sa confidente l’ampleur de son malheur : aimée d’Antoine, mais amoureuse d’Auguste ! À l’époque, bien sûr, le potache que j’étais a surtout retenu un alexandrin : « Et cent fois dans son sein ce fer a repassé » ; mais c’est aussi comme ça qu’on apprend.
Sur le style Lamartine, tout de romantisme pompeux et de métaphores pompières, j’ai pu me faire une idée rien qu’en lisant le poème Sur la plantation d’un arbre de la liberté au milieu de la place de mon village natal. Allez, rien que le premier quatrain, pour me faire plaisir :
« Déjà l’Aurore, ouvrant sa paupière vermeille,
S’élance au firmament ; la Nature s’éveille ;
Déjà l’astre du jour, d’un rayon purpurin,
Essuie au front des bois les larmes du matin »…
Ainsi convenablement mis en garde, je n’ai guère cherché à revoir Alphonse en dehors du cadre scolaire.
Proust non plus ne fut jamais ma tasse de thé, avec ou sans madeleine. [access capability= »lire_inedits »]Je l’ai su dès que j’ai lu Un mot à la hâte… En cinq pages de circonvolutions, incises et digressions, Rebous & Muller reconstituent l’essentiel de ce qui fait le charme du style proustien. Ou pas.
Swan, empêché par une urgence de se rendre au dîner où il est convié chez les Verdurin, avec le duc d’Endormantes et Mme de Pataty, décide d’aller leur présenter ses excuses. Mais voilà qu’en chemin, un brin de cerfeuil niché entre ses dents depuis le repas de midi « ressuscite dans sa mémoire les vastes horizons de pacages peints par Ver Meer de Delft, non moins que les solennelles frondaisons d’un Hubert Robert, sans omettre les ramures exquises où Watteau répandit les roses d’un coucher cythéréen »…
Parvenu néanmoins chez ses amis, il apprend que « Madame et Monsieur sont sortis. » Qu’à cela ne tienne ! Il se fait conduire dans un petit salon pour y rédiger « un court billet d’excuse ». On devine la suite… Emporté par l’inspiration, Swan n’en finit plus de noircir des feuillets ; même les Verdurin, une fois rentrés, n’oseront pas le déranger dans son grand œuvre…
Post-scriptum des auteurs : « Pour assister au moment où Swan achève sa lettre, lire le roman suivant, À l’ombre du fruit des jeunes gens, chapitre Douze ans après ».
Depuis lors, à chaque fois que j’ai tenté de me replonger dans Proust, j’ai vu Reboux & Muller à travers.
SUR L’ENSEIGNEMENT DU SECOND DEGRÉ
29 avril. Si j’ai accédé au monde des livres, comme à presque tout le reste, par la parodie, ce n’est pas un hasard ! Ça n’étonnera que ceux qui ignorent ma qualité de Président à vie de Jalons ; pas grand monde, à coup sûr, dans le lectorat de ce magazine de qualité. Qu’ils sachent quand même, ces ignares résiduels, qu’en matière d’enseignement du deuxième degré, l’école jalonienne n’a guère de leçons à recevoir. Comme dit fièrement notre devise secrète : « À l’Ouest, rien ne nous vaut !
CAUSEUR PARODIÉ !
5 mai (Fête des ponts). À propos de parodie, Élisabeth Lévy évoquait dans un récent SMS l’idée d’en faire une de Causeur. Pourquoi pas ? En tant que spécialiste, l’idée qui me vient spontanément à l’esprit, c’est Tagueul Magazine – « Même si vous n’êtes pas d’accord ! » Mais le sera-t-elle ?
LE PARI PERDU DE TODD
RACONTÉ PAR LUI-MÊME (ET MOI)
12 mai. En 2012, dans une interview au Nouvel Obs, Emmanuel Todd déclarait : « Je parie sur l’hollandisme révolutionnaire ! » Moi, j’aurais dit le hollandisme. Mais de toute façon, je n’aurais rien dit : je ne m’y connais pas assez sur ces sujets.
Pourquoi je vous raconte ça, alors ? Parce que j’aime bien Todd et son indépendance crâne, à mi-chemin du sale gosse et du Monsieur Je-sais-tout. Un an plus tard, à l’heure du premier bilan, je me suis donc inquiété de savoir où il en était avec son pari perdu.
« Dans le déni », comme dirait mon psy ? Plutôt dans le « travail de deuil »… « Good bye Hollande ! » lance Emmanuel, en titre d’une interview à Marianne.net, où il dresse tristement l’inventaire des espoirs trahis. En photo, il arbore cette mine de Droopy qu’on lui voit souvent, entre un coup de sang et un grand rire.
Ce qui énerve Todd, c’est d’avoir cru si longtemps en Hollande, et surtout de ne plus trop savoir pourquoi. Il y a quelques mois encore, il était invité par le Président à un petit-déjeuner en tête à tête. Que s’est-il donc dit entre eux, s’inquiètent les journalistes ? « L’une des rares choses dont je me souvienne, c’est qu’il plaisantait sur les Finlandais, encore plus raides que les Allemands. » Apparemment donc, dès cette époque, il n’était plus guère question de « révolution ».
Ce qui amuse toujours Todd, en revanche, c’est de chahuter sérieusement. Surtout sur les plateaux télé où, après quelques tâtonnements, il a vite trouvé son emploi : la tête à claques savante. C’est aussi ça qui agace souvent chez lui : cette morgue naturelle avec laquelle il semble congédier ses contradicteurs en deux phrases, genre : « Vos opinions ne reposent que sur des Impressions d’Afrique à la Raymond Roussel. Les miennes sont fondées sur des recherches scientifiques incontestables : les miennes. »
J’ai l’air de me moquer, mais lui-même se le sert avec assez de verve. En vrai, ce n’est pas sa personne que Todd prend au sérieux ; seulement ses travaux. Vous me direz, la différence est mince, vu qu’il ne parle que d’eux…
Eh bien, pas tout à fait ! Dans cette interview, par exemple, entre deux considérations de fond sur le pouvoir financier et l’eurozone mort-née, il sait aussi être piquant. Même son dépit d’amoureux déçu à l’égard du Président, il le résume avec esprit : « Pour infléchir les choses, il aurait fallu qu’Hollande soit plus que de Gaulle. Mais il l’a dit, il n’est que normal. Ordinaire, même. »
Dans la foulée, l’artiste case aussi son grand numéro du moment, déjà testé avec succès en avril chez Taddeï : une charge germanophobe scandaleusement décomplexée, au point qu’on se demande si elle ne tombe pas sous le coup d’une quelconque loi antiraciste. « L’Allemagne, qui a déjà foutu en l’air deux fois le continent, est l’un des hauts lieux de l’irrationalité humaine ! » Dirait-on pas du Daudet ?
Mais ce qui rend le personnage définitivement sympathique à mes yeux, c’est sa capacité d’autodérision. Après avoir évoqué ses « restes d’espoir » en forme de « fantasmes », Todd conclut : « Mais peut-on prendre au sérieux quelqu’un qui a pris Hollande au sérieux ? »
Tout en plaidant coupable, il convoque ainsi au banc des accusés, mine de rien, tous ceux qui, comme lui, ont pris un peu trop au sérieux Hollande – et même Sarkozy. Il a raison, le bougre… Que celui qui n’a jamais voté lui jette la première pierre !
JULES LE MISÉRABLE
14 mai. Puisque décidément, dans ce magazine d’actualité, on ne peut pas parler de Chesterton tous les mois, j’ai pensé à Jules Renard pour changer. Son Journal ne me quitte guère, et pour cause : les « nouvelles » qu’il y donne de la condition humaine sont indémodables.
En date du 1er avril 1895, sous le titre Examen, cet athée-là passe sévèrement en revue sa vie (il n’a que 30 ans !) avec tous ses errements, à défaut de péchés, avant de conclure : « Je ne suis qu’un misérable, je le sais. Je n’en suis pas plus fier. Je le sais, et je continuerai. » La confession, oui ; l’absolution, non !
« L’œil clair » de Jules Renard fait merveille, aussi, pour décrire les autres. Ainsi de Mallarmé, qu’il épingle en quatre mots : « Intraduisible, même en français ».
Ç’est ça, l’avantage du Journal destiné à être publié à titre posthume : on peut tout dire sur tout et tous ! En théorie du moins… Après la mort du pauvre Jules, une bonne moitié de son manuscrit sera brûlé par les soins conjugués de sa veuve et de son éditeur, pour convenances personnelles.
Reste quand même mille pages denses, toutes de finesse et de lucidité, que l’on peut ouvrir au hasard et toujours avec bonheur. « Il faut feuilleter tous les livres, et n’en lire qu’un seul », disait-il. Si c’est vrai, je vous recommande son Journal.
BERNADETTE EN REMONTRE À SON ÉVÊQUE
16 mai. Après l’athéisme, la foi qui soulève les montagnes, et même les prélats. Dialogue entre Bernadette Soubirous et son évêque :
– « La Dame veut que vous lui construisiez une église.
– Tu veux me faire croire ça ?
– La Dame ne m’a pas dit de vous le faire croire. Elle m’a dit de vous le dire. »
VIVE PÉGUY QUAND MÊME !
19 mai. Ça devait arriver : une fois retrouvé « mon » Reboux & Muller, et malgré le « bouclage » de Causeur, je n’ai pas pu m’empêcher de le relire d’une traite – c’est-à-dire pour moi en trois jours. On ne déguste pas une liqueur comme une vulgaire « 8/6 ».
Je l’ai savouré avec autant de plaisir qu’au premier jour, voire plus : un trésor d’esprit au service de la culture − et la Bible du parodiste ! Sa première publication peut bien dater d’un siècle, les chefs-d’œuvre ne prennent pas la poussière.
À la relecture, j’ai quand même trouvé nos amis un peu sévères avec Péguy, ce républicain intransigeant devenu soudain, à 33 ans, « catholique et français toujours ». Le pauvre en prend pour son grade de lieutenant de réserve du 276e d’infanterie.
Déjà, l’avertissement en exergue de ses Cahiers donne le ton : « Un abonnement donne droit au salut militaire. Dix abonnements donnent droit au salut éternel. » Quant au titre, il donne une furieuse envie de ne pas lire : Deuxième subdivision de la trente-septième série préparatoire du cinquième des Cahiers de la Neuvaine. De fait, les Litanies de sainte Barbe sont répétitives à souhait : du Hare Krishna catho !
Sur la foi de Reboux & Muller, j’ai donc considéré longtemps Péguy comme un vieil emmerdeur. Jusqu’au jour où, l’âge venant, j’ai fini par m’intéresser à ce défenseur acharné de la foi et du drapeau – déjà ringards il y a cent ans aux yeux des beaux esprits.
Bien sûr, en tentant d’en savoir plus, j’ai buté sur plein d’obstacles, dont Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc et Le Porche du mystère de la deuxième vertu (qui n’est même pas la suite !)
Mais j’ai aussi été fasciné par la beauté de certaines pièces mystico-patriotiques. L’inspiration a un peu vieilli, certes, mais c’est aussi ça que j’aime. Le plus célèbre de ses poèmes, Charles l’avait dédié en 1913 à ses ancêtres morts au front, un an avant de les rejoindre, d’une balle au front aussi :
« Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle,
Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre […]
Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles
Couchés dessus le sol à la face de Dieu […]
Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés ».
C’est beau, je sais, mais, pour des raisons de place, je ne vous citerai pas ici les 163 autres vers.
L’ANGOISSE EST DANS LE PRÉ
22 mai. « Savoir que c’est soi-même, et ne pas se reconnaître. » De qui, cette troublante expérience métaphysique, entendue en zappant à la radio ? Descartes, Spinoza, Cyrulnik ? Même pas : Karine Le Marchand chez Morandini (Europe 1), à propos de son émission de téléréalité « L’Amour est dans le pré ». Résultat : je comprends encore moins bien.
LA « MANIF POUR TOUS »… SAUF BARJOT !
26 mai. Alléluia ! Barjot a résisté jusqu’au bout à la tentation de rejoindre une dernière fois cette foule qu’elle aime, et qu’elle avait largement contribué à lever. Mais il fallait trancher : depuis plus d’un mois, cette « Manif pour tous » n’était plus la sienne.
Après le vote définitif de la loi, le 23 avril, le mystérieux « Pilotburo » aux commandes du mouvement était censé tirer les conclusions de ce fait nouveau et se tourner vers l’avenir. Voilà-t-il pas qu’au contraire, il se raidit dans le jusqu’au-boutinisme, avec un mot d’ordre de « retrait sec et sans conditions » désormais dadaïste.
Face à cette radicalisation, c’est peu dire que Barjot va faire un flop en réaffirmant les contre-propositions qu’elle porte depuis l’origine face au mariage-filiation-pour-tous. Huée par le GUD à Lyon, non sans complicités dans l’organisation, elle découvre soudain l’horrible vérité : LMPT, en fait, c’est devenu LMPTLCTFA (La Manif Pour Tous les Cathos Tradis & Fachos Assimilés).
Aux yeux de l’état-major, le « mariage pour tous » s’avère n’être en fait que la dernière métastase en date d’un cancer qui ronge depuis plus d’un siècle la Fille aînée de l’Église, du PACS à la capote et jusqu’à la loi de 1905, voire le « Ralliement ».
Un tel virage sectaire n’est pas sans me rappeler le thème des récentes « Rencontres internationales des intermittents de la pensée », organisées par Jalons sur le thème : « On va dans le mur, tu viens ? » Dès lors, les vrais amis de Barjot n’ont eu de cesse de l’encourager à sauter du train fou avant qu’il ne s’écrase.
Après avoir été la cible de la gauche pensante et des gays professionnels, elle est devenue en plus celle des excités d’extrême droite. Insultée de toutes parts, accusée tour à tour d’homophobie et d’homophilophobophobie, menacée de mort par tous moyens anonymes et soutenue par sa « hiérarchie » comme le pendu par la corde, pourquoi Frigide serait-elle donc restée, en première ligne sous ces tirs croisés ?
Ce qui l’a vraiment décidée à décliner l’invitation des gentils organisateurs, ce 26 mai, c’est d’apprendre le sort qu’ils lui réservaient sur le podium : elle n’aurait tout simplement pas la parole, elle, la porte-parole historique du mouvement !
Aux yeux des médias et de l’opinion, elle incarnait la « Manif pour tous ». Comment faire savoir qu’elle n’y contrôlait plus rien : ni la dérive intégriste des hiérarques, ni sa propre liberté d’expression, ni même sa sécurité ?
En n’y allant pas.[/access]
*Photo: Kay Harpa
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