On nous avait vendu l’Europe comme le bouclier anti-nationaliste qui instaurerait une paix définitive sur un continent labouré par deux guerres mondiales. Nous sommes aujourd’hui forcés d’abandonner ce rêve simpliste : à la remorque des Etats-Unis, l’Europe cherche la guerre, et fait de son mieux pour la provoquer, estime notre chroniqueur.
Jean Monnet, heureux lascar qui, né en 1888, avait eu l’avantage indéniable de connaître deux guerres mondiales sans en faire lui-même aucune, nous avait vendu la création de l’Europe CEE comme un remède définitif au choc des nations. Banquier aux Etats-Unis à partir des années 1920, promoteur d’une fusion France-Grande-Bretagne (si !) comme aux plus beaux temps de la Guerre de Cent ans, il est resté le petit télégraphiste des Etats-Unis, comme disait De Gaulle qui ne l’aimait guère. Monnet avait refusé de se joindre au projet de « France libre », car il pensait plus utile de se mettre sous la houlette des Anglo-saxons.
La Troisième Guerre mondiale sur les rails ?
Il se fit après-guerre le promoteur d’une Communauté Européenne de Défense, qui mit le Général en fureur et que Mendès-France refusa sagement d’entériner. La création de la CEE, et le ralliement de l’Allemagne à l’OTAN en préambule du Traité de l’Élysée en 1963, c’est l’œuvre de Monnet. Et la décision européenne d’armer l’Ukraine et d’intervenir en douce dans le conflit qui l’oppose à la Russie (le Times affirme que des commandos britanniques sont déjà à l’œuvre là-bas), c’est encore, à distance, l’œuvre de Monnet.
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Plus de guerres ? Ah oui ? L’UE vient d’envoyer pour 450 millions d’euros d’armes à l’Ukraine — et des instructeurs pour aider les Ukrainiens à s’en servir, tout comme les Etats-Unis avaient envoyé des « conseillers » au Vietnam… La Troisième Guerre mondiale est sur les rails, et ceux qui pensent encore que c’est « la faute aux Russes » devraient réviser le jeu des alliances et des tutelles depuis cinquante ans — en particulier la décision de Sarkozy de rejoindre le commandement intégré de l’OTAN, et l’incitation faite à l’Ukraine en 2014 de rejoindre une alliance commandée par les Etats-Unis.
L’Allemagne, tremplin des forces américaines en Europe
À noter que la guerre déclenchée par l’OTAN contre la Serbie à partir de 1999 n’a pas fait bouger un cil à la communauté européenne, qui a applaudi le bombardement de Belgrade et les secours envoyés aux musulmans bosniaques, qui servent aujourd’hui de tête de pont aux menées islamistes et à tous les trafics — d’armes et de d’organes en particulier. Carton plein.
Non que je m’indigne de cette supervision américaine de l’OTAN. Il est assez logique, dans une entreprise, de laisser le gros actionnaire décider de tout — n’en déplaise aux petits. Mais le matraquage médiatique sur les exactions de l’armée russe (les soldats ukrainiens, eux, ne violent et ne tuent personne — d’ailleurs ils font des prisonniers de guerre auxquels ils ne pensent même pas à mettre une balle dans la tête) parviendra sans doute à nous convaincre qu’il faut intervenir de façon plus directe dans le conflit.
Mais je m’interroge sur la façon dont certains politiques — Macron en tête — vont s’écriant « L’Europe ! L’Europe ! L’Europe ! » comme si c’était un bouclier face à la rivalité américano-russe, alors que nous sommes juste le doigt entre l’écorce et l’arbre. Que les mêmes partis qui dominent la France soient nos mandataires à Bruxelles est un mélange des genres inquiétant : pourquoi défendraient-ils ici une indépendance nationale qu’ils récusent là-bas ?
La nation a été la grande absente des récentes élections. La nation et la République, et ce qui les constitue — l’histoire et la culture. Ni Marine Le Pen, qui faute de culture a renoncé à contester l’Europe, ni Eric Zemmour, libéral dans l’âme et qui pense que le libre-échange n’entre pas en conflit avec l’indépendance, ne sont de vrais républicains. Les vrais républicains, ce sont ceux qui à Valmy se sont opposés aux armées coalisées qui voulaient faire l’union européenne sur le dos de la Révolution. Ce sont ceux qui ont lutté contre l’Allemagne — pas ceux qui plus tard ont léché le cul du Deutsche Mark tout-puissant, ou consenti à ce que l’euro soit défini par rapport à ce même Deutsche Mark, sous prétexte de faciliter la réunion des deux Allemagnes — un joli tremplin pour les forces américaines présentes en Europe.
Notre stabilité menacée
Les États-Unis n’ont jamais consenti à une Europe indépendante. Ils mènent une politique de blocs et, dans leur anti-soviétisme perpétué, préconisent l’entrée en guerre des Européens — sans risque pour eux-mêmes. Ça me rappelle la façon dont les seigneurs des guerres médiévales envoyaient la piétaille se faire massacrer en leur lieu et place.
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J’explique dans mon dernier livre sur l’école que les Européanistes disciples de Monnet, Giscard and co., ont modifié les programmes scolaires, dans l’étude de la langue ou en histoire, de façon à ce que les petits Français soient dépossédés d’un héritage millénaire. Ils préféraient de très loin des « communautés » qui éclatent le pays façon puzzle à une France unie et forte. Le boulot est fait : désormais, les Français, à quelques exceptions près, sont prêts à admettre qu’il est nécessaire d’aller faire la guerre à l’Est — et d’y mourir, pour la plus grande joie d’Américains qui benoîtement s’offrent à nous vendre du gaz ou du pétrole au prix fort. C’est ce jeu avantageux que défendent parfois à leur insu tous ceux qui aujourd’hui, prêchent un interventionnisme lourd. Le marché a-t-il besoin d’un conflit majeur pour se revitaliser ? Ou plus simplement, la volonté de puissance des Américains et des Russes aura-t-elle raison de la stabilité (relative, mais stabilité quand même) des soixante-dix dernières années ? Quand Paris sera bombardé, nous aurons la réponse.
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