Accueil Édition Abonné Avril 2022 Les jardins, un patrimoine à la française

Les jardins, un patrimoine à la française

Candide : « Il faut cultiver notre jardin »


Les jardins, un patrimoine à la française
La terrasse des Orangers est l'un des trésors du domaine national de Saint-Cloud © Eric Sander - CMN

Les parcs et jardins constituent une part remarquable de notre patrimoine historique. Mais ces créations fragiles ont été négligées au fil des siècles. C’est pourquoi le Centre des monuments nationaux (CMN) met les bouchées doubles pour restaurer notre « patrimoine vert ». Les chantiers sont colossaux.


La grande tempête de 1999 a été un drame humain et matériel qui nous a cependant permis de prendre conscience de l’importance de notre patrimoine naturel, remarquable et fragile – on se souvient de l’incroyable succès de la souscription publique lancée pour replanter le parc de Versailles. Et ces dernières années, la pandémie de Covid a révélé chez les citadins un besoin de nature, de verdure et de vastes espaces. Tous ces facteurs alimentent une nouvelle approche du Centre des monuments nationaux (CMN) vis-à-vis du « patrimoine vert », ces parcs et jardins qui entourent bien souvent nos châteaux et qui ont été trop longtemps négligés. L’entretien et la restauration du patrimoine bâti est une obligation, mais la prise de conscience qu’un jardin peut être l’écrin de verdure fondamental à un monument – son pendant, voire son prolongement extérieur– est une avancée majeure pour le patrimoine. À leur façon, nos parcs et jardins racontent, eux aussi, l’histoire des siècles passés.

Une approche différente et coûteuse

La restauration d’un monument est bien différente de celle d’un jardin. Un bâtiment assaini, « hors d’eau », nécessite un entretien régulier, mais moins fréquent – et moins coûteux – que celui d’un extérieur qui s’avère être un chantier perpétuel. Il est ici question de travailler le vivant qui, par définition, évolue en permanence. Aux cycles saisonniers auxquels il faut répondre – tailler les arbres et tondre les pelouses, replanter les parterres selon les floraisons et désherber les allées –, s’ajoutent les imprévus d’une tempête, d’une inondation, du gel, de la sécheresse et des phytovirus. Le plus beau des jardins reste ainsi une œuvre constamment menacée de destruction.

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Sur la centaine de monuments qui lui sont confiés par l’État, le CMN gère un patrimoine naturel important : 82 parcs, jardins d’agrément, potagers, vergers, mais aussi des terres agricoles et des domaines forestiers qui totalisent près de 3 100 hectares à travers tout le pays. L’urgence d’une restauration pour certains d’entre eux et l’entretien obligatoire de cet ensemble a un coût très élevé. Philippe Bélaval, le président du CMN, reconnaît qu’il « est nécessaire de dégager davantage de budget pour garantir l’avenir de ces espaces. En outre, nous n’avons pas suffisamment de jardiniers, ce qui nous oblige à faire appel à de la main-d’œuvre extérieure pour de nombreuses tâches, tel l’élagage, et l’externalisation coûte cher. De plus, le xxe siècle n’ayant pas apporté une grande attention au patrimoine vert, il se passe avec les parcs et jardins la même chose qu’avec les bâtiments : ce qui n’a pas été entretenu coûte plus cher à restaurer ! L’exemple le plus cruel est actuellement le parc de Saint-Cloud, dessiné par Le Nôtre. Ce lieu qui est une œuvre d’art, une œuvre de l’esprit, avec son terrain vallonné et ses escarpements qui dominent la vallée de la Seine, ce lieu où Le Nôtre s’est montré encore plus virtuose qu’à Versailles, subit les conséquences du vieillissement des arbres, des tempêtes et des négligences successives. Aussi, les travaux se feront par tranches de plusieurs dizaines de millions d’euros chacune. La situation est comparable dans le parc du château de Bouges, dans l’Indre, conçu par les Duchêne au tournant du xxe siècle. Nous y menons en ce moment une campagne d’abattage et de remplacement d’arbres ainsi que l’entretien du système hydraulique. Le seul curage de l’étang et la consolidation de ses berges s’élèvent à 75 000 euros. Et à Rambouillet, la restauration du chapelet d’îlots est estimée à 300 000 euros. »

Les pièces d’eau sont en effet au cœur de ce patrimoine vert. Leur sauvegarde est une nécessité et le CMN mise sur des solutions inédites pour les pérenniser. Seront ainsi mis en place des systèmes de récupération des eaux de ruissellement, des circuits fermés dans les bassins et les fontaines… Ces ouvrages, riches de décors sculptés, nécessitent aussi des restaurations d’envergure. C’est le cas à Saint-Cloud où le chantier de la grande cascade s’élève à 11 millions d’euros.

Chantiers hors norme

Le domaine de Saint-Cloud représente un chantier colossal dont le budget peut être comparé à celui de Villers-Cotterêts, ce château Renaissance[1] qu’Emmanuel Macron souhaite transformer en « cité internationale de la langue française » pour la coquette somme de 180 millions d’euros. Comme pour le Panthéon, pour lequel le CMN a déboursé plus de 100 millions, Saint-Cloud s’apprête à connaître une restauration en profondeur et étalée dans le temps. Parce qu’il est encore ici question de gros sous, Philippe Bélaval avait demandé à l’Élysée que le plan de relance, présenté en octobre dernier, prévoie une tranche dédiée au patrimoine vert afin, précisément, de permettre le financement de ces grandes campagnes de travaux. Il n’a pas été entendu. « S’il devait y avoir un nouveau plan de relance, explique-t-il aujourd’hui, je le reproposerais car ce patrimoine spécifique touche plusieurs objectifs à la fois : cela donne du travail à des entreprises du secteur forestier horticole qui est très important, cela répond aux objectifs de la politique patrimoniale et cela rejoint les objectifs de la politique écologique puisque nos travaux contribuent à la préservation de la biodiversité. Saint-Cloud est aussi un poumon pour la capitale. En cela, ce parc représente un véritable enjeu écologique. »

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En se frottant à la nature, on apprend à être patient et à jouer avec l’inconstance du climat, à jongler, aussi, avec les impératifs de l’administration et ceux des saisons qui ne vont pas toujours dans le même sens. Et puis il y a cette donne impondérable qui pose de plus en plus problème aux hommes : le temps. Tracer et replanter un jardin demande des délais beaucoup plus longs qu’un ravalement de façade ou un changement de toiture. Et le résultat n’est pas immédiatement visible. Avant de mesurer le plein effet d’une campagne de restauration, il faut que les plantations s’installent, que les arbres grandissent… et ce n’est qu’après trois ou quatre ans que l’on peut réellement juger du succès d’un chantier. Ce temps long explique peut-être la difficulté de convaincre mécènes et responsables politiques d’investir durablement dans ce patrimoine vert. Beaucoup n’ont pas la philosophie de l’octogénaire de La Fontaine, dans Le Vieillard et les Trois Jeunes Hommes : « Passe encore de bâtir ; mais planter à cet âge ! Disaient trois Jouvenceaux, enfants du voisinage »

Ça pousse

Si la splendeur retrouvée de Saint-Cloud n’est pas pour demain, le public peut déjà admirer la première étape de la restauration des jardins du château de Maisons-Laffitte, près de Paris. Ce chef-d’œuvre de Mansart, « une des plus belles choses que nous ayons en France », disait Charles Perrault en 1696, a malheureusement perdu au fil du temps l’ampleur de son parc – qui ne représente plus que 1 % de sa superficie d’origine ! Drastiquement diminué par l’urbanisation au xixe siècle, loti et remanié dans la seconde moitié du xxe, amputé par des voies de circulation, le terrain n’offre plus les perspectives et les axes de promenade qui faisaient le ravissement des visiteurs. Mais le domaine a conservé quelques beaux restes – telles ses grottes ou salles de fraîcheur – mis en valeur par l’architecte en chef des Monuments historiques, Stefan Manciulescu, et le paysagiste Louis Benech. Les premières études ont été lancées en 2010, le chantier s’est déroulé de juillet 2020 à juillet 2021, sera totalement achevé en 2025 et aura coûté 4 millions d’euros. Le travail du paysagiste a notamment consisté à réduire les surfaces de gravier pour augmenter celles de verdure afin d’accentuer l’impression d’« écrin végétal ». Il a densifié les plantations déjà existantes avec une centaine de nouveaux arbres et joué sur leurs essences pour, qu’une fois grands, ils ne brouillent pas les alignements redessinés ni n’occultent les façades du château. Les deux parterres centraux ont été allongés et traités en « prairie fleurie » et, ici encore, le grand bassin a été rénové et ses 39 jets remis en état de marche. Parce qu’un jardin raconte une histoire, Louis Benech aimerait « que cette “prairie” qui entoure le bassin soit suffisamment agréable pour que les visiteurs aillent jusqu’au bout pour avoir une jolie lecture sur le château. » Son objectif est atteint : lorsque l’on descend l’escalier de la terrasse sud, nos pas nous mènent naturellement au bout du parc.

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Conservatoire écolo

Sensible aux vieilles pierres, un conservateur du patrimoine doit désormais être aussi attentif au réchauffement climatique et au bien-être animal. C’est dans l’air du temps, mais c’est une dimension inattendue de la tâche que s’est fixée le Centre des monuments nationaux dans sa promotion du patrimoine vert. Demi-surprise, pour être juste, puisqu’il est évident que ses vastes parcs, jardins et forêts sont de véritables réservoirs de biodiversité. « Nous devons prendre désormais en considération des spécialités que nous pouvions jusque-là minimiser, comme la défense des oiseaux, par exemple, reconnaît Philippe Bélaval. C’est aujourd’hui une considération positive. Cette prise de conscience du CMN a commencé avec le chantier du château d’Azay-le-Rideau, quand il a fallu ménager les chauves-souris qui habitent dans les combles. Nous devons déranger le moins possible les espèces qui vivent sur nos sites, nous devons même, dans notre mission de conservation, leur donner une occasion de se développer et de prospérer. Cette dimension supplémentaire est complètement nouvelle dans le métier de conservation du patrimoine. Aussi nous appuyons-nous sur des associations spécialisées, telle la Ligue de la protection des oiseaux, avec laquelle nous avons un accord-cadre et tout un ensemble de conventions localisées, jusque dans le jardin de l’hôtel de Sully [siège du CMN, ndlr], dans le Marais, qui est labélisé refuge LPO[2], à l’instar de 15 autres de nos monuments. » Dans sa lancée, le CMN s’adjoint les services de moutons, de poules, d’abeilles et autres insectes pour entretenir et revitaliser ses espaces verts. Il est aussi attentif aux phyllodactyles, ces lézards qui s’abritent dans les recoins des remparts du château d’If, qu’aux faucons qui nidifient sur les corniches de l’Arc de triomphe.

Tous les sites et monuments du CMN : www.monuments-nationaux.fr

Au château d’Esquelbecq, le tracé du jardin flamand remonte à la Renaissance © Château d’Esquelbecq
Esquelbecq, un jardin flamand
Les propriétaires de jardins privés sont souvent heureux d’en ouvrir les grilles aux visiteurs. En reprenant en main le château familial d’Esquelbecq, en 2015, Johan Tamer-Morael en a même fait une priorité. Outre le château, remarquable témoignage de l’architecture flamande du xviie siècle, le jardin est une curiosité en soi : avec son tracé Renaissance, il est le plus ancien de France. Sur un hectare, ses compartiments cadrent des allées en étoile bordées de buis taillés. Sa collection d’arbres fruitiers anciens montés en espaliers, de même que son potager de légumes oubliés et sa serre à vigne font l’admiration des amateurs et des connaisseurs. Au-delà, cinq hectares de parc paysager dessiné au xixe siècle serpentent vers une île et des rotondes de tilleuls. Johan et son association ne ménagent pas leurs efforts pour faire vivre ce domaine hors du temps. En 2019, plus 14 000 visiteurs ont assisté aux différents événements organisés au jardin : journée des plantes, ateliers de transmission de savoirs jardiniers, expositions, promenades aux flambeaux… •
Château d’Esquelbecq

Toutes les infos du château : www.chateau-esquelbecq.com

Capitale

Price: 20,00 €

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[1] C’est dans ce château que François Ier édicta, en août 1539, l’ordonnance dite « de Villers-Cotterêts » qui consacre, parmi d’autres articles, le français comme la langue officielle du royaume de France. N’ayant jamais été abrogée, cette ordonnance est notre plus ancien texte législatif.

[2] Un terrain public ou privé sur lequel le propriétaire s’engage à préserver et accueillir la biodiversité de proximité.

Avril 2022 - Causeur #100

Article extrait du Magazine Causeur




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Journaliste. Dernière publication "Vivre en ville" (Les éditions du Cerf, 2023)

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