Il y a quelque temps, je me suis mis dans la tête qu’il me fallait écrire une contre-histoire de la colonisation française. Je fonctionne ainsi : toujours à contre-courant de la pensée dominante, d’où mon insuccès ici-bas et mes nombreuses amitiés au sein des milieux les plus divers et qui se détestent parfois les uns les autres. L’adversité est une école de la vie, elle m’a appris qu’il y a des gens valables et admirables à l’extrême-gauche comme à l’extrême-droite, et que les gens qui se détestent au nom d’une idéologie partagent souvent des points de départs communs : la quête de la justice et de la dignité.
Mon manuscrit est prêt. Il attend un éditeur. Je lui promets d’avance que cette publication suscitera l’ire de Mesdames Taubira, Obono et Diallo. Étant de confession musulmane, je suis habitué aux fatwas et elles ne me font pas peur !
Terrain miné
Mon livre n’est ni une ode aux pieds noirs ni un réquisitoire contre le FLN, c’est un voyage au bout de la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C’est donc un périple en un territoire inconnu, un cheminement en terrain miné.
Pour me documenter, j’ai navigué au milieu d’une cinquantaine d’ouvrages. Parmi les plus marquants, je cite volontiers Trente-deux ans à travers l’Islam de Léon Roches, une histoire vraie qui raconte la désertion d’un Français d’Algérie, tombé fou amoureux d’une jeune musulmane nommée Khadija (belle et mystérieuse, forcément). Cette désertion le conduira à rejoindre les rangs de l’émir Abdelkader, dont il sera un des proches conseillers. Le livre, au-delà de l’aspect lyrique de l’aventure amoureuse, décrit l’état réel de l’Algérie avant la conquête : une terre fracturée entre plusieurs tribus qui n’ont rien en commun à part la religion musulmane et l’habitude d’obéir aux Turcs.
A lire aussi, Jean Sévillia: «Depuis 40 ans, la France se couche devant le pouvoir algérien»
J’ai également été ravi par Auguste Pavie et sa Conquête des cœurs où l’on apprend que la France a évité le grand remplacement du peuple khmer. Que BHL et Léa Salamé me pardonnent le jour du Jugement Dernier ! Je jure que j’ai caché le livre d’Auguste Pavie au fond du tiroir où je garde ma collection de revues érotiques brésiliennes (il fut un temps où je m’intéressais au tropicalisme dans la photo érotique, mais là c’est une autre histoire… d’appropriation culturelle). Juste pour terminer mon propos : les Khmers se sont littéralement donnés aux Français autour des années 1860-1870, car ils étaient sur le point de se faire engloutir par les Vietnamiens (à l’est) et par les Thais (à l’ouest). La colonisation française a donc été une libération au Cambodge et au Laos.
Mais, une question n’a cessé de me tarauder. Pourquoi est-ce que les Français ont colonisé ? La question est valide car il n’y avait aucune richesse vraiment exceptionnelle dans les pays qu’ils ont conquis. L’Afrique du Nord, à commencer par l’Algérie, est une terre sèche et stérile. L’Indochine n’a rien à offrir à part un peu de charbon (en abondance à Roubaix et à Tourcoing) et son hévéa (une commodity banale sur le marché international). Et les colonies françaises en Afrique ont eu le « mauvais goût » de ne pas offrir de diamants et d’or, contrairement aux dominions britanniques en Afrique du Sud, au Botswana et en Rhodésie.
Les réponses de l’historien Raoul Girardet
Une chose est de s’amuser en plantant son drapeau sur la kasbah d’Alger ou à Tombouctou, une autre est de conquérir systématiquement douze millions de km2 avec l’assurance de n’y trouver aucune ressource de choix à part des moustiques et des coups de sagaies.
C’est dans le livre de Raoul Girardet (1917-2013) que j’ai trouvé la réponse. Intitulé L’idée coloniale, 1871-1962, ce livre retrace la genèse d’une idée folle dont nous ne cessons de payer les conséquences, à commencer par l’invasion migratoire et la honte ressentie par nos enfants sur les bancs de l’école à chaque fois que le mot France est prononcé. Raoul Girardet restitue la naissance de l’idée coloniale dans les esprits des Français et ce qu’il raconte est fascinant. Par souci de synthèse, je n’en restituerai que quelques traits saillants : (1) Tout s’est joué après la défaite de Sedan en 1870 où la France a été amputée de l’Alsace et de la Lorraine, (2) la gauche républicaine a proposé alors d’effacer l’humiliation en se lançant à la conquête de « l’Afrique ténébreuse » et de « l’Asie silencieuse ». Au passage, il s’agissait de détourner l’armée de toute tentative de revanche contre les Allemands et de donner un surcroît de légitimé à un régime né dans la douleur et la peine : la Troisième République. (3) L’opinion publique n’a pas marché dans le coup, les Français se désintéressant totalement des colonies jusqu’au lendemain de la Première Guerre Mondiale. En réalité, ils ont manifesté une réelle hostilité à l’expansion coloniale à ses débuts, comme lors de la prise du Tonkin en 1883-85, (4) nonobstant l’indifférence de l’opinion publique, le lobby colonial a placé ses pions et a tiré les ficelles pour réaliser son agenda, s’emparant en quelques années de la Tunisie, du Congo, de l’Indochine et d’une partie de Madagascar. Placée devant le fait accompli, la classe politique a dû se résigner et rallier l’idée coloniale. La droite, pourtant hostile à la colonisation à ses débuts, s’est couchée autour de 1905.
A lire ensuite, du même auteur: Le grand remplacement tuera la diversité du monde!
Et maintenant, le ressac !
Ça ne vous rappelle rien tout ça ? On dirait l’histoire de l’invasion migratoire des dernières années où VGE et les socialistes ont fait venir les immigrés avant que le RPR ne finisse par se convertir, lui aussi, au credo de « l’immigration, chance pour la France ». D’ailleurs, le lobby colonial, comme le décrit si bien Raoul Girardet, a présenté la colonisation comme une « chance » pour la France sur les plans économiques, géopolitiques et culturels. Une occasion unique en son genre d’éviter « le repli sur soi ».
L’Histoire se répète donc ! Quoi de plus normal lorsqu’on sait que la nature humaine n’a pas changé et que le citoyen n’a toujours pas appris à se défendre contre la manipulation, l’influence et la propagande. Lisez le livre de Raoul Girardet pour accéder à la véritable pensée française, une pensée d’élite, sophistiquée et accessible au grand public. Girardet a eu la vie que j’aurais aimé avoir, se consacrant à ce qu’il y a de plus beau dans les sciences sociales à mon avis : cartographier les émotions et écrire l’histoire de la sensibilité. En effet, ce sont les sentiments qui mènent le monde, les idées n’étant que des cagoules que nous posons à la va-vite sur nos passions et nos aspirations par excès de pudeur.
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