Énergie, salaires ou retraites… À l’approche du second tour, Marine Le Pen et Emmanuel Macron ont des arguments très différents pour convaincre les citoyens de gauche et les abstentionnistes.
Intéressante lecture que celle du livre de la journaliste Anne Nivat La France de face, en cette période de l’entre-deux tours du scrutin présidentiel. Pour les besoins d’un précédent ouvrage intitulé Un continent derrière Poutine ?, paru à la veille de la réélection de Vladimir Poutine, en mars 2018, l’auteure était partie à la rencontre d’électeurs russes de toutes catégories sociales. Une constante transparaissait de cette galerie des portraits : celui du manque chronique d’argent, de moyens et de perspectives. Au fin fond de la province russe, retraités, enseignants, employés ou petits entrepreneurs étaient désabusés et impécunieux, mais globalement résignés à leur sort. Loin de la vie trépidante des couches aisées et des élites au pouvoir à Moscou et à Saint-Pétersbourg – deux métropoles-vitrines de la Russie, qui concentrent toutes les richesses – en province, le petit peuple vivotait, survivait et tentait au jour le jour de se débrouiller par des expédients. Les Français vont-ils privilégier « la verticale du pouvoir » à l’instar des Russes lors de la réélection de Poutine en 2018 ?
Marine Le Pen obtient 41% des voix à Denain
Les aspirations profondes du peuple russe, ses angoisses et ses fragiles espoirs l’avaient conduit à adhérer à la « verticale du pouvoir ». Cette expression utilisée pour la première fois par Poutine dans son premier discours sur l’état de la nation russe en juillet 2000, désignait avant tout la consolidation du pouvoir entre les mains du Kremlin en dépit des nombreuses divergences existantes au sein de cette société post-soviétique. Les citoyens de la Fédération de Russie avaient fini par plébisciter le maintien au pouvoir de Poutine. « L’élection présidentielle de 2018 est un non-événement pour la plupart des Russes rencontrés » commentait alors Anne Nivat. « Ce qui leur importe le plus : vivre en paix. Les changements incessants des quatre dernières décennies ont marqué ce peuple qui rêve avant tout de stabilité et ils l’ont cette stabilité, depuis le début du nouveau siècle, sous Poutine. Des Russes qui savent que leur Président n’est pas irréprochable mais qui n’étaient pas prêts cette fois-ci à plonger dans l’inconnu».
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Pour écrire La France de face, la journaliste a tenté la même démarche sociologique en s’immergeant dans la France profonde, en se tenant résolument à bonne distance des feux de la rampe parisiens. À commencer par Denain dans le Nord, l’une des villes les plus pauvres de France. Au premier tour du scrutin, le 10 avril, Marine Le Pen y a recueilli plus de 41% des voix, contre seulement 14% pour Emmanuel Macron. Le 11 avril, ce dernier a décidé de s’y rendre en personne pour tenter d’y défendre son bilan et son projet. Interpellé par des gilets jaunes et par des citoyens témoins directs du déclassement vertigineux des Français, de l’inflation galopante, de l’insécurité, de l’implantation implacable de l’islamisme et des perspectives moroses offertes à une jeunesse française désenchantée, le président sortant a conclu sa visite-éclair par une formule-choc, qui en surprit plus d’un : « Je suis comme vous, je ne suis pas Mimie Mathy », qui rappelle sa réponse sur l’absence d’ « argent magique » lors d’un autre bain de foule bien avant les élections. À ces oubliés de la mondialisation – que l’on avait cru un temps heureuse – Emmanuel Macron propose désormais des chèques alimentaires « pour acheter bio ou local ». Dans le domaine de l’énergie, Emmanuel Macron est favorable aux sanctions contre la Russie. Pour faire face aux hausses de prix, le bouclier tarifaire sur le prix du gaz sera maintenu jusqu’à la fin de l’année. Le président consent jusqu’au 31 juillet, un rabais de 18 centimes par litre d’essence pour les particuliers (si tant est que les Français puissent encore se permettre de posséder un véhicule car, pour certains, entre manger ou rouler, il faut désormais choisir). Pour les professionnels tels que les pêcheurs, il a consenti une aide de 35 centimes par litre de gazole. À noter cependant que le Parlement européen a voté le 7 avril dernier, en faveur d’un embargo total et immédiat sur le pétrole, le gaz, le charbon et le combustible nucléaire russes. Par ailleurs, selon le New York Times, l’Union européenne s’apprêterait à décréter un embargo sur le pétrole russe après le second tour des élections présidentielles françaises, de manière à ne pas entraver la réélection d’Emmanuel Macron.
Incertitudes sur l’âge de la retraite et jeunesse oubliée
Ont été également annoncées la suppression de la redevance sur l’audiovisuel et la rénovation de 700 000 logements par an. En revanche, le pouvoir en place s’entête de manière incompréhensible à ne pas réintégrer les 15 000 soignants suspendus en raison de leur refus de l’obligation vaccinale pour leur profession, et ce, en dépit de la pénurie alarmante de personnels médicaux. L’âge de la retraite sera porté à 64 ou 65 ans, ce qui selon le président, devrait financer le minimum retraite à 1100 €. La réduction de l’indemnisation du chômage continue de poser problème et le RSA (575 € par mois pour une personne seule), conditionné à un minimum d’activité de quinze à vingt heures par semaine, est certainement rédhibitoire pour un électorat en grande difficulté. La baisse des allocations logement a laissé un goût d’amertume. Nulle annonce, par ailleurs, sur la demi-part fiscale dont pouvaient encore bénéficier les veuves et les veufs de France il y a quelques années, avant que celle-ci ne soit supprimée par François Hollande.
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Concernant la misère estudiantine, l’impossibilité, pendant la crise sanitaire, pour les étudiants en grande précarité dont le passe vaccinal n’était pas à jour, de bénéficier de l’aide alimentaire distribuée par des bénévoles, a marqué les esprits. Le fait que les chambres de certaines cités universitaires du CROUS soient infestées de punaises et que l’hygiène y laisse à désirer, ne manque pas d’entacher les promesses électorales faites à la jeunesse. Dans un tel contexte, certains étudiants français s’interrogent, en outre, sur la pertinence du projet d’Emmanuel Macron annoncé en 2018, qui consiste à augmenter le nombre d’étudiants étrangers à 500 000 personnes d’ici 2027. Ces derniers bénéficient des aides de l’État et les frais de scolarité qui leur sont appliqués sont loin de ceux pratiqués dans tous les autres pays de la planète. Depuis 2018, ce chiffre a augmenté de 40 000 personnes. Actuellement, sur 1,65 millions d’inscrits dans les universités françaises, 367 000 sont des étudiants étrangers. Parmi eux, se trouvent 47 500 étudiants chinois, alors que la Chine n’accueille en contrepartie que 10 000 étudiants français…
Le programme économique surprenant de Marine Le Pen
En matière économique et sociale, Marine Le Pen est opposée aux sanctions contre la Russie dans le domaine de l’énergie. Elle propose, pour sa part, une baisse de la TVA sur les produits énergétiques de 20 % à 5,5 %. Une TVA à 0% pour tous les consommateurs sur les produits de première nécessité augmenterait le pouvoir d’achat sans distinction. Elle souhaite réintégrer les soignants suspendus qui se sont retrouvés aux abois. Avec elle, il y aurait un statu quo sur les retraites avec un système progressif de départ à la retraite en fonction de la date d’entrée dans la vie active et du nombre d’annuités cotisées. Le minimum retraite serait porté à 1 000 euros. Elle a promis de construire chaque année 100 000 logements sociaux et 100 000 logements étudiants pendant son quinquennat. Les moins de 30 ans seraient exonérés d’impôt sur le revenu et les cotisations patronales également pour toute revalorisation salariale de 10 % (pour les salaires jusqu’à trois fois le Smic). La redevance audiovisuelle serait supprimée. Dans une optique nataliste, les familles bénéficieraient d’une part fiscale pleine dès le deuxième enfant. La création d’un impôt sur la fortune financière viserait à réduire les inégalités. Elle n’a pas abandonné le concept de préférence nationale, qui épouvante la gauche depuis plusieurs années et espère financer son programme social par des restrictions visant les allocations sociales perçues par les étrangers. Pour réduire le gouffre qui s’est creusé entre les élites et le peuple, elle défend l’idée du référendum d’initiative citoyenne (RIC), une revendication émanant des gilets jaunes. Car, comme l’a observé Anne Nivat, lors de ce qu’elle appelle son « road-movie » sociologique à travers la France, loin de Paris et au fond de la province oubliée, les gens paraissent de plus en plus liés par un sentiment commun : la défiance. Elle en a conclu que « plus que le traditionnel vote de classe ou le clivage gauche-droite, le niveau de confiance est l‘élément qui éclaire avec le plus de justesse ce que sera le face-à-face du second tour de l’élection présidentielle de 2022 ».
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Dans ces conditions, si l’électorat âgé issu des classes privilégiées s’estime rassuré par le positionnement économique et social du président sortant soutenu par deux anciens présidents de la République (Nicolas Sarkozy et François Hollande), par la droite européiste et par la gauche bobo et écologiste, rien n’est moins sûr en ce qui concerne « l’autre France » farouche et imprévisible. Cette dernière n’a jamais tiré les marrons du feu de la mondialisation et elle est en train de s’enfoncer inexorablement dans un marasme à la fois social et psychologique. Poussée dans ses derniers retranchements, cette « France d’en bas », selon l’expression de l’ex-Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, semble, à l’évidence, de moins en moins susceptible de souscrire à toute idée de « verticale du pouvoir » à la française, laissant ainsi la porte ouverte à toutes les éventualités, lors de ce 2ème tour fatidique, le 24 avril prochain… et d’autres surprises électorales dans les mois qui vont suivre, à commencer par les législatives.
En effet, sans majorité pour LREM à l’Assemblée, il serait difficile pour Emmanuel Macron, s’il est réélu, de mener la politique qu’il souhaite comme ce fut le cas lors de ce quinquennat.
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