Les théoriciens du Grand Remplacement n’ont pas dû en revenir. Des années qu’ils s’évertuent à dénoncer l’islamisation rampante de la France, à dessiner le pays de demain avec des minarets et des haut-parleurs qui cracheraient cinq fois par jour, des couscous partout et la liberté nulle part, des femmes voilées et des chrétiens persécutés. Des années qu’on leur rit au nez quand ce n’est pas tout simplement des torrents d’invectives qui viennent leur rabrouer le clapet. Et voilà qu’une honorable personnalité du monde musulman, le porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France, sort du bois et annonce la couleur : la France pourrait revêtir la djellaba dans un avenir proche. Dans son livre, Islam, l’épreuve française, Élisabeth Schemla rapporte le propos qu’a tenu Marwan Muhammad à la mosquée d’Orly au mois d’août dernier : « Qui a le droit de dire que la France dans trente ou quarante ans ne sera pas un pays musulman ? Qui a le droit ? Personne dans ce pays n’a le droit de nous enlever ça. Personne n’a le droit de nous nier cet espoir-là. De nous nier le droit d’espérer dans une société globale fidèle à l’islam. Personne n’a le droit dans ce pays de définir pour nous ce qu’est l’identité française ».
Marwan Muhammad a raison. N’en déplaise aux Cassandre et aux amoureux d’une certaine idée de la France. La France de demain pourrait bien être musulmane.
Et pourtant… Certains n’ont pas le droit de le dire. À croire que comme dans La Ferme des animaux de George Orwell, il y aurait des citoyens plus égaux que d’autres. Car pour s’être alarmé de « l’offensive islamiste » sur les ondes de RTL, Ivan Rioufol se retrouve assigné en justice par… l’association de Marwan Muhammad ! Le Collectif Contre l’Islamophobie en France (CCIF) reproche à l’éditorialiste du Figaro d’avoir commenté sa campagne « Nous sommes la nation » en évoquant une opération d’« appropriation » et un « refus de l’intégration », non sans dénoncer le terme d’« islamophobie », forgé par l’Iran khomeyniste. Bref, les gentils organisateurs du CCI prophétisent l’islamisation de la France mais interdisent à leurs contradicteurs de la déplorer !
Il n’empêche, bien des pamphlétaires partagent le constat d’Ivan Rioufol et s’inquiètent de l’abandon par la France de ses propres valeurs. L’excellente Malika Sorel rappelle cette involution dans nos colonnes en fustigeant le rapport haut en couleur du conseiller d’Etat, Thierry Tuot, qui suggère d’adapter la France à ses immigrés plutôt que l’inverse. Dans ses recommandations, le haut fonctionnaire est allé jusqu’à moquer les droits et les devoirs, la citoyenneté, l’histoire, les œuvres, la civilisation française, la patrie, l’identité comme autant de concepts désuets.
Donc, la France de demain pourrait bien être musulmane. Il suffirait que l’intégration – préférée à l’assimilation- persiste dans l’échec, que la natalité des populations immigrées poursuive sa croissance, que l’antiracisme s’entête dans sa traque imaginaire de la bête immonde, que le laxisme sécuritaire s’aligne toujours plus sur l’austérité sociale, que les années passent et le tour serait joué. Mais ne nous y trompons pas. La faute n’est pas plus aux musulmans qu’à n’importe quelles communautés aux velléités peut-être plus discrètes mais qui n’en revendiquent pas moins. Depuis plus de trente ans, l’individualisme, toute idée d’appartenance à une nation est vouée aux gémonies. La société moderne nous dresse le portrait d’une histoire nationale noire, inféodée à des croyances, à des instincts, et propose à une génération nourrie au lait du relativisme culturel d’écrire son propre futur. Il n’y a plus de transmission, de communauté et de bien commun mais un essaim d’individus atomisés. À ce petit jeu là, la raison du plus fort est toujours la meilleure. Dès lors, au pays des droits subjectifs multipliés à outrance pour que chaque individu jouisse de son bon plaisir, la volonté non négligeable d’une partie de la population de voir la France fidèle à l’Islam est-elle moins légitime que celle qui réclame « le mariage pour tous » ou le racisme pour personne ? À moins que notre histoire, notre héritage ou notre culture aient un sens, ce qui ne semble pas être dans la logique bourdieusienne de notre temps où toute référence n’est que l’expression d’un déterminisme social.
Dans les années qui viennent, naîtront des partis démocrates musulmans comme il existe aujourd’hui des partis démocrates chrétiens. Ils proposeront une vision de la France et personne n’a le droit de leur nier cet espoir là. Ni de leur refuser, si elle est proposée avec les outils de cette démocratie hors-sol, une France musulmane.
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