Et si l’écrivain entrait à l’Académie française…
Depuis quelques semaines, Michel s’est fait doubler par une enquête sur les EHPAD et une guerre en Ukraine. Un signe de son déclassement ? Même s’il ne caracole plus en tête des meilleures ventes, son magistère n’est pas près de s’essouffler. Il y a toujours lui et les autres. Tous les écrivains, à la traîne, poussifs, jaloux, envieux, ridicules, ressassant leur insuccès, ne supportant pas la force d’attraction de cet édenté sulpicien, lui reprochant son style famélique et sa suprématie commerciale, son cirque permanent et ses vérités obsédantes, sa parka grasse et ses cheveux épars, ses éclairs de lucidité et sa provocation bon marché, sa hantise victimaire et son fado intérieur, son génie créateur et sa roublardise comique.
Pop culture et tragédie antique
Tous les invisibles ne lui pardonnent pas l’emprise psychologique qu’il a sur le moral des Français. Sonnés et immobiles, les autres écrivains observent ce spectacle et déclarent forfait. A quoi bon insister dans l’écriture ? Michel a un moteur dans le pédalier, il carbure au superéthanol comme les dragsters des pistes lisses. Il puise son inspiration chez Huysmans et Castorama, réussissant l’amalgame de la « pop culture » et du tragique antique, étrange point de contact entre un détachement fécond et un populisme abrasif. Comment le concurrencer ? Faudra-t-il, un jour, voter une législation anti-trust spécifique à son œuvre, afin de laisser une chance (minime) aux autres participants de concourir à une quelconque rentrée littéraire ? La discrimination positive est en voie de déferler dans le monde des lettres, comme ailleurs. Le progressisme a horreur des individualités farouches.
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Pour l’heure, Michel résiste aux injonctions contradictoires et on le réclame ardemment sous la Coupole. Il est le baromètre et la pression atmosphérique de notre pays. C’est un tout, un cercle rond impénétrable, l’offre et la demande, notre civilisation en déshérence et notre absolutisme nigaud, notre miroir et son reflet blafard, notre mouise incommensurable et l’envie cependant de danser sur nos cendres encore fumantes. Michel a tout compris de nos travers et de nos misères.
Il en est l’épistolier régulier depuis trente ans. Visionnaire, ce poète à la prose désarticulée a senti qu’une grande lassitude morale avait emporté notre nation. Il en ferait son lit et son crédit. Il a anticipé nos mouvements de désagrégation, la lente chute d’un peuple éclaté, actant la fin des espérances idéologiques et des mirages économiques. Des milliers de lecteurs lui ont donné quitus, partageant son sombre constat sur une déroute collective. Sa mécanique rythmique n’a pas fini d’être étudiée par des intellectuels dépassés. Peu importe qu’elle soit vénérée ou raillée par les critiques, elle touche en plein cœur du débat culturel.
Burlesque foireux
De « l’émotion du langage parlé » chère à Céline, Michel a échafaudé une « émotion rentrée », à la répétition entêtante et au burlesque foireux. Au début de sa carrière, sa sécheresse en a surpris plus d’un. Les amoureux de la phrase chaloupée et ruisselante furent désarçonnés. Je me souviens surtout de ses premières apparitions à la télévision, au siècle dernier. Son charisme éclata en quelques répliques suspendues dans l’air. Sa gueule hallucinante comme le chantait Jean Ferrat dans Les Tournesols s’imposa à nous.
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Sans trucage, avec un art inné de la mise en scène et déjà, une logique éditoriale redoutable en mouvement, il impressionnait par son intelligence du jeu médiatique et la clarté de ses réflexions. Son errance avait pourtant quelque chose d’hypnotique. D’emblée, les stylistes lui reprochèrent une absence de chair. Sa métronomie était à part. Chez ce mystique, ce n’est pas la phrase seule qui séduit par sa brillance, c’est l’enchaînement addictif qui sédimente son texte. Je comprends le désarroi de mes confrères face à un tel raz-de-marée. Michel attire la lumière et l’épée lui irait si bien au teint.
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