Comme d’autres secteurs, la boucherie se réinvente. Et quand un architecte et un financier décident de passer du bureau au billot, ça donne, au cœur de Paris, « Viande Viande » !
On marche rue Saint-Martin, et soudain, au numéro 206, on voit une drôle de galerie d’art. En vitrine, un tableau – L’Enlèvement d’Europe – trône devant un grand rideau de velours rouge. On lève encore un peu la tête et on lit : « Artisans bouchers ». Ce n’est donc pas une galerie ! On se décale de quelques centimètres pour apercevoir l’intérieur, et c’est effectivement un boucher qui travaille une pièce de bœuf sur le billot. Qu’est-ce que c’est encore que ça… ils ne savent plus quoi inventer ces Parisiens ! se dit-on alors. Craignant l’arnaque parisiano-bobo-snobinarde, on trace son chemin. Et puis cette curieuse boucherie reste dans un coin de votre tête, elle vous intrigue. Elle est quand même drôlement belle ! Après tout… qu’est-ce que je crains à aller acheter une bavette ? Alors, on y va le lendemain ! Les deux bouchers sont jeunes et très éloignés de l’idée qu’on se fait de la profession. Mais lorsqu’ils s’attaquent à un morceau de viande ou qu’ils se mettent à en parler, on comprend que ce n’est pas une blague. De retour à la maison, un aller-retour à la poêle, une fourchette à la bouche… la viande est exceptionnelle. C’est décidé : c’est mon nouveau boucher !
A lire aussi : Chez l’homme rien de propre?
Édouard Haguet a 34 ans et Adrien Quennepoix, 28. L’un financier, l’autre architecte, ils décident il y a quatre ans d’abandonner ce à quoi ils avaient consacré leurs études et leur début de carrière pour se former au métier de boucher. Leurs motivations : un besoin de liberté, de concret, d’impact positif direct sur la vie des gens et une réelle attirance pour la viande. Ils s’engagent dans une formation express d’un an à l’école nationale de la boucherie, c’est là qu’ils se rencontrent. Ils poursuivent leur apprentissage chez différents bouchers dont certains de renom, comme le célèbre Yves-Marie Le Bourdonnec, puis en mai 2021, ils ouvrent Viande Viande !
Leur volonté première : vendre une viande d’excellence et travailler en direct avec des éleveurs qu’ils ont rencontrés. « Nous ne sommes pas une boucherie de débit qui va commander à Rungis 25 filets de bœuf et 35 rumstecks. On commande à nos éleveurs des demi-carcasses et ensuite, face à elles, on réfléchit à la manière de les découper, de les sublimer, de transformer certaines parties en charcuteries, à la façon de tout mettre en valeur, même les parties les moins demandées et qui ne sont pas forcément les moins bonnes. Dans un lot, on doit tout utiliser. Notre logique est qu’on ne peut pas avoir tous les jours de l’onglet en vitrine par exemple. Déjà, lorsqu’on reçoit une demi-carcasse, nous ne sommes même pas certains d’avoir le côté où se trouvera l’onglet ! Avoir de l’onglet tous les jours, qui est un morceau rare, nous obligerait à en acheter ici et là, donc à renoncer à la relation directe avec nos éleveurs. ».
A lire aussi : Les végans, ces pénibles puritains des fourneaux
Haguet et Quennepoix ne blaguent pas sur la traçabilité et connaissent leurs fournisseurs, ainsi que les conditions de vie et d’abattage des bêtes qu’ils reçoivent. Leur bonheur est d’être le lien entre celui qui élève l’animal et celui qui le mange. Ils sont fiers de pouvoir dire d’où vient telle ou telle bête à leur clientèle, de raconter qui est le paysan qui a travaillé dur pour fournir cette viande de qualité. « C’est un tel plaisir de savoir que nos clients ont passé un bon moment à table grâce à notre travail, de participer à une aventure qui commence à la campagne, chez des paysans exceptionnels, et qui se termine dans un moment de convivialité autour d’une assiette. À la fin de la journée, nous sommes souvent épuisés, car c’est un métier physique, mais tellement fiers. »
Leur quête de la viande parfaite passe aussi par la case maturation, et ce temps de repos occupe leur attention : « On s’inscrit dans une tradition de la boucherie française, notamment dans le domaine de la découpe. Mais nous réfléchissons aussi aux possibilités que nous donne la viande, et notamment à la maturation qui offre de grandes nuances gustatives. »
Nos deux compères mettent leurs solides cerveaux au service de la boucherie ! Leurs études ont façonné leur esprit et leur manière de penser, on le voit au premier coup d’œil à leur boutique de la rue Saint-Martin. L’architecture est signée par Adrien Quennepoix lui-même : beauté clinique, sobre et austère. Carrelage rose pâle au sol, inox sur les murs, et surtout, un merveilleux billot central sur lequel on découpe la viande sous les yeux du client, et autour duquel on discute comme au comptoir ! Au fond, la chambre froide où les carcasses sont en suspend et à vue ; c’est encore un tableau. « Quand on a pensé la boutique, on voulait ce billot central pour s’y retrouver autour avec nos clients. Quant à la chambre froide, c’est une partie importante de notre métier, c’est là qu’on y fait maturer nos viandes. On voulait en faire profiter tout le monde. On a voulu une boutique esthétique, mais aussi très technique. Une boucherie, c’est avant tout du froid, des zones de travail, un outil facile à nettoyer et efficace. Je n’ai fait que mettre en valeur ces caractéristiques principales », raconte le boucher-architecte.
A lire aussi : Derrière la défense des animaux, le marché de la viande artificielle
Le résultat est en effet assez radical car, ici, on ne cache pas la mort. Les carcasses exposées nous rappellent que ce sont bien des animaux que nous allons manger. En plein cœur de Boboland, ça pourrait presque passer pour une provocation !
Quoi qu’il en soit, pour nos néo-bouchers, le pari est réussi. C’est très beau, c’est très bon. Le cochon vient des Landes, le bœuf de Charente, de l’Aisne, du Lot et du Pas-de-Calais… et la volaille de Vendée. Allez, pour vous mettre l’eau à la bouche, je vous recommande quelques réussites de la maison : les échines de cochon fermier magnifiquement persillées, les saucisses au couteau maison, les côtes de cochon de Biscaye, les côtes de bœuf maturées soixante jours et les savoureuses pintades fermières de Challans ! Bon, je file, ma bavette va refroidir.