Récit d’une réunion de militants zemmouriens à Paris où d’anciens fillonistes se mêlent à des marinistes déçus. Unis à droite et emballés par le candidat nouveau, les gens se causent et fraternisent sans regrets pour leurs ex.
Après le meeting de Villepinte, ma femme et moi avons pris la décision conjointe qu’il était interdit de désespérer et qu’il était temps d’agir. Nous avons donc contacté l’équipe de militants du parti d’Éric Zemmour, Reconquête, dans le 14e arrondissement de Paris et un soir de semaine, nous avons laissé le petit regarder Le Mystère de la chambre jaune à la télévision avec son grand-père et nous nous sommes rendus à une réunion dans l’arrière-salle d’un restaurant de l’avenue du général Leclerc.
Quatre-vingts zémmouriens convaincus qu’ils seraient plus utiles s’ils étaient convaincants étaient là. On s’assoit. Je regarde les gens, curieux, comme la première fois que je suis allé en Israël, quand je matais les gens et que je m’habituais à ces rues où tout le monde est juif. Tous juifs, même le grand blond avec les cheveux en brosse à l’arrêt de bus, même la jeune fille noire en uniforme sur le trottoir d’en face. Ici, tous zémmouriens. Des prolos, des bourgeois, des diplômés, des commerçants, plus d’hommes que de femmes, plus de vieux que de jeunes mais de tous les genres dont certains que je n’aurais jamais crus encartés à Reconquête en les croisant dans le quartier. Il n’y a donc pas de zémmourien type contrairement à ce qu’on pourrait penser en regardant la télé où tous ses « amis » ont l’air bien nés, bien coiffés et sortis d’Assas.
Une réunion pour galvaniser les troupes
L’organisateur prend le micro et la parole. Il nous présente son équipe, fidèle depuis le début de son action politique, depuis sa campagne pour Fillon en 2017, depuis sa candidature à la mairie du 14e et sa défaite face à une candidate écolo et à Hidalgo. Un type sympa, chaleureux, qui inspire confiance, que l’on sent dévoué et investi pour le bien public, du genre qui sacrifie une vie de famille le soir ou le dimanche pour des ingrats qui houspillent les politiques sur les marchés en les traitant de vendus ou de profiteurs, du genre qui se met au service de son quartier, de sa ville, de son pays et que des antipass menacent, insultent et violentent, du genre qui s’expose, qui prend des risques, qui prend des coups, et que ceux qui ont la critique facile et qui ne font jamais rien gratuitement ne remercieront jamais assez : un élu.
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Il parle de la campagne et se veut rassurant sur les sondages qui cantonnent Zemmour à 12 % (nous sommes le 19 janvier). « Ne soyez pas inquiets, ils vont faire ça jusqu’à deux semaines de l’élection et le feront remonter pour ne pas avoir l’air de s’être trop trompés. » Pas le moment de demander qui est ce « ils », mais c’est aussi l’avis de l’ami d’un ami qui travaille à la DGSI et qui affirme que les instituts de sondage sont tenus par des amis de Macron et qu’en réalité, notre candidat est à 18 %. Puis il s’en prend aux autres partis dans la course à l’élection. On se connaît à peine et il a déjà la dent dure pour Marine Le Pen et la « retraite à soixante ans ». D’abord, c’est quarante annuités, ensuite je veux bien entendre toutes sortes de critiques sur la présidente du RN mais pas d’un type qui a soutenu Fillon. La ligne sociale de Marine m’allait plutôt bien et si je l’ai quittée pour Eric, c’est parce que j’ai fini par me rendre à l’idée qu’elle ne pouvait pas être élue. En dix ans, je n’ai réussi à convaincre personne de voter pour elle alors qu’en dix semaines, j’ai vu des proches totalement fermés à la possibilité d’un vote RN être éventuellement tentés par un vote Reconquête. Mais je n’aime pas trop que l’ancien militant du parti des notables centristes critique mon ancien choix. Sauf le respect que j’ai pour le bonhomme, s’il s’imagine que l’union des droites va se faire par l’allégeance de la droite populaire à la droite bourgeoise, il va falloir qu’on en cause. Je n’aurai pas le réflexe et la désobligeance de lui dire que si mon ex-candidate a raté son débat d’entre-deux-tours, le sien, après avoir été le premier ministre de l’abolition du mot « mademoiselle » et de la suppression de la culture générale au concours d’entrée à sciences-po, a appelé à voter Macron deux minutes après l’annonce de sa défaite et a disparu dans la finance. Il y a cinq ans, monsieur 20h02, c’était Fillon. Ce n’est ni le temps ni le lieu pour un règlement de comptes mais le moment venu, je lui rappellerai qu’avant Reconquête, le Rassemblement national était le seul parti qui n’était pas immigrationniste.
Militer, militer, militer… il en restera toujours quelque chose
Puis vient le temps des questions. Le premier à lever la main est un type d’une soixantaine d’années qui a l’air de sortir de La vérité si je mens ! Il ne demande pas ce que le candidat peut faire pour lui, il s’inquiète pour la sécurité de Zemmour. « À Villepinte, on lui a sauté dessus. Est-il bien protégé ? » On le rassure. Un autre, plus jeune et l’air plus catholique s’interroge sur l’utilité de distribuer des tracts et sur les risques courus par les militants dans la rue. Un type qui semble aguerri lui explique qu’un parti se doit d’occuper le terrain avec de vraies gens. L’animateur ajoute que lors des premiers tractages, ils ont été mieux reçus que lorsqu’ils s’affichaient pour Fillon il y a cinq ans. Qui l’eût cru ?
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Une dame de 72 ans témoigne. Quand elle évoque Zemmour dans sa famille, avec ses amis, elle se heurte à des murs. Personne ne veut l’entendre. Elle aussi s’interroge sur l’opportunité du militantisme. Un jeune lui explique en substance que personne ne tombera à genou en s’écriant « Alléluia, j’ai vu la lumière ! », mais que son effort n’est pas vain, il s’agit de planter une graine. Un autre ajoute qu’il est important que ses proches entendent le discours de Zemmour dans sa bouche à elle, porté par quelqu’un comme eux, quelqu’un qu’ils connaissent, quelqu’un de bien, quelqu’un qu’on ne calomnie pas tous les jours dans les médias en répétant qu’il porte un discours de haine, de racisme et de rejet de l’autre.
Famille politique et famille tout court
Enfin arrivent les galettes et les verres de cidre. À ma table, un étudiant de 19 ans salue ses amis de Génération Z, la dame de 72 ans avoue qu’elle déteste les vieux qui ne pensent qu’à leur retraite et à leur patrimoine et qui s’apprêtent tous à voter Macresse pour les uns, Pécron pour les autres. Elle nous demande si nous avons reçu nos cartes d’adhérent. Non, personne n’a rien reçu. J’espère qu’ils n’ont pas dématérialisé ça aussi. J’aimerais penser que l’un de mes descendants trouvera un jour dans de vieux papiers ma tête sur une carte de membre actif du Z et me dise merci Pépé, pour le pays laissé en héritage, débarrassé de ses mosquées cathédrales, de ses racailles et de ses femmes voilées. La conversation s’engage avec deux gars d’une quarantaine d’années. On évoque les violences au meeting. La dame se souvient de l’activiste qui tenait à rester sanguinolente pour la caméra. L’un des deux, qui travaille dans la culture et qui vient du Nord, nous dit que c’est de la broutille. Dans sa jeunesse, il a assuré la sécurité pour les meetings de Jean-Marie Le Pen quand les ouvriers de la CGT et du parti communiste chargeaient en masse et en force pour entrer dans les salles. Il évoque certains de ses amis qui ont fait de la prison pour avoir cogné un peu trop fort sur des perturbateurs. Il avoue avoir quitté le FN à l’arrivée de Marine en continuant à voter pour le parti faute de mieux tout en craignant qu’elle passe et que son incompétence décrédibilise la cause nationale pour cinquante ans. Je rappelle qu’au lieu de travailler après son débat piteux, la présidente du RN a obtenu un diplôme d’éleveuse de chats. « Si ce n’est pas un acte manqué ? » Ma thèse est qu’elle serait soulagée si un autre la déchargeait de son fardeau, de sa mission héritée de sauver la patrie et lui permettait de se consacrer à ses enfants, à son foyer et à ses chats. On boit, on rit, on sympathise, on communie. On a pu enfin parler politique sans que les insultes volent et que les portes claquent. On se quitte en se disant qu’on se verra bientôt sur un tractage, dans un meeting ou dans le quartier. On n’était pas venus pour ça, mais on se dit qu’on pourrait bien avoir trouvé des amis. Ça tombe bien, à défendre Zemmour dans les dîners, on en perd toutes les semaines. Sans regrets.