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Evviva a Corsica!

Gérald Darmanin prêche l’autonomie pour apaiser la colère de la rue...


Evviva a Corsica!
Ajaccio, 15 mars 2022 © Fanny Hamard / SIPA

Notre chroniqueur, qui n’a rien contre une large autonomie de la Corse, trouve néanmoins suspect l’empressement du gouvernement à l’offrir à un mois de l’élection présidentielle — et à trois mois de législatives problématiques. Cela ne peut qu’attiser les surenchères dans le camp nationaliste.


Il est un peu paradoxal de jouer en étalant ses cartes avant même que la partie n’ait commencé. C’est pourtant ce que fait le gouvernement, dont Gérard Darmanin est en l’occurrence le petit télégraphiste auprès des autonomistes et indépendantistes majoritaires à l’Assemblée de Corse. Gilles Simeoni a des raisons d’être satisfait, on lui propose sur un plateau ce qu’il pensait devoir négocier pas à pas. Suggérons au président ukrainien de faire de même avec Poutine…

Le problème, c’est qu’aussitôt des voix s’élèvent dans le clan indépendantiste, cette fois — i.e Jean-Guy Talamoni, dernier survivant des années de plomb, tous les autres étant morts — pour exiger davantage. L’autonomie c’est bien, l’indépendance c’est mieux. Exigeons l’usage conjoint du français et de la langue corse, exigeons la maîtrise complète des finances, le pouvoir de lever les impôts, un pouvoir décisionnaire total, le remplacement du drapeau français par la tête de Maure, et la construction d’un monument aux morts de la lutte indépendantiste, sur lequel Talamoni veillera à ce qu’on n’inscrive pas ceux de ses anciens ennemis, qui ne sont plus là pour protester. Il a toujours montré des talents dans les ressources humaines de l’indépendantisme, surtout en ce qui concerne les licenciements secs.

Que contiendrait un statut d’autonomie ? On laisserait le régalien à l’Etat — l’entretien des gendarmeries —, et la Corse gèrerait le reste, sur le modèle de ce que l’Italie a octroyé à la Sicile ou à la Sardaigne, et l’Espagne aux Baléares.

Défait de la volonté

Le hic, c’est que la France ne vit pas du tout sur le modèle de délégation aux régions de ses voisins du sud. Nous sommes un pays étroitement centralisé, éminemment jacobin. Et je suspecte toujours les hommes politiques qui plaident pour un renforcement des régions d’avoir des arrière-pensées électorales. La Corse, ce sont quatre députés, et la prochaine Assemblée, après la réélection, sûre mais peu convaincante, d’Emmanuel Macron, ressemblera si fort aux Chambres ingouvernables de la Quatrième République qu’il n’est pas mauvais de chercher d’ores et déjà à grappiller les deux ou trois sièges qui feront la différence.

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En fait, la Corse n’est pas le vrai sujet de cet empressement de Darmanin à baisser culotte. Pas plus que l’Ukraine n’est le véritable enjeu d’un conflit qui la dépasse entre Etats-Unis (l’actionnaire majoritaire de l’OTAN, qui prédomine sur tous les petits porteurs genre Allemagne ou France) et Russie.

Le véritable enjeu de cette négociation ajaccienne, c’est la France. « Le « bon débarras » que l’on entend, mezza voce, chez ceux qui confondent la Corse et sa caricature couronne cette défaite de la volonté. Si la Corse dérive, c’est que la France se disloque », écrit avec perspicacité Vincent Trémollet de Villers dans l’éditorial du Figaro. Quand l’État n’a plus de tête, les membres se dispersent façon puzzle. Depuis cinq ans des barons régionaux cherchent à s’imposer face à un exécutif faible — même Renaud Muselier ou Christian Estrosi se croient désormais un destin. Jusqu’où sommes-nous descendus…

La France macroniste n’est pas sûre d’elle

Je n’ai rien contre un renforcement du pouvoir des régions — de toutes les régions. Mais pour l’imposer, il faut — et ce n’est pas vraiment un paradoxe — un gouvernement central fort, « dominateur et sûr de lui », aurait dit De Gaulle. Ce n’est pas le cas de la France macroniste, dont le gouvernement n’a cessé de laisser des plumes dans tous les conflits des cinq dernières années. La présidentielle reconduira Macron, boosté par la guerre en Ukraine (une tradition historique veut que le « chef de guerre » soit renforcé dans les conflits, même quand il erre), mais les législatives deux mois plus tard sont si problématiques que le président envisage de dissoudre l’Assemblée dès sa réélection afin de profiter de l’effet des présidentielles.

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La Corse ne compte guère — sinon pour les quatre députés qu’elle enverra à l’Assemblée, et qui, tout autonomistes soient-ils, pourraient voter pour un gouvernement qui renforce les pouvoirs locaux en se dépossédant des siens.

Cela ressemble un peu à la vente des bijoux de famille. Pour rester à l’Élysée et s’éviter le spectre d’une cohabitation (version douce) ou d’émeutes (version dure), Macron lâche déjà du lest. Je serais breton, alsacien ou catalan, je hausserais la voix pour aligner mes revendications sur celles des insulaires — puisque le statut d’autonomie sera très vraisemblablement inspiré de celui qui régit par exemple la Polynésie française. C’est prendre les Corses pour des naïfs, et les Français pour des imbéciles. En arrivant les bras chargés de cadeaux législatifs, Darmanin affiche la faiblesse de l’État. Pour ce que je sais des insulaires, ils en déduiront qu’une surenchère est possible : quand l’adversaire vous montre ses cartes, et qu’il n’a pas grand-chose en main, c’est le moment ou jamais de faire tapis. Montrer sa faiblesse, c’est s’exposer aux coups — on le sait déjà dans les cours de récréation. Les jeunes gens qui manifestent à Bastia ou Corte ont déjà compris le message. En voulant désamorcer les protestations, Darmanin les renforcera. D’autant que vous pouvez compter sur l’aile extrémiste de l’Assemblée de Corse pour surenchérir et vociférer plus fort.

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Normalien et agrégé de lettres, Jean-Paul Brighelli a parcouru l'essentiel du paysage éducatif français, du collège à l'université. Il anime le blog "Bonnet d'âne" hébergé par Causeur.

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