Le 6 mars, sur l’esplanade du Gros Caillou à Lyon, le candidat d’extrême gauche Jean-Luc Mélenchon a réuni une foule de sympathisants et prononcé un discours faisant penser à Flaubert à notre chroniqueuse.
C’est depuis notre mythique colline de La Croix-Rousse, celle-là même qui vit autrefois se soulever les Canuts, que Jean-Luc Mélenchon a choisi d’haranguer ses sympathisants, comme le fit peu de temps auparavant notre regrettée Christiane Taubira (relire notre article).
Le choix de ce lieu, symboliquement chargé à gauche parce que foyer d’une insurrection ouvrière qui inspira les grands mouvements de la pensée sociale du XIXe, a certainement participé de l’ampleur d’un rassemblement qui fut une véritable démonstration de force pour le candidat qui se détache résolument d’une gauche en déroute. Pour rappel : Christiane Taubira a quitté le champ de bataille pour retrouver la quiétude des bras morts du fleuve Maroni, définitivement vouée la seule poésie d’Aimé Césaire. Sandrine Rousseau « déprimée de faire de la politique dans des groupes du Ku Klux Klan », vient de se faire évincer de l’équipe de campagne de Yannick Jadot, et on s’est laissé entendre dire qu’Anne Hidalgo avait été victime d’un accident de trottinette sur les berges de la Seine. Quant à Fabien Roussel (Cadet Roussel !), il se remettrait difficilement d’une attaque de « peste brune ».
Plus rien à perdre
Si la foule avait répondu présente au meeting de Jean-Luc Mélenchon, affluant en masse près du Gros Caillou, force est de constater que la diatribe assenée par le tribun manqua résolument du souffle révolutionnaire qu’il se plaît habituellement à revendiquer.
Baste ! c’est chez Flaubert et aux Comines d’Yonville dans Madame Bovary, qu’on se serait bel et bien cru. Roula sur l’auditoire harangué par Monsieur le Conseiller Lieuvain plutôt que par Robespierre, mais hélas conquis, un tombereau de platitudes que débita alertement notre orateur d’un ton paterne de bonimenteur. Convenons-en toutefois, cela ne fut pas dépourvu d’une certaine saveur pour qui aime la littérature.
M. Mélenchon, que les puissants doivent craindre parce qu’il a soixante- dix ans, et par conséquent plus rien à perdre, est pour la paix (Mais qui est pour la guerre ?). Il se propose donc de sortir de l’OTAN. Il se promet également de lutter contre le libéralisme échevelé qui a ruiné l’école et l’hôpital et de renoncer à l’énergie nucléaire. Notre justicier, enfin, n’écoutant que son courage, part en croisade contre la malbouffe et célèbre une autonomie agricole bientôt recouvrée.
Pour ma part, transportée à Yonville, j’ai fermé les yeux et je me suis abîmée dans le discours du bateleur pour fraterniser avec une assemblée envoûtée.
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Mais, laissons plutôt parler Flaubert : « La place jusqu’aux maisons était comble de monde. On y voyait des gens accoudés à toutes les fenêtres, d’autres debout sur toutes les portes et Justin, devant la devanture de la pharmacie, paraissait tout fixé dans la contemplation de ce qu’il regardait. Malgré le silence, la voix de M. Lieuvain se perdait dans l’air. Elle vous arrivait par lambeaux de phrases qu’interrompaient çà et là le bruit des chaises dans la foule ; puis on entendait, tout à coup partir, derrière soi un long mugissement de bœuf ou bien les bêlements des agneaux qui se répondaient au coin des rues. »
Quelle ferveur, mes amis !
Je n’entendais plus Mélenchon ; c’était bien Lieuvain qui déclamait : « Continuez ! Persévérez ! N’écoutez ni les suggestions de la routine, ni les conseils trop hâtifs d’un empirisme téméraire ! Appliquez-vous surtout à l’amélioration du sol, aux bons engrais, au développement des races chevalines, bovines, ovines et porcines ! que ces comices soient pour vous comme des arènes pacifiques où le vainqueur, en sortant, tendra la main au vaincu et fraternisera avec lui, dans l’espoir d’un succès meilleur ! Et vous, vénérables serviteurs, humbles domestiques, dont aucun gouvernement jusqu’à ce jour n’avait pris en considération les pénibles labeurs, venez recevoir la récompense de vos vertus silencieuses (…) »
Un auditoire envouté par la tortue sagace
Citons toujours Flaubert qui rend magnifiquement compte du spectacle qui m’était offert : « Remontant au berceau des sociétés, l’orateur nous dépeignait des temps farouches où les hommes vivaient de glands, au fond des bois. Puis ils avaient quitté la dépouille des bêtes, endossé le drap, creusé des sillons, planté la vigne. »
Tandis que notre bateleur envoûtait ainsi son auditoire, j’ai même surpris Rodolphe Boulanger qui profitait de l’aubaine constituée par ce discours empreint d’un lyrisme aussi bucolique que creux pour suborner Emma Bovary. Il lui susurrait dans le creux de l’oreille des propos tout aussi fumeux, tandis qu’elle tentait de résister aux assauts de sa séduction suave : « Mais il faut bien (disait Emma), suivre l’opinion du monde et obéir à sa morale ?
Ah ! c’est qu’il y en a deux (répliquait Rodolphe). La petite, la convenue, celle des hommes, celle qui varie sans cesse et qui braille si fort, s’agite en bas, terre à terre, comme ce rassemblement d’imbéciles que vous voyez. Mais l’autre, l’éternelle, elle est tout autour et au-dessus comme le paysage qui nous environne et le ciel bleu qui nous éclaire. »
Et la foule de La Croix-Rousse, oscillait, comme hypnotisée, doucement bercée par la voix du leader des Insoumis, bonimenteur hors pair. C’est alors que monta comme un mugissement, une clameur qui déchira le silence recueilli. Des pancartes où étaient dessinées des « tortues sagaces », à l’effigie du candidat furent brandies : On va gagner ! On va gagner, scanda la foule dans une bouffée de liesse délirante.
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À toute cette ferveur succéda malheureusement un silence gêné, alors que ces comices s’achevaient. Las ! Notre tribun avait entrepris, bien mal lui en prit, d’entonner Le Chant des canuts :
C’est nous les canuts
Nous allons tout nus
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira :
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira :
Nous tisserons le linceul du vieux monde
Car on entend la révolte qui gronde.
C’est nous les canuts
Nous sommes tout nus.
Nos apprentis-révolutionnaires lyonnais en ignoraient visiblement les paroles, tout comme ils semblaient méconnaître celles de la Marseillaise qui fut ensuite convoquée. Écoutant celle-ci, ils se contentèrent de lever un poing vengeur, lourd de conscience et d’implication politiques. Nous nous sommes dit alors, avant de rentrer chez nous, que c’était peut-être le Chant du départ qu’allait devoir bientôt entonner le leader de la France insoumise.
Quoi qu’il en soit, que Jean-Luc Mélenchon soit remercié pour ce moment littéraire.
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