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La culture de l’annulation s’attaque aux Russes

La détestation de Poutine tourne au maccarthysme antirusse!


La culture de l’annulation s’attaque aux Russes
Moscou, 7 février 2022 © Thibault Camus/AP/SIPA

Les chats russes fondent sur l’Occident!


Le commun des mortels l’ignore peut-être, mais le plus sûr moyen de manifester son soutien à l’Ukraine et sa désapprobation envers la Russie, est d’interdire la présence de chats russes dans les manifestations et concours félins qui occupent les oisifs de par le vaste monde, en l’espèce la très sérieuse Fédération Internationale féline : des chars, on pourrait comprendre, mais des chats ? Telle est en effet la toute dernière (mais on peut être certain qu’il y en aura d’autres) invention d’un Occident azimuté qui redécouvre, hagard, l’existence de l’Histoire, du tragique qui l’anime, des rapports de force qui la constituent, et des guerres qui, parfois, hélas, en accompagnent l’inévitable tectonique.

Sinistre joie épuratrice

L’on comprend bien sûr que des sanctions puissent être prises à l’encontre du pays qui déclenche une invasion, mais que l’on nous permette de ne pas cautionner l’authentique délire à la fois imbécile et stupéfiant d’unanimisme (ce qui souvent va de pair) qui semblait n’attendre que cette occasion servie par Poutine sur un plateau pour s’exhiber tout à loisir dans son obscène stupidité mais aussi dans sa sinistre joie épuratrice.

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La haine de la Russie se porte bien. Et la haine des Russes tout pareillement. Il faut dire, l’Occident américanoïde en décomposition a pris l’habitude de « canceler » à défaut d’être désormais capable de construire quoi que ce soit, et il était sans doute un peu en manque ces derniers temps, le filon post-colonial venant à s’épuiser : qu’à cela ne tienne ! Le Russe est là pour venir servir de nouvelle incarnation du Mal que l’on inventerait s’il n’existait pas. Ici ce sont des restaurants russes qui sont visés : pourquoi ne pas, d’ailleurs, peindre les commerces slaves d’un signe distinctif les désignant comme impurs ? Là ce sont des cours sur Dostoïevski qui sont remis en cause. Et puis des chefs d’orchestre, des artistes, qui sont tout simplement déprogrammés, cancelés. Tchaïkovski représente de toute évidence un danger immédiat pour la survie de la planète. Le mot « russe » lui-même est déprogrammé de certaines manifestations culturelles, étant entendu que le ridicule ne tue pas, surtout dans ce secteur.

Guerre et paix

La personne dotée de raison cherchera en vain en quoi des chats, ou des musiciens, ou des restaurateurs, ou des sportifs (en particulier d’ailleurs des compétiteurs d’handisport réputés pour leur hauteur d’âme), ou des écrivains ou des compositeurs, en particulier morts depuis plus d’un siècle, sont responsables de la politique menée par Vladimir Poutine. On cherchera en vain dans Dostoïevski une cause le reliant directement au sort des Ukrainiens de 2022… Est-ce à cause du terme « crime » de son célèbre (et indépassable) roman ? Pourtant, malin, l’auteur avait anticipé le « châtiment ». Las, ce n’aura pas suffi à le faire échapper aux fourches caudines de la chasse aux sorcières ambiante, aussi ridicule qu’intellectuellement et moralement scandaleuse. Tolstoï quant à lui parlait bien déjà de Guerre, ce fourbe belliqueux, c’est qu’ils ont ça dans le sang et chacun sait qu’ils mangent aussi les petits enfants, toujours le couteau entre les dents, certes, mais il y était tout de même également question de Paix : cela ne suffira pas hélas à éteindre les ardeurs de nos censeurs et déboulonneurs à la recherche constante de nouvelles croisades.

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La France, jusqu’à plus ample informé, n’est pas en guerre, bien que cet état de siège permanent décrété tout d’abord contre un virus puis entretenu de manière anxiogène dans le cadre d’un conflit extérieur permette principalement à un exécutif qui n’en espérait pas tant d’escamoter le débat démocratique à l’approche d’une élection majeure. Et pourtant, la présidente de la Commission européenne n’a eu qu’un mot à dire pour que tous les proconsuls de l’Union européenne s’alignent le doigt sur la couture du pantalon afin d’exécuter les ordres de la dame élue par personne, investie d’aucune souveraineté populaire et porteuse d’aucune autorité judiciaire, afin de faire interdire des médias jugés déviants car simplement liés à la Russie. De quel droit la chaîne RT a-t-elle ainsi été interdite de diffusion en France ? Selon quelle décision de justice d’un pays supposé souverain ? Sur la base de quels faits de désinformation reconnus et jugés comme tels si ce n’est leur simple lien contractuel avec la Russie ? Il s’agit là, simplement, de discrimination et, pourrions-nous dire, de racisme au sens strict du terme, désignant le simple fait d’être russe comme un fait suffisant pour être traité en dehors de toute forme d’Etat de droit, celui-là même que l’on invoque à tout propos à condition qu’il ne serve que nos propres convictions.

La chaîne RT est dans le collimateur de l’exécutif macronien depuis le début du quinquennat et l’on peut même affirmer sans trop se tromper que la loi dite anti-fake news a été en partie pensée et élaborée dans le but de pouvoir censurer les médias russes. Sauf que, malgré une vigilance particulièrement accrue que l’on aurait voulu voir déployée avec autant d’entrain à l’égard de nos propres médias nationaux qui ne brillent pas par leur pluralisme, rien ne put être reproché à ces médias au regard de la loi, tout au plus une microscopique mise en demeure du CSA (désormais ARCOM) en 2018 sur la Syrie : il est vrai que, sur ce sujet, les grands médias mainstream ont été particulièrement objectifs, tout comme lors de la guerre d’Irak ou lors des bombardements de l’OTAN visant la Serbie, cette liste n’étant pas exhaustive. Mieux vaut sans doute en rire. La fake news et la désinformation sont, c’est bien connu, toujours du côté de celui qui ne pense pas comme soi. Sauf que, justement, comme l’exprimait à merveille Rosa Luxemburg : « La liberté, c’est toujours la liberté de celui qui pense autrement. Non pas par fanatisme de la « justice », mais parce que tout ce qu’il y a d’instructif, de salutaire et de purifiant dans la liberté politique tient à cela et perd de son efficacité quand la « liberté » devient un privilège ». On ne verra pas malice, bien sûr, à ce que cette indispensable citation soit extraite d’un ouvrage de 1918 intitulé La révolution russe et qui critiquait les dérives de la révolution bolchévique en termes de démocratie et de libertés publiques…

Un nouveau maccarthysme ?

Aucune procédure judiciaire, aucune vérification quant au bien-fondé de cette mesure inique, rien : le néant antidémocratique et discriminatoire le plus parfait. Et peu de monde dans les rangs médiatiques pour broncher. Il faut dire, l’on ne trouve pas non plus beaucoup de volontaires dans ces mêmes rangs pour défendre Julian Assange qui croupit actuellement dans les geôles anglo-saxonnes aux ordres des Etats-Unis pour avoir simplement permis au monde de comprendre les mécanisme de mensonges à l’origine des guerres menées par les Etats-Unis, notamment la guerre en Irak. Ce traitement constitue sans doute le plus grand scandale journalistique et politique contemporain, mais motus, silence dans les rangs. Si les journalistes commencent à se mettre à faire de la déontologie, on ne va plus s’en sortir…

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La séquence que nous traversons, outre l’aspect tout à fait tragique de la guerre menée à l’étranger, comme le sont toutes les guerres, sert en réalité de révélateur des pires travers d’un Occident dont les soubresauts inquisitoriaux et ridicules n’en finissent plus d’expliquer, en eux-mêmes, les raisons de son propre effondrement. Le macronisme aura été l’incarnation en France de cette tendance générale, servi par des lois liberticides en chapelets visant précisément la liberté d’expression, appuyé également par une parfaite entente avec des Gafam intervenant désormais directement dans le champ du débat démocratique afin d’en limiter les possibilités réelles, selon leur bon vouloir et par porosité idéologique avec le néo-progressisme en vigueur. La censure sur les réseaux sociaux n’a jamais été aussi virulente. La période de Covid a servi de détonateur, même s’il était juste auparavant déjà difficile de dire la moindre chose critique envers l’islamisme sans se retrouver précipité dans les limbes numériques (c’était l’un des buts de guerre principaux visés par l’inepte loi Avia, par chance retoquée dans un sursaut de bon sens du Conseil constitutionnel). La guerre en Ukraine prend donc le relais de ce qui a été largement initié sous prétexte sanitaire et les blocages de comptes, suppressions de contenus, avertissements, messages de guidage et de propagande sont désormais monnaie courante. Des journalistes sont désignés, par ces réseaux, comme étant liés à la Russie, visés ad personam et marqués au fer rouge. Quelle est l’expertise de Mark Zuckerberg et de ses salariés sur les affaires slaves ? Nul ne sait, mais, tout comme dans Le Nom de la Rose, ce nom étant « sans pourquoi », il en va de même de la censure dont ce livre parle : elle est sans pourquoi, elle est ce lieu que l’on n’a pas même le droit d’interroger, elle n’a à répondre de rien, elle est cet au-delà de la dialectique, du questionnement, de l’ironie, de l’art. Quoi qu’en pensent les philosophes et va-t’en guerre de salons ou intellectuels germanopratins, elle est une forme de dictature qui, actuellement, propage sans honte une haine anti-russe digne des plus belles heures du maccarthysme.

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Chroniqueuse et essayiste. Auteur de "Liberté d'inexpression, des formes contemporaines de la censure", aux éditions de l'Artilleur, septembre 2020.

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