On peut trouver de quoi répondre à cette question dans la biographie la plus précoce de la « grand-mère d’Israël », dont la traduction française, par Pierre Lurçat, vient de paraître, avec une riche préface offrant un éclairage enrichissant.
Valeurs fondatrices
Toute jeune, déjà, Golda Meir incarnait les valeurs fondatrices qui ont guidé les jeunes pionniers du début du XXe siècle, qu’elle définissait comme « le travail juif, la défense juive, la vie collectiviste, le travail de la terre, la volonté de maintenir l’union des ouvriers… » En effet, explique Lurçat, c’est le sionisme travailliste qui les avait conduits à « renoncer à une vie plus facile et confortable pour devenir des paysans et des travailleurs ».
Golda Meir est née au XIXe siècle (en 1898) à Kiev, dans ce qui n’était pas encore l’URSS, mais la Russie tsariste : une grande ville interdite aux Juifs. Mais son père étant menuisier, cela faisait de lui un artisan qualifié. Kiev représentait une amélioration par rapport au shtetl d’où la famille était partie, mais les souvenirs qu’en garde la jeune Golda, née Mabovitch, ce sont les pogroms, « la gêne et la faim ».
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Son grand-père paternel avait été kidnappé à domicile à l’âge de 13 ans et enrôlé de force dans l’armée (pas encore rouge, même si les communistes conservèrent la tradition). Il y resta les 13 années suivantes. « On essaya de le forcer à se convertir, y compris au moyen de tortures physiques… mais il ne céda pas. C’était apparemment un homme très ferme dans ses convictions religieuses » explique sa petite-fille, qui ne l’a jamais connu.
Le rêve américain des Juifs de l’empire tsariste
Golda avait cinq ans quand son père émigra en Amérique. Au bout de trois ans, il eut les moyens de payer la traversée à sa famille. Mais pendant ces trois années, celle-ci avait vécu à Pinsk, chez le grand-père maternel, où sa sœur aînée s’était engagée dans le mouvement révolutionnaire socialiste sioniste. Golda avait donc huit ans quand elle accosta au Nouveau Monde. Elle gardait de la Russie « le souvenir des cosaques, les marécages de Pinsk, la vie de misère à Kiev, les cris provenant du poste de police… » Elle parlait russe et yiddish. Elle acquit très rapidement l’anglais et les idées révolutionnaires de sa sœur. « De mon père », dit-elle, « j’ai hérité l’obstination… De ma mère, j’ai reçu l’optimisme. » Remarque savoureuse, quand on apprend que son père était fermement opposé aux activités politiques de ses filles !
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Ses parents refusaient aussi qu’elle continue des études pour devenir institutrice comme elle en rêvait (versant optimiste). À quatorze ans, elle fugua donc pour rejoindre sa sœur à Denver (versant obstinée) et poursuivre lesdites études. C’est là qu’elle rencontra, l’année suivante, Morris Meyerson, un peintre d’affiches, qu’elle épousa à 19 ans, en 1917.
Dernier exil pour mettre fin à l’exode
Golda Mabovitch, épouse Meyerson émigra en Palestine avec sœur, neveux, mari et pas de bagages en 1921, deux semaines après les émeutes anti-juives de Jaffa (150 morts). Leurs parents les rejoignirent cinq ans plus tard. Elle avait quitté l’Amérique « avec un sentiment de pleine gratitude pour ses qualités… la liberté qui y régnait, les possibilités qu’elle offrait à l’être humain et la beauté de ses paysages. »
L’exil de Russie avait été guidé par la volonté de fuir un régime impitoyable et l’espoir d’un mieux-être matériel, celui d’Amérique était motivé par un idéal sioniste bien plus puissant, qui impliquait, en toute connaissance de cause, une considérable régression matérielle. Elle eut l’occasion de faire la synthèse de ses expériences russo-américano-israélienne en termes de démocratie lorsque, première ambassadrice de l’État juif renaissant en Russie, elle fut interrogée par des femmes russes sur sa fille, membre d’un kibboutz : « Je leur dis qu’elle cuisait le pain. Elles furent stupéfaites : elles pensaient qu’en tant que fille de diplomate, elle était certainement la directrice du kolkhoze… »
La suite appartient à la grande Histoire
Golda Mabovitch, épouse Meyerson, devenue Meir tout court en 1956, fut la quatrième Premier ministre d’Israël (1969-1974), troisième de son espèce, après Sirimavo Bandaranaike au Sri Lanka (1960) et Indira Gandhi en Inde (1966).
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Pour autant, son féminisme pragmatique tranche sur les récriminations des anti-féminicides contemporaines : « Je ne suis pas une grande admiratrice de cette forme particulière de féminisme qui se manifeste par les autodafés de soutien-gorge, la haine de l’homme ou les campagnes contre la maternité. Mais j’avais le plus grand respect pour ces femmes énergiques, qui travaillaient dur dans les rangs du mouvement travailliste… en Palestine. Cette sorte de féminisme constructif fait vraiment honneur aux femmes et a beaucoup plus d’importance que de savoir qui balaiera la maison et mettra le couvert. »
Pour ce qui est de sa propre vie, elle déclara à propos de son mari (dont elle se sépara en 1940) lui être « éternellement reconnaissante pour de nombreuses choses que’[elle n’a pas] reçues à la maison et que lui [lui] a transmises », ajoutant qu’elle était « capable de recevoir en abondance de ceux qui [l]’entourent ». En français, cela s’appelle tolérance et c’est âprement combattu par le wokisme et les néo-féministes qui lui feraient horreur.
L’honneur de l’une est l’horreur des autres
Ce qui ferait horreur aux intersectionnelles de tout poil, c’est une déclaration de Golda Meir adressée aux Palestiniens après la guerre des six-jours : « Nous pourrons sans doute un jour vous pardonner d’avoir tué nos enfants. Mais il nous sera beaucoup plus difficile de vous pardonner de nous avoir contraints à tuer les vôtres. La Paix viendra quand les Arabes aimeront leurs enfants plus qu’ils ne nous haïssent. » Elle n’a toujours pas été entendue.
* Golda Meir, La Maison de mon père, éditions Books on Demand 2022.
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