Il est parfois reproché à Eric Zemmour un certain lyrisme, voire un décalage avec les préoccupations quotidiennes des Français. Dans le nord, le candidat était attendu sur le sujet très prosaïque du pouvoir d’achat. Mais, malgré tout, même en évoquant le pouvoir d’achat ou le travail, Eric Zemmour a livré à Lille un discours plus idéologique qu’il n’y parait. Analyse.
Pour compter politiquement, il faut aussi savoir compter – littéralement. Aussi, Éric Zemmour est venu au palais des Congrès de Lille samedi 5 février pour parler « monnaie ». La pièce était à ce titre impeccable : son et lumières hypnotiques, bain de foule à l’entrée, petit tour de scène pour saluer son public, prononciation ternaire et magnifique péroraison. La France se découvre un orateur dont le talent s’affermit de discours en discours. Mais devant une forme aussi soignée, le thème du jour choisi par le candidat pouvait sembler un peu trivial.
« Le travail doit payer » assène Eric Zemmour, qui annonce le retour des heures supplémentaires défiscalisées – idée phare du « travailler plus pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy qu’il cite nommément. Musclant sa rhétorique, il dénonce ensuite la bureaucratie « qui nous écrase » et reprend la promesse d’un grand soir fiscal : « nous sommes le peuple le plus taxé au monde. Nous travaillons la moitié de l’année pour l’Etat ».
Pour la fiche de paie, il rappelle sa promesse d’un treizième mois obtenu par une baisse des cotisations sociales sur les salaires, et y ajoute une prime entièrement défiscalisée à la discrétion des employeurs. Effort d’empathie envers les femmes oblige, il exprime sa sollicitude à celles « sans le sou qui ne peuvent pas voir leur mère en EPHAD, car l’essence coûte trop cher ».
Les thèmes fondamentaux relégués aux seconds couteaux?
La salle applaudit poliment, mais ce n’est que lorsqu’elle entendra dénoncer les fraudes sociales ou le coût de l’immigration qu’elle se réveillera vraiment. Les sympathisants de Zemmour ne vibrent assurément que sur d’autres thèmes que les thèmes économiques, et notamment lorsque les mots d’autorité ou de remplacement sont convoqués.
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Pour ces fondamentaux, les lieutenants et chauffeurs de salle s’en étaient en fait déjà chargés – l’occasion aussi pour chacun d’eux de marquer sa spécificité. Jean-Frédéric Poisson a fait huer les restrictions sanitaires. Gilbert Collard a donné dans l’hyper-lourd quand il a félicité la salle pour n’être pas venue en « état d’aubryété » – allusion au maire de Lille qui avait appelé à manifester contre la venue du candidat dans sa ville. Philippe de Villiers, de son côté, a fait chanter la salle en entonnant d’entrée « au nord c’étaient les corons… » de Pierre Bachelet. Guillaume Peltier, enfin, a fait applaudir Philippe Auguste et a raconté la bataille de Bouvines, page régionale et flamande du fameux roman national qu’Éric Zemmour aimerait de nouveau voir enseigner dans les écoles.
De l’idéologie…
Derrière la liste de mesures économiques et la série de chiffres du discours de Zemmour, on a vu cependant poindre l’idéologue.
Introduisant son propos en appelant à « la réconciliation des classes », l’orateur a évoqué « l’alliance du capital au travail ». La formule n’est pas nouvelle. Contrairement à une idée reçue, la droite s’est précocement inquiétée de la question sociale – redoutant que des antagonismes sociaux trop forts n’entravent la concorde nationale et ne détournent l’élan vital du peuple d’un souci politique vers le ressentiment et la lutte des classes. Autrement dit, quand les marxistes proclamaient « pas de guerre entre les peuples, pas de paix entre les classes », la droite était tentée d’inverser la perspective. Pour y parvenir, moult remèdes ont déjà été imaginés : le corporatisme dans l’entre-deux guerre pour accrocher la loyauté du maitre à l’ouvrier ; ou le protectionnisme, de tout temps, qui présente la nation en protectrice des intérêts du travailleur. Significativement, Eric Zemmour ressort l’idée de participation : loi de partage du capital et du travail que le Général de Gaulle avait conçue comme une grande avancée sociale et aussi comme une réponse politique aux grèves ouvrières de 1968. L’idée effrayait alors la droite conservatrice et Arnaud Teyssier a pu montrer dans De Gaulle, 1969 qu’elle avait joué un grand rôle dans la chute du Général.
Le discours prononcé à Lille était fort habilement écrit, notamment lorsqu’il réussissait à articuler enjeux symboliques et économiques : « ils ne nous déclasseront pas, ils ne nous soumettront pas, ils ne nous remplaceront pas ».
Le candidat a ainsi rappelé que le travail recouvrait aussi des enjeux symboliques : ceux « de l’honneur et de la dignité ».
« Ici dans le Nord, on est les héritiers de ces générations d’ouvriers durs à la tâche qui ne ménageaient pas leur peine. Ici, encore plus qu’ailleurs, l’assistanat est une insulte », a-t-il affirmé.
… et des contradictions
Parmi les éditorialistes de droite, Éric Zemmour a longtemps marqué sa singularité en offrant une dénonciation quasi-marxiste du capitalisme, expliquant que la mondialisation offrait au capital de se passer de tout compromis avec le travail – la possibilité lui étant offerte de le délocaliser ou de l’importer par une main d’œuvre immigrée à moindre coût. Soucieux de draguer « la bourgeoisie patriote », l’inflexion idéologique du candidat est assez claire et sa dénonciation du capitalisme peut paraitre de plus en plus molle.
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Sur le commerce aussi, le discours d’Eric Zemmour risque de souffrir de certaines contradictions. Quand le candidat adressait ses vœux aux petits commerçants, on sentait tout en sincérité un souci de remettre la boulangère et le cafetier au milieu du village. Il avait également avancé quelques propositions pour durcir les conditions d’installation de la grande distribution, soutenir l’emploi en cœur de ville ou en cœur de bourg. Mais comment imaginer que son soutien au petit commerce puisse favoriser le pouvoir d’achat des Français quand leurs marges peuvent monter à 40% pour certains produits contre 6 ou 7% pour la grande distribution ?
La réindustrialisation de la France et la relocalisation sont des thèmes forts des deux candidats nationalistes, Éric Zemmour comme Marine Le Pen. Mais une TVA sociale aux frontières nationales ou européennes – pilier de tout programme protectionniste – ne renchérirait-elle pas l’achat de produits importés à bas coût, lesquels sont devenus l’essentiel de la consommation populaire ? Par ailleurs, l’objectif claironné par Éric Zemmour dès son entrée en campagne de rééquilibrer la balance commerciale de la France est-il vraiment compatible avec un soutien significatif au pouvoir d’achat des Français qui, mécaniquement, gonflerait encore nos importations et dégraderait encore notre déficit extérieur ?
La droite a-t-elle, enfin, vraiment quelque chose à dire sur le pouvoir d’achat ? Ce sujet, et toutes les revendications qui l’accompagnent, ont toujours été regardés avec une certaine méfiance chez les intellectuels les plus conservateurs qui peuvent l’associer au consumérisme, à l’esprit de jouissance et à une forme de décadence par appétit des choses matérielles…
Ce passage obligé du candidat par la case porte-monnaie convaincra-t-il les électeurs ? Éric Zemmour aura au moins rempli le contrat en jouant momentanément au père Noël de la présidentielle… Mais comme déjà dit plus haut, dans la salle, ses partisans applaudissaient beaucoup plus facilement le retour à ses thèmes traditionnels que ce catalogue de mesures sociales.