Éric Zemmour a été condamné à 10 000 euros d’amende pour provocation à la haine raciale par le tribunal correctionnel de Paris pour ses propos sur les « mineurs isolés ». Maître Gilles-William Goldnadel dénonce une aberration : les migrants, mineurs ou pas, ne constituent pas une catégorie protégée par la loi de 1881.
Causeur. Lorsqu’elle promulgue la loi du 29 juillet 1881, la République entend autoriser la liberté d’expression la plus large possible. Aujourd’hui, Eric Zemmour fait l’objet de plusieurs poursuites pour ses propos. Faut-il y voir le rétablissement d’un délit d’opinion ?
Gilles-William Goldnadel. En 1881, la République faisait le pari qu’on favoriserait l’émergence du consensus en laissant une place aux idées même les plus radicales dans le débat public. Ces dernières décennies, nous nous sommes éloignés de cette ambition, sans doute parce que la Seconde Guerre mondiale a légitimement traumatisé les consciences, en montrant que la haine verbale ou scripturale pouvait déboucher sur une haine physique catastrophique, entraînant même un génocide.
Aux États-Unis en revanche, le premier amendement permet toujours de tout dire – ce que pour ma part, je trouve très bien –, mais vous ne pouvez pas aisément y diffamer les personnes. Lorsque vous êtes condamné pour avoir diffamé un particulier là-bas, la peine est infiniment plus sévère qu’en France. Il est important de rappeler ce distinguo entre l’expression d’idées, qui peut donc être réprimée chez nous, et la diffamation des particuliers pour laquelle les peines françaises ne sont pas, à mon avis, assez dissuasives. Concernant les idées, j’ai longtemps balancé entre la permissivité américaine et une certaine rigueur française justifiée par le grand traumatisme que j’ai évoqué. Ces derniers temps, je penche de plus en plus pour la solution américaine. Si elle n’est pas idéale, elle me semble préférable, pas tant du point de vue des principes, mais d’un point de vue empirique et pratique. Mes expériences me conduisent à constater le caractère extrêmement sélectif de la justice française, qui fait que seules les idées de droite sont largement réprimées et non les discours de gauche.
Certains reprochent à Zemmour de dire « Vive la République, et surtout Vive la France ! ». Et regardez le titre du nouveau livre de Manuel Valls !
Éric Zemmour a bien le droit de mettre la France au-dessus de la République, moi-même je le fais volontiers. J’aime bien Manuel Valls, mais il lui arrive, peut-être pour donner des gages, d’avoir des expressions malheureuses. Souvenez-vous de l’expression d’« apartheid dans les banlieues » employée au lendemain de massacres de Français par les islamistes. « Antirépublicain », Zemmour ? Mais même quand il met la France au-dessus de la République, il ne conteste pas le système républicain. En se présentant aux élections, il se réclame bien du système républicain, et que je sache il ne veut pas le retour du roi ! Son projet politique de défense de l’État peut même être vu comme un moyen de renforcer la République. Ceux qui s’en prennent excessivement à Éric Zemmour sur le terrain juridique ne rendent pas service à cette dernière.
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Zemmour est poursuivi pour contestation de crime contre l’humanité, à cause de ses écrits sur Pétain et les Juifs. Vous aussi, vous avez poursuivi des gens comme le communiste négationniste Roger Garaudy, ou Serge July pour une lettre publiée dans Libération avant le massacre de la rue des Rosiers…
Il ne me plaît pas de faire entrer l’histoire dans les prétoires. Et je n’aime pas chercher querelle aux autres sur le plan de l’expression. Mais je ne peux pas tolérer que la justice ne marche que sur une jambe, alors je joue le jeu. Étant, comme Simone Veil, contre la loi Gayssot, je n’ai pas voulu faire condamner Garaudy sur le fondement de cette loi, mais sur le terrain de la discrimination raciale à l’égard des juifs.
Tout ça pour dire que l’opinion du candidat de « Reconquête » n’a quand même strictement rien à voir avec la négation des chambres à gaz. Ceci étant posé, je ne suis pas le dernier à faire des reproches à mon ami Éric Zemmour. Je me battrai pour qu’il ne soit pas condamné en justice[1], mais j’ai une vraie divergence avec lui sur ce terrain-là. Je pense que Pétain se moquait comme d’une guigne des israélites. La zone libre a mécaniquement épargné bien des juifs, comme mon père, mais Hitler et Pétain ne l’ont pas faite pour leur plaire. Elle permettait surtout au premier de soulager l’armée allemande de l’occupation de tout le territoire, et à un État français de subsister quelque part tout en offrant au second d’expérimenter ses propres idées.
Même si certains de ses propos sont contestables selon vous, la justice ne tente-t-elle pas de faire taire Zemmour ?
Le fait qu’Éric Zemmour n’ait pas un bœuf sur la langue et inspire une haine particulière à des associations prétendument « antiracistes », je peux le dire mais je ne ferai pas montre d’une très grande originalité ! Non, contrairement à certains qui crient au délit d’opinion, je ne souhaite pas me situer sur cette question subjective de savoir si les gens qui saisissent la justice française portent atteinte à la liberté d’expression. Grâce aux choix du législateur, discutables peut-être, ils ont le droit de le faire et je ne peux pas leur reprocher.
Il y a le dossier sur Pétain et les juifs, et il y a aussi les propos sur les mineurs isolés…
Oui. Alors que je ne suis pas personnellement concerné – n’étant pas l’avocat d’Éric Zemmour –, je tiens à intervenir publiquement pour parler d’une seule affaire : celle des migrants isolés. Il n’y a là aucune place à la moindre spéculation intellectuelle. Je dis bien : aucune ! Je fais donc l’économie du débat subjectif sur la liberté d’expression et me situe sur le simple et ô combien important terrain de la sécurité juridique à laquelle a droit tout citoyen. Je dis que le jugement du 17 janvier est une aberration juridique, et je pèse mes mots. Même si, par essence, la loi qui réprime l’injure raciale, l’appel à la haine raciale ou à la discrimination raciale porte forcément atteinte à la liberté d’expression, elle protège expressément mais strictement des catégories. L’ethnie est protégée. La nation est protégée. La religion est protégée – du moins le fait d’appartenir à une religion (vous pouvez critiquer les religions, mais pas vous en prendre à Mohamed parce qu’il est musulman, à Jacob parce qu’il est juif ou à Christian parce qu’il est chrétien). Zemmour s’en prend à la catégorie des migrants mineurs isolés, qu’il considère tous comme des délinquants – encore que, lorsque Christine Kelly l’invite à préciser en lui demandant « Pas tous ? », il répond « Non, pas tous ». Certes quelqu’un de plus pusillanime aurait immédiatement veillé à ne pas parler de l’ensemble des mineurs. Mais peu importe ! Les mineurs isolés, qui ne sont pas différenciés ni religieusement ni ethniquement ni nationalement, ne sont pas une des catégories protégées par la loi. C’est pourquoi cette décision est une véritable monstruosité juridique qui porte atteinte à notre sécurité juridique, et accessoirement à la liberté d’expression de Zemmour. Ce n’est pas ici l’essayiste engagé qui le dit, mais l’avocat désincarné.
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Comment comprendre une telle décision ?
Cette aberration juridique ne tombe pas du ciel. Elle témoigne d’un parti pris sinon politique, au moins idéologique, qui fait fi du droit pour faire la place au sentiment personnel et à une conception subjective et particulière de l’équité. Maintenant que j’ai les mains entièrement dans la glaise, j’ajoute que l’action de la section presse du parquet de Paris est pour moi un véritable problème depuis longtemps. C’est une sorte d’État dans l’État judiciaire, qui a un parti pris idéologique que je dénonce expressément.
Elle se saisit du cas du malheureux Georges Bensoussan qui a eu le malheur d’évoquer l’antisémitisme islamique culturel, mais ne juge pas opportun de se saisir de l’affaire de livres incitant expressément au massacre de juifs et de chrétiens en invoquant la religion musulmane, tels qu’ils étaient vendus dans la grande distribution. Elle tente vainement (mais jusqu’au dernier recours) de sauver le soldat Martres, présidente du Syndicat de la magistrature dont le célèbre mur traite de cons des parents de victimes assassinées, mais il n’est pas question pour elle de se pencher sur le boycott illégal des produits made in Israël. Où que je tourne mon regard, je constate qu’il s’agit d’une section idéologisée : on bride la liberté d’expression des uns tandis qu’on tolère chez les autres les pires errements. Cela fait de moi non seulement un avocat malheureux, mais aussi un citoyen français qui a peur pour ses clients et pour lui-même.
Une dernière pour la route: allez-vous prendre part à la campagne présidentielle?
Je ne suis pas dans cet état d’esprit. Celui qui vous parle est un futur électeur embarrassé qui ne sait pas pour qui il va voter. La division de la droite m’inspire plus d’inquiétudes que de satisfaction. J’observe que les médias se lamentent de la division de la gauche, mais étrangement personne ne se lamente sur la division de la droite. Depuis des années l’union de la gauche a quelque chose de sacré, l’union de la droite (notamment la droite modérée avec celle qui l’est moins) est au contraire maudite. Et à droite, on a accepté sans mot dire d’être maudit.
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[1] La demande de renvoi du procès ayant été refusée, le procès en appel s’est tenu le 20 janvier alors que la défense de Zemmour avait quitté la salle. La décision du tribunal sera connue après l’élection présidentielle. [NDLR]