Une tribune libre de Nicolas Bay (RN), député français au Parlement européen, vice-président du groupe Identité et Démocratie
Europe des valeurs et du commerce ou Europe de la puissance et du politique ? Identité européenne enracinée dans les nations ou État-monde de consommateurs sans patrie ? À cette question, le logiciel de Bruxelles ne connaît qu’une réponse. Toujours la même. Celle de la négation des identités, charnelles comme civilisationnelles, et leur remplacement, petit pas après petit pas, par une gouvernance européenne, elle-même étape avant une gouvernance mondiale. Quand Christophe Castaner parle de l’élection présidentielle française comme d’une « élection locale », il ne fait rien d’autre que résumer la pensée européiste.
C’est dans ce contexte que la Commission européenne a adopté à la toute fin 2021 un énième programme censé participer du soft power européen et visant les organisations « de la société civile dans le monde ». 1,5 milliard d’euros sera distribué jusqu’en 2027 à des ONG travaillant en dehors de l’Union à « des processus démocratiques inclusifs et participatifs ». La curiosité de ce programme est que, de quelque manière qu’on le considère, il ne peut satisfaire personne.
Ceux qui pensent, et au premier plan la Commission européenne, que l’intérêt européen passe nécessairement par l’exportation de « valeurs » dont le temps et l’expérience ont pourtant montré qu’elles dépérissent rapidement sous d’autres tropiques, ne peuvent qu’être déçus. En effet, 1,5 milliard sur six ans donne une moyenne de 250 millions annuels. Quelle peut être l’efficacité d’un programme aussi faiblement doté ? A titre de comparaison, l’Open Society de Georges Soros a dépensé en moyenne par an depuis sa création 740 millions d’euros. La seule Amnesty international dispose d’un budget de 26 millions, soit tout de même 10% du budget de ce programme européen. On pourrait ainsi aligner les chiffres, les comparer et aboutir à chaque fois au même constat : si l’on croit dans les valeurs démocratiques telles que définies par Bruxelles, si l’on considère que seule l’Europe peut les porter avec efficience, alors 1,5 milliard, c’est peu, c’est trop peu. C’est même ridicule et relève de la seule communication. Pour autant, c’est beaucoup plus que ce que l’UE accorde à d’autres de ses initiatives comme, par exemple, le Fonds Européen pour la Démocratie (FEDEM) dont le budget 2017-2023 est de sept millions d’euros.
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Si, a contrario, on considère que l’avenir de l’Europe, sa capacité à peser sur le destin du monde et même à survivre à ce siècle en tant qu’unité civilisationnelle, ne passe pas par le financement de « processus inclusifs » au final destructeurs car mélange de wokisme et de cancel culture, la désapprobation de ce programme est encore plus forte. Quelles seront les ONG subventionnées ? On ne le sait pas encore. En revanche, on ne connaît que trop de récents bénéficiaires de ce type de programme. 67 millions d’euros distribués depuis quinze ans à des « ONG » islamistes dont la principale préoccupation est de faire taire toute opposition au développement sur le sol d’Europe des réseaux des Frères musulmans, ne prédispose pas à la confiance pour le futur. Parmi ces ONG, Islamic Relief, basée à Londres, a été la mieux nantie avec 40 millions en douze ans. Touchés par des révélations d’antisémitisme et d’apologie du terrorisme, son président et son conseil d’administration ont du démissionner en 2020, ce qui n’a pas empêché la Commission Européenne de lui octroyer jusqu’en 2027 le statut de « partenaire humanitaire »…
Les initiatives financées par le FEDEM sont de la même eau, un des derniers « festival de la jeunesse européenne » mettait en avant les thèmes de « l’intégration, de l’égalité des genres et de la montée du populisme ». On est très loin des droits de l’Homme tels qu’on pouvait encore les concevoir au début de ce siècle.
L’UE dilapide le crédit historique européen
Une raison encore plus forte de s’inquiéter de ce programme est son caractère aventureux. Sous couvert des libertés civiles dont on a déjà vu les manipulations lors des prétendus « printemps arabes », les institutions européennes entendent intervenir dans la vie des États étrangers n’importe où sur la planète. A ce titre, l’UE est bien la petite sœur des États-Unis. Agissant en satellite de cette dernière, Bruxelles n’incarne nullement l’Europe-puissance que les nations européennes pourraient constituer. Si l’objectif est économique, partout les Etats-Unis se servent les premiers. Si le but est géopolitique, nulle part le soft power européen, la panoplie de ses « valeurs », ne permet à l’Europe de gagner du terrain. Au contraire, partout les puissances émergentes avancent à notre détriment comme la Chine en Afrique. Nain politique, l’Europe n’est forte que de son passé, que de ce que l’on pourrait appeler son « crédit historique » qu’elle ne cesse de dilapider depuis la création de l’Union.
Cette question des « valeurs » et de leurs interprétations est fondamentale. Celles de Bruxelles sont étrangères à l’Europe, à son identité séculaire comme à l’idéal européen des années cinquante. Ce sont même des anti-valeurs en ce qu’elles visent à déconstruire, à faire table rase du réel, passé comme présent. Orwelliennes, elles disent le contraire de ce qu’elles sont. Leur horizon est totalitaire. Leur terme mortifère. En finir avec elles n’est pas une option, mais une priorité.
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