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Mais qui a trahi Anne Frank?

La version de Rosemary Sullivan est loin de faire l’unanimité aux Pays-Bas


Mais qui a trahi Anne Frank?
Otto Frank, le père d'Anne, photographié en 1961. Wikimedia Commons

La cache d’Anne Frank aurait été révélée aux Allemands par un notaire juif, selon un livre en tête des ventes. Depuis les Pays-Bas, Rene ter Steege fait le point sur la polémique.


Le livre sur la trahison d’Anne Frank, qui vient de paraître dans un grand fracas publicitaire, prend des rumeurs pour des réalités. C’est l’avis de bien des experts néerlandais qui doutent du clou du livre de l’écrivaine canadienne Rosemary Sullivan, paru simultanément dans 23 pays, dont la France. 

Dénoncée par Arnold van den Bergh?

Sullivan prétend avoir découvert le nom de celui qui a donné aux occupants allemands le lieu où Anne Frank et sept autres Juifs s’étaient cachés pendant deux ans pour échapper à la déportation.

Le traître serait le notaire Arnold van den Bergh, membre du Conseil Juif d’Amsterdam, composé de notables censés persuader les Juifs de la capitale à collaborer avec les occupants. Van den Bergh, mort d’un cancer en 1950 a l’âge de 64 ans, était Juif, ce qui ajoute du piment à la supposée révélation dans le livre paru mi-janvier en français sous le titre Qui a trahi Anne Frank? L’auteur, épaulée par une cohorte de chercheurs, affirme que le notaire était “très probablement, à 85%” le traître.  “Pour une accusation aussi grave, mieux vaut être sûr au moins à 100% voire à 200%” a commenté Ronald Leopold, le directeur de la Maison d’Anne Frank à Amsterdam.

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L’auteur affirme qu’une lettre anonyme adressée en 1945 à Otto Frank, le père d’Anne, est la preuve quasi concluante de la culpabilité de Van den Bergh. Lequel aurait fourni aux Allemands l’adresse du Prinsengracht où les Frank se cachaient, dans la fameuse annexe secrète où Anne écrivit son Journal. Otto Frank aurait reçu la lettre à Amsterdam peu de temps après son retour d’Auschwitz, seul survivant de la rafle de l’annexe du 4 août 1944. Frank se mit tout de suite à s’enquérir sur le sort de ses compagnons de malheur, notamment ses filles Anne et Margot et son épouse Edith. Elles étaient mortes, devait-il apprendre plus tard, au camp de Bergen-Belsen au début du printemps de 1945, peu avant l’arrivée des libérateurs britanniques.

Pourquoi Otto Frank n’a-t-il rien dit ?

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la lettre anonyme, déjà mentionnée par l’historien néerlandais David Barnouw en 2003, ne poussa pas Otto Frank à demander des explications à Van den Bergh. Ce n’est que bien après la mort de celui-ci que M. Frank informait la police de la dénonciation anonyme, qu’il croyait crédible. Craignait-il que la divulgation du nom du prétendu coupable encouragerait l’antisémitisme dans la population, comme le suggère le livre ? Ou, autre hypothèse, ne voulait-il pas accabler les enfants de Van den Bergh de la trahison de leur père ?

La lettre anonyme n’est évidemment pas une preuve de culpabilité. Aussi, les chercheurs néerlandais ne l’avaient ils pas considérée comme une pièce maîtresse dans leurs efforts pour élucider un mystère qui, grâce au Journal d’ Anne Frank, continue d’intéresser le monde entier.

Dans sa campagne de communication autour du livre, l’éditeur Harper/Collins met en avant l’équipe d’une vingtaine d’experts dirigés par un ancien limier du FBI et dotée des outils derniers cris de l’intelligence artificielle pour passer au peigne fin des données qui auraient échappé aux chercheurs conventionnels auparavant. Polis, les experts néerlandais s’en disent reconnaissants, sans dissimuler leur scepticisme. Notamment sur l’affirmation que Van den Bergh aurait disposé de nombreuses adresses de cachettes de Juifs, dont celle des Frank. Adresses qu’il aurait communiquées aux Allemands en échange de la promesse que lui et les siens seraient exempts de la déportation.

“Une élucubration,” a jugé le chercheur universitaire Bart van der Boom qui est justement en train d’écrire un livre sur le Conseil Juif. “Si Van den Bergh avait avoué qu’il était en possession de listes de Juifs cachés, les Allemands l’auraient déporté dare-dare.”

Le Conseil Juif d’Amsterdam dissous en 1943

Le livre affirme ensuite que des Juifs déjà déportés avaient écrit des lettres au Conseil implorant ses membres de prendre soin de leurs proches cachés, tout en indiquant leurs adresses. C’est plus que douteux, car les membres du Conseil Juif (Joodse Raad) faisaient figure de collabos, travaillant pour ce que ses adversaires appelaient Joods Verraad (Trahison Juive).

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Besogne faite, le Conseil, qui déconseilla d’ailleurs aux Juifs de se soustraire à la déportation, fut dissous en septembre 1943 et la plupart de ses membres furent expédiés vers les camps. Van den Bergh, qui avait réussi à se faire déclarer non-Juif, décision révoquée plus tard, n’était pas des leurs. Sous l’Occupation, en tant que notaire il avait dû maquiller en achats légaux le vol de peintures appartenant à des familles juives. Œuvres d’art sur lesquelles de hauts dignitaires nazis avaient jeté leur dévolu. Ce qui lui valut quelques ennuis après la Libération, mais il put reprendre sa profession.

Le livre de Rosemary Sullivan a en tout cas réussi à unir les experts néerlandais contre elle. C’est assez rare pour le souligner, car ils s’écharpent souvent entre eux sur l’identité du traître d’Anne Frank. Certains désignent la collaboratrice juive Ans van Dijk, fusillée après la guerre. D’autres montrent du droit un cambrioleur dans le bâtiment contigu à l’annexe, des voisins, des commerçants du Prinsengracht, des employés et d’autres connaissances d’Otto Frank, des membres de son réseau d’aide, un marchand de tickets de rationnement, ou un policier du quartier…  

Shoah business

Un véritable polar dans le genre ‘whodunit’, mais, jusqu’à la publication du livre de Rosemary Sullivan, le notaire Arnold van den Bergh avait plutôt joué un rôle subalterne. Ailleurs dans le monde, on jugera peut-être l’accusation grave portée contre lui plus crédible qu’aux Pays-Bas, où se trouvent pourtant les meilleurs spécialistes d’Anne Frank et où une journaliste a carrément fustigé le “projet dégueulasse” autour du livre. Et d’accuser les éditeurs de vouloir profiter du “Shoah business”. Le 31 janvier, l’éditeur néerlandais Ambo Anthos s’est excusé pour « son manque d’attitude critique » et a précisé que le livre ne serait pas réédité dans sa forme actuelle (ajout du 1 février 2022).

La vérité, restera-t-elle à jamais ensevelie dans les brumes de l’Occupation? L’historien David Barnouw, grand expert en la matière, confia au journal amstellodamois Het Parool: “Les chances de jamais trouver la réponse définitive me paraissent extrêmement réduites.”

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Journaliste hollandais.

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