Le goût des garçons, coup d’essai de Joy Majdalani, se révèle un coup de maître. Un premier roman sensuel et insolent au style impeccable sur les premiers émois de l’adolescence
Le journalisme crève de ses lieux communs. Vous aussi, vous me direz. Rengaines et formules cent fois usées, mille fois entendues. Tant pis, il faut bien mourir. Alors allons-y : combien de « charmants petits monstres » notre littérature a enfanté ? Il y a eu l’originale : Françoise Sagan, pour qui Mauriac trouva cette formule désormais fatiguée et fatigante. L’auteur de Bonjour Tristesse ne fut pourtant pas la première du genre. Sans aller jusqu’à Musset, Raymond Radiguet est en quelque sorte l’ancêtre de cette race d’écrivains. On pense ensuite au jeune Roger Nimier des Épées. Plus récemment à Lolita Pille (j’entends déjà ceux qui s’étouffent). Ces jeunes gens ont pour eux de ne pas être laids, d’écrire aussi vite qu’ils boivent, et de provoquer l’éditeur qui voit un coup flamboyant à faire. Ça n’est pas un gage de talent, tant s’en faut, mais ça n’assure pas non plus d’en être dénué. Mille fois, nous les avons oubliés en un souffle, ce n’est pas une raison pour ne pas les espérer.
Féérie, désillusion et jupe-portefeuille
Joy Majdalani vient de sortir (chez Grasset, l’éditeur historique de Raymond Radiguet) un de ces charmants petits livres, donc, pour qui l’on espère une descendance éclatante. Pour sa naissance dans les lettres françaises, cette jeune libanaise de vingt-neuf ans nous parle d’une autre naissance : celle de sa sensualité et de ses amours adolescentes. Le récit démarre par une ode « aux filles qui [lui ont] donné le goût des garçons ». Le ton est donné : « Au fond de notre classe de 5e, près du radiateur, des fenêtres, somnolent les Dangereuses […]. L’uniforme du collège Notre-Dame de l’Annonciation enveloppe les fesses et les seins neufs. L’affreuse jupe portefeuille retroussée jusqu’au-dessus des genoux, une provocation quotidienne lancée à la surveillante […]. » Non loin de ces Dangereuses, se trouvent, au centre de la classe le fief des insignifiantes : « Chaussettes hautes bordées de dentelle, lunettes oranges ou vertes, peu sexuelles, duvets de moustache, sous-pulls en flanelle portés sous la chemise, imposés par une mère inquiète, de celles qui préparent des goûters à la symétrie militaire, qui ne laissent au vice aucun espace où fleurir. »
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Les disputes du collège de l’Annonciation prennent des airs de grandes batailles. Et l’on se souvient du merveilleux sérieux avec lequel Jean Cocteau nous parlait d’une bagarre de boules de neige comme d’un Waterloo tragique dans Les Enfants Terribles. Dans Le goût des garçons, la narratrice rejoint un monde parallèle et fantastique par le biais d’Internet (« L’informatique au sortir de l’enfance prend le relais de la magie ») lequel la fera passer d’une féerie à la désillusion. Joy Majdalani sait retranscrire le sérieux quasi-théâtral de la puberté en lui ajoutant une profondeur poétique. Avec sincérité et malice, elle dit la singularité de cet âge.
Le sens de la formule
La langue, classique et corsetée, n’oublie pas de se relâcher pour faire mouche. Comme un coup de fleuret. Ses phrases sont mesurées, souvent brèves jamais sèches. Ainsi qu’une libertine du XVIIIe siècle armée d’un Mac Book Pro, elle allie drôlerie, sensualité, élégance et provocation, sens de la formule (« La rancune est abnégation. Je n’ai pas la discipline qu’il faut pour rester fâchée ») et la charmante insolence de celles qui ne veulent pas se taire. C’est Madame du Deffand qui aurait grandi en regardant « American Pie ». Toujours nos sens sont éveillés. En lisant ce récit, les parfums ambrés de l’Orient nous arrivent. Sa prose a des senteurs de Black Opium (YSL, 51,90€ les 90ml). Jamais pourtant Joy Majdalani ne s’attarde sur de banales descriptions orientalistes. Sur les descriptions tout court, d’ailleurs.
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L’essentiel n’est sans doute pas là pour elle. Il lui faut aller vite, courir au plaisir, voler des souvenirs à sa mémoire avant qu’ils ne s’échappent et se désagrègent. Cela lui évite aussi de tomber dans des facilités, des choses cent fois répétées, ou pire, de nous ennuyer. Son pinceau a le charme vif des croquis des petits maîtres adorables.
Mais que fait Beigbeder?
Avec tout cela, on aurait juré que ce livre serait défendu par Frédéric Beigbeder dans les colonnes du Figaro. Il n’est pas trop tard. Sans doute l’auteur D’un barrage contre l’Atlantique est-il pour le moment occupé à la promotion de son dernier livre. C’est bien normal. Joy Majdalani devra aujourd’hui se contenter des éloges d’un jeune critique inconnu avant de se voir tresser des lauriers chics dans l’avenir. Nous pouvons espérer qu’il ne lui faudra qu’un peu de patience pour le vérifier.
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