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La journée de Gilbert, fanatique du passe vaccinal et covido-suprémaciste

Une fiction de Samuel Fitoussi


La journée de Gilbert, fanatique du passe vaccinal et covido-suprémaciste
Image d'illustration Unsplash

Lundi 8h15. Gilbert accompagne sa fille (sept ans, triple-vaccinée) en cours. Devant l’école, il lui prodigue quelques conseils. « Surtout, tu n’enlèves pas ton masque, même pour déjeuner. Tu risques un Covid-long, et avec le variant Omicron les salles de réas sont remplies d’enfants. Allez ma fille, va en cours et profite de ta jeunesse ! Je viens te chercher à 16 heures et on ira se faire tester au labo. »

Il l’observe pénétrer dans le cluster géant et l’émotion l’envahit : la prochaine fois qu’il la verra, elle sera peut-être dans un coma artificiel. La veille, Gilbert a envoyé un e-mail incendiaire au proviseur : à la cantine les élèves sont jusqu’à deux (!!!) par table ; en classe l’aération est insuffisante (les enfants auraient « froid » mais il vaut mieux avoir froid qu’être intubé, non ?) et surtout, l’école est ouverte ! Marie-Estelle, une maman d’élève, lui a répondu qu’elle le trouvait égoïste. Lui qui veut sauver des vies, égoïste ? Le monde à l’envers ! « J’ai fait la guerre dans les tranchées moi, a-t-il répliqué, enfin pas moi mais mes grands-parents : les jeunes peuvent bien accepter quelques contraintes non ? ». Si la situation ne s’améliore pas d’ici à une semaine, Gilbert déscolarisera sa fille. Il en va de son devoir de père. (D’autant qu’il a appris qu’Alice – CE2 C – glisse systématiquement son masque sous le nez à la récré.)

La liberté des anti-vax s’arrête là où commence ma liberté de ne pas voir leur sale gueule! 

9h00. Gilbert, chef d’entreprise, arrive au bureau. Il a équipé l’espace de travail de capteurs de CO2, de purificateurs d’air et de bulles de plexiglas mais ce matin c’est sur Zoom qu’il contrôle les passes sanitaires de ses employés car il a imposé le télétravail 27 jours par mois. « J’ai 28 ans, suis vacciné et marathonien, je ne risque rien du Covid », s’agace Pierre. « N’en déplaise aux désinformateurs de CNews, nous sommes tous à risque », répond Gilbert. Il lui montre un reportage de BFMTV qui raconte le supplice d’un adolescent de 68 ans, obèse en parfaite santé, actuellement en réa. (Son médecin, larmes aux yeux, adressait un bouleversant message à 67 millions de Français : « Nous sommes fatigués alors s’il vous plaît ne voyez pas vos grands-parents, ne fêtez pas vos anniversaires, téletravaillez, masquez les enfants de six ans et coupez au maximum vos relations sociales. On ne vous demande pas la lune. »

11h00. Gilbert s’accorde une pause. Il appelle son ami Raphaël.

– Les non-vaccinés ont quatre fois plus de chance de se faire hospitaliser, explique Raphaël en finissant sa 13ème cigarette de la matinée, je ne vois pas pourquoi nous payerons les soins de personnes qui nuisent à leur propre santé ! 

– Exactement, répond Gilbert. Ils nous emmerdent alors on les emmerde ! C’est le principe d’un Etat de droit. 

– Quand je pense que des gens disent que le gouvernement prend des mesures liberticides… Qu’ils aillent voire en Corée du Nord tiens, ou pire, en Hongrie ! 

– La liberté des anti-vax s’arrête là où commence ma liberté de ne pas voir leur sale gueule ! 

En 2015, Gilbert s’était indigné de la dérive sécuritaire du gouvernement socialiste face à la menace terroriste. Il ne faut jamais sacrifier nos libertés pour de la sécurité, expliquait-il, car les droits individuels n’ont pas été pensés pour les temps de paix. Il alertait sur la société de contrôle qui risquait de prendre forme et rappelait que les droits des fichés S n’étaient pas négociables. Aujourd’hui, il trouve formidable qu’on interdise à cinq millions de Français de boire un café, de prendre le train, d’aller au cinéma ou de jouer au tennis et qu’on oblige 60 millions de Français à décliner pour chaque acte de la vie quotidienne leur identité et leur statut vaccinal. D’ailleurs, il invite toute personne qui s’y oppose à venir faire un tour en réa – des gens meurent putain !

13h00. Gilbert a rendez-vous au restaurant avec Martin pour un déjeuner professionnel. Une douce sensation d’euphorie l’envahit au moment de scanner son passe sanitaire – sensation semblable à celle qu’il ressentait au collège lorsque le prof vérifiait les devoirs un jour où il les avait faits. Le déjeuner tourne à la catastrophe car Martin révèle qu’il est opposé au passe vaccinal. Gilbert tente de le raisonner via plusieurs arguments : 

« En France, 12% des plus de 80 ans sont non-vaccinés. Le passe les empêchera d’aller en boite de nuit et les incitera à se vacciner. »

« Le passe n’est qu’un outil temporaire. Pour l’instant, il est efficace pour injecter un grand nombre de troisièmes doses. Bientôt, il sera efficace pour injecter un grand nombre de quatrièmes doses. Ensuite… »

A lire ensuite, Jean-Paul Brighelli: Ibiza? No more!

« Sans le passe sanitaire, les adolescents seraient beaucoup moins vaccinés donc les gens mourraient par centaines dans les rues, comme au Royaume-Uni. »

« Je suis prêt à gâcher l’existence de millions de personnes pendant des décennies si cela peut permettre de sauver ne serait-ce qu’une seule vie (voire de prolonger de 48 heures l’espérance de vie en EPHAD). Ça s’appelle avoir un cœur. »

Martin – sensible aux fake news et aux théories du complot mais apparemment pas aux arguments rationnels – ne semble pas convaincu. Gilbert craque. Il se lève, projette la table contre le mur (il fait même tomber huit auto-tests de sa poche) et lâche une dernière punchline. « En quelle langue faut-il l’expliquer : le vaccin n’est pas efficace à 100% contre les formes graves ! Tu veux laisser crever les immunodéprimés ? ». Martin était un partenaire commercial important mais Gilbert ne le reverra plus : les valeurs avant les affaires, tolérance zéro pour les ennemis de la science.

15h50. En chemin vers l’école de sa fille, Gilbert médite. Il ne relâchera pas les gestes barrières tant que le Covid circule encore. La faible efficacité du vaccin contre la contamination pose une difficulté imprévue, mais en injectant un booster à tous les habitants de la planète tous les deux mois, on pourrait atteindre l’immunité collective mondiale. Pour l’instant, seule 6% de la population du Zimbabwe est vaccinée. L’âge médian du pays n’est que de 17 ans, mais les Zimbabwéens souhaitent-ils laisser le virus circuler et mettre en péril la sécurité des Européens ? Un peu de solidarité s’il vous plaît les Zimbabwéens. (D’ailleurs, Gilbert s’inquiète : la population africaine, peu vaccinée et jamais protégée par des auto-attestations, doit aujourd’hui être composée presque intégralement d’handicapés du Covid-long). 

Lorsque sa fille l’aperçoit, elle court pour lui sauter dans ses bras ; il la rappelle à l’ordre et lui adresse un check du coude. Sur le chemin du retour, elle lui raconte sa journée (elle semble développer de la dyslexie, des tocs et un léger retard mental – il espère qu’elle pourra continuer à porter le masque malgré le handicap) et n’a toujours pas d’amis (tant mieux, les amis sont des menaces bactériologiques permanentes). Il lui fait un petit cours sur la fonction exponentielle, lui démontre en quoi un confinement strict mais bref permettrait de briser les chaînes de transmission et lui explique qu’on ne peut pas comparer la France à d’autres pays parce que « les Français sont des cons ».

18h. Gilbert navigue sur Twitter (il vient d’apprendre qu’une personnalité anti-vax est entrée en réa – joie !) lorsque la sonnerie de son téléphone retentit. La conversation dure 15 secondes. Gilbert raccroche ; il est sonné, abasourdi, épouvanté…


Il est cas contact de cas contact. Il monte s’isoler dans le grenier et appelle tous ceux qu’il a vus depuis sept jours.

– Tu es cas contact de cas contact de cas contact. J’ai donné ton nom à la sécurité sociale. Je compte sur toi pour prendre tes dispositions. Bonne chance.

18h15. Grelottant sur le sol en bois du grenier, Gilbert décide d’effectuer une introspection. Il arrive à la conclusion qu’il peut être fier. Contrairement aux anti-vax, il est un homme des Lumières ; il croit au progrès, à la Science et à la médecine. Alors certes, il n’a lu aucun texte scientifique depuis son dernier cours de SVT au collège il y a 38 ans et serait incapable d’expliquer le fonctionnement d’un vaccin, de lire une étude en anglais ou d’interpréter des données, mais tout de même, il se sent garant de l’héritage de Pasteur. Héritier de Tocqueville aussi, puisque sa défense du passe vaccinal est le fruit d’une longue réflexion philosophique, débutée avec Raphaël Enthoven (« la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres »), poursuivie avec Emmanuel Macron (« Avant les droits les devoirs »), et conclue avec Joey Starr (« Les anti-passe sont des connards »). 

18h30. À l’aide d’un petit clou, Gilbert tente de transpercer le mur du grenier. Il cherche à créer une petite ouverture sur la rue. Il se hâte car il n’a que jusqu’à 20 heures.

19h59. Ouf ! Le trou est prêt. Gilbert brave sa peur des araignées et glisse ses bras dans la fente. Ses mains pendouillent dans le vide.

20h. Il applaudit les soignants.



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Samuel Fitoussi est étudiant et rédacteur de La Gazette de l’Étudiant

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