C’est une polémique dont le syndicat de la magistrature, traditionnellement étiqueté à gauche, se serait volontiers passé. Dans son propre local, un mur sert de catharsis, le « mur des cons » (sic). Y sont apposées les photos d’un certain nombre de personnalités dont on présume qu’elles ont mené la vie dure aux magistrats ou à l’institution. On y retrouve pêle-mêle Nicolas Sarkozy et une bonne partie de ses ministres : Brice Hortefeux (la photo est sobrement légendée « L’homme de Vichy ») Eric Woerth, Nadine Morano, François Baroin, Luc Chatel, etc. Parfois, un autocollant du Front national s’ajoute à la photo. Les journalistes aussi en prennent pour leur grade : Eric Zemmour, Etienne Mougeotte, Yves Thréard ou encore Béatrice Schoenberg. Trainent aussi les portraits de quelques inclassables à l’instar de Guy Sorman, Alain Bauer, Alexandre Adler, Jacques Attali ou encore Alain Minc. Enfin, plus surprenant, la cloison affiche aussi le portrait de parents de victimes. Ainsi peut-on voir Jean-Pierre Escarfail, père de Pascale, une jeune fille violée et tuée par Guy Georges ou le général Philippe Schmitt père de la jeune Anne-Lorraine, sauvagement assassinée dans le RER, un dimanche matin, parce qu’elle refusait de se donner à son agresseur. Disons-le franchement, il est ignoble de les épingler.
Depuis que nos confrères d’Atlantico ont révélé le scoop, bien des voix se sont élevées pour hurler au scandale. Le Front national a évoqué la question d’une dissolution du Syndicat de la magistrature dénonçant une liste qui rappelle « des heures sombres » et qui constitue « une atteinte au principe d’indépendance de la justice ». Le chef de file des députés UMP Christian Jacob s’est fendu d’un courrier au président de la République pour pointer « un manquement grave au principe d’impartialité de la justice » tandis que Bruno Beschizza, secrétaire national de l’UMP, s’est insurgé contre une pratique qui « peut faire craindre la mise en place d’une justice politique ». Pour sa défense, la présidente du SM, Françoise Martres, a qualifié ce mur de « défouloir » et d’action de « potache » indiquant que « ce mur a été fait à une ancienne époque, sous l’ère Sarkozy, où les magistrats étaient attaqués de toutes parts ».
Gardons-nous de crier haro trop vite. Longtemps sacralisée, la justice n’a pas les lettres de noblesse que l’imagerie d’Epinal lui prête si souvent. Car elle est rendue par des humains, trop humains. Ce n’est pas parce qu’ils sont appelés à rendre la justice de manière impartiale et indépendante que les magistrats sont dispensés de penser, que ce soit avec raison ou passion. C’est d’ailleurs toute la symbolique de la robe que revêtent les magistrats lorsqu’il leur revient de juger. Avec elle, ils se départissent des milliers de sentiments qui les animent et se concentrent sur leur unique devoir : dire le droit. Comme l’ouvrier qui se consacre dans une parfaite dévotion à sa tâche mais n’en a pas moins des revendications, on peut prêter bonne foi au juge qui dit le droit et lui reconnaître, en dehors de son office, d’apprécier ou non la politique et ses représentants.
Soyons honnêtes, tous les métiers, toutes les corporations ont leur tête de turc. On ne compte plus les innombrables courriels qui circulent sur l’inanité des fonctionnaires, la paresse des ouvriers, la cruauté du patronat ou le caractère escroc des professions libérales. Les magistrats n’échappent pas à cette règle qui leur est d’ailleurs beaucoup plus restrictive. Le devoir de réserve auquel ils sont assujettis leur interdit en effet toute délibération politique, toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République et toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions. Ont-ils outrepassé ce devoir ? Manifestement non. Ces invectives ont été affichées dans un local syndical, un lieu privé réservé où les adhérents peuvent librement s’exprimer, avec intelligence ou bêtise, cela leur appartient.
Cela étant dit, cette polémique de surface en cache peut-être une autre. La question, notre confrère Philippe Bilger, lui-même magistrat honoraire, l’avait soulevée il y a sept ans sur son blog : la justice est-elle de gauche ? Mis à part Jack Lang, Manuel Valls et quelques autres, la liste ne noire ne comporte que des personnalités classés à droite. Est-ce à dire que la connerie est réservée à la droite ? Ou alors que le recrutement des magistrats est si bien verrouillé qu’à compétences égales, on préfèrera toujours un postulant progressiste à un candidat réac ?
S’il est une question qui mérite d’être posée, c’est peut-être celle-là. Et alors n’hésitons pas à demander un nouveau choc de moralisation au pouvoir en place. Pour le reste, et comme le résume très bien Christophe Régnard, le président de l’Union syndicale des magistrats (USM), « on est toujours le con de quelqu’un ».
*Photo : Atlantico.fr/BFM.
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