Vous êtes en prison. De deux choses l’une : ou vous êtes coupable, ou vous êtes innocent. Si vous êtes coupable, avouez que c’est de bonne guerre. Pensez à ces centaines de personnes qui ont passé chacune six heures de plus que prévu dans un train. Multipliez, reconnaissez que ça vaut bien quelques mois de taule pour vous tout seul. Déduisez les heures de Jérôme Leroy, il a su en faire bon usage. Allez, à quelques heures près, pour le temps perdu disons qu’on est quitte. Mais le coût pour la SNCF, les dégâts à réparer, les voyageurs à dédommager, qui va payer ? Pas vous, on est d’accord. Non, c’est plutôt moi (le fasciste en chef ou monsieur tout le monde, le lecteur tranchera ) un peu en billets de train, un peu en impôts. Ça s’appelle la solidarité. Alors vous comprendrez qu’on s’attache à décourager les vocations. Et puis, si vous avez choisi la voie de la révolution, c’est le métier qui rentre, que voulez-vous. La révolution, c’est un peu comme la religion, dans la sphère privée, ça n’emmerde personne, sur la place publique, c’est une autre histoire.
Vous vous attaquez à la société, ce n’est pas une mince affaire. Moi qui n’ai pas votre témérité, je ne m’attaque qu’au bois. Car, comme nous l’enseigne Bruce Lee dans Opération Dragon, « le bois ne rend pas les coups ». La société est plus susceptible. Quand on lui chatouille les caténaires, elle éternue. Et vous voilà en prison, tout soufflé. Si cette épreuve vous met un peu de plomb dans la tête, au figuré, ça fait beaucoup moins mal. Dans la société sans police pour vous arrêter que vous appelez de vos vœux, vous auriez bien pu vous faire lyncher par un comité d’usagers en colère. Avouez que vous auriez pu tomber plus mal que dans la patrie de Voltaire, Rousseau et Sarkozy.
Si vous êtes innocent, là, c’est ballot, je dois le reconnaître.
Si vous vous êtes contenté de poêter avec vos potes et qu’on tente de vous faire taire, c’est salaud. C’est rigolo mais c’est salaud. Mais à toute chose malheur est bon. Si vous étiez de ces ultragauchistes jamais contents, l’âme un peu noire, incapable d’être totalement heureux parce que la faim dans le monde et la guerre en Irak, vous verrez, vous allez sortir avec l’air de l’imbécile heureux qui plonge dans la béatitude parce que le ciel est bleu et qu’il y a du papier dans les chiottes. Le bonheur par effet de contraste, vous allez voir c’est radical.
Et puis pensez à la notoriété acquise derrière les barreaux. Martyr de l’Etat policier sarkozyste, votre gloire est faite. De Plenel à Denisot, la Société du spectacle vous attend. Qui sait si vous ne finirez pas rédacteur en chef-adjoint à Libé, consultant chez RSCG ou aux Guignols de l’Info.
Mais cela n’est pas le seul bénéfice que vous allez pouvoir tirer de cette aventure. Avez-vous vu dans les manifestations en votre soutien ces attroupements d’étudiantes en mal de Ché, un peu naïves, un peu crédules et à point pour le Grand soir ? Pensez à ce vivier de jeunes filles dans un âge où la cervelle est déjà molle mais la fesse encore ferme, ça va vous changer de la rudesse de vos codétenus justement emprisonnés. À la libération, vous allez pouvoir enfourcher le train qui siffle plus d’une fois et partir à l’assaut de toutes ces vallées et de toutes ces collines.
Alors, on dit merci qui ? Merci Alain Bauer, merci Alliot-Marie.
Julien, courage, vous tenez le bon bout.
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