Un bel arc-en-ciel illumine ce matin le site du Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon. L’ambiance est à la fête, comme le prouvent par ailleurs les scènes d’effusion auxquelles a donné lieu le vote de la loi, dans l’hémicycle comme à ses abords. Que vous soyez député, lobbyiste LGBT ou casseur anarchiste, embrassez qui vous voudrez, pourvu qu’il soit de gauche, ou au moins, du camp du progrès, façon Jouanno voire Karoutchi.
On imagine que les militants mélenchonistes ont fait la fête jusque fort tard hier soir, à moins qu’il n’aient préféré utiliser leur nuit à ratonner de la jupe plissée aux alentours du Palais-Bourbon ou à rédiger des tweets comminatoires suggérant qu’on expulsât Frigide, Basile et leurs enfants de leur appartement (qui n’est pas un logement social) de la Régie Immobilière de la Ville de Paris, comme l’a fait Ian Brossat, dirigeant national du PCF, et président du groupe Front de Gauche au Conseil de Paris.
Dommage donc qu’ils aient fait la grasse mat’, nos fêtards. L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt, ou au moins qui veillent tard. Et cet avenir n’est pas rose pour les rouges ou soi-disant tels, et encore moins arc-en-ciel. En effet, sur le coup de six heures, BFM Business, la filiale mi-radio mi-télé de BFM consacrée aux questions financières, nous livrait un scoop. BFM Business est une chaîne fort estimable, la seule à ne pas prétendre à l’objectivité et à dire d’où elle parle et donc à ne pas cacher son parti pris, en l’occurrence pour les milieux d’affaires.
Quand j’étais jeune militant communiste, mes mentors m’avaient recommandé la lecture régulière (en plus de L’Huma, of course) des Échos, parce que la pensée du capital y était exposée avec beaucoup plus de clarté, donc de talent que dans Le Figaro ou Le Monde. Une saine habitude que j’ai gardée quarante ans plus tard, et que j’ai même étendue à BFM Business. Soit dit en passant, le 6-9 animé par Stéphane Soumier est un régal. Même si on pense juste le contraire de ce qu’il dit, on ne peut qu’être ébloui par son dynamisme et son professionnalisme (Je n’ose dire « à l’américaine », de peur de me faire traiter de mauvais Français par un tweeteur mélenchoniste).
Bref, ce matin, Stéphane Soumier était encore plus souriant et déchaîné qu’à son habitude : non seulement il avait un scoop, mais en plus celui-ci était réjouissant. D’après ses infos, le gouvernement avait renoncé, malgré le vote favorable du Sénat, à soutenir la loi dite d’«amnistie sociale» devant les députés. Traduction simultanée, la loi est enterrée et commentaire instantané du journaliste : c’est un signal fort envoyé par le gouvernement aux chefs d’entreprise. Bien vu, bien dit.
Comme on est ici dans un site qui n’est pas uniquement à destination des milieux d’affaires, je me permettrais d’ajouter que c’est également un signal fort envoyé à l’aile gauche de la majorité, mélenchonistes, communistes, cégétistes, et autres filochistes, guedjistes, et lienemannistes, sans oublier les mondediplomatistes.
À l’instar de Blaise Pascal, ou presque, je ne crois qu’aux coïncidences qu’on égorge. Et on ne me fera pas avaler, qu’une fois le mariage en poche (ce qui n’aurait pas été possible sans les voix communistes au Sénat), la majorité de la gauche n’ait pas attendu 12 heures avant d’envoyer vertement sa minorité aux pelotes, relève d’un banal hasard de calendrier parlementaire.
On peut penser ce qu’on veut de cette amnistie sociale. On peut être violemment contre, comme le Medef. On peut y être raisonnablement hostile comme notre lovely chéfesse, ou fanatiquement favorable, comme votre serviteur, qui pense que les ouvriers en colère sont blanchis d’office pour cause de légitime défense, et qu’ils n’ont pas à côtoyer en prison pédophiles et maquereaux pour avoir défendu, avec leurs armes à eux, leurs emplois et leur pays. Mais bon, je n’ordonne à personne de partager mon avis, ce qui peut laisser accroire que je ne suis pas un vrai militant de gauche. Bref, on peut penser ce qu’on veut de l’opportunité de cette fichue amnistie, mais on n’a pas le droit d’être dupe : cette loi, ou disons ce fœtus de loi détonnait tellement dans le décor général qu’il ne pouvait s’agir que d’une sucette, ou disons une promesse de sucette destinée à calmer la gauche radicale et à la récompenser d’avoir été si bon élève durant le débat sur le seul engagement du président qui un jour prendra, peut-être, corps : le mariage gay.
Dans ce dossier ultrasensible, non seulement la gauche de la gauche a fait plus et mieux que la gauche officielle, mais elle s’est souvent vautrée dans une abjection qu’on croyait pourtant morte et enterrée, au moins chez les communistes : diffamation obscène, délation ad hominem (et feminem), appel au lynchage, et autres gracieusetés qui nous ont renvoyé aux temps oubliés des vipères lubriques et des hyènes dactylographes. Et tout ça pour quoi ? Pour finalement se voir refuser ses deniers de Judas, parce qu’il est bien plus urgent d’envoyer un message fort aux milieux d’affaires.
André Sénik, fin exégète lanzmanno-dutronien, proposait dans ces colonnes que la France remplaçât la désuète Marseillaise par « On nous cache tout, on nous dit rien » , pour acter dignement l’Ère de la Transparence. Dans cet élan novateur, le PS, lui, pourrait adopter comme hymne du parti une autre chanson du duo d’enfer des sixties : « Quand c’est usé on le jette »[1. On gardera « Savez-vous planquer vos sous ? » pour fêter l’élection à l’Elysée de Jérôme Cahuzac]. Je n’ai pas retrouvé le scopitone de Dutronc, mais la reprise d’Archimède est charmante, comme tout ce que font ces garnements.
archimede quand cest use je le jette reprise… par agentshirley
Oui, quand la gauche de la gauche est usée, on la jette. Et deux fois plutôt qu’une, puisqu’elle s’était déjà fait éconduire quelques jours plus tôt avec le vote bloqué au Sénat sur la flexisécurité, ce qui aurait dû lui mettre la puce à l’oreille.
Hier aprèm, à l’Assemblée, c’était l’heure des baisers. Ce matin, chers camarades, c’est nous qu’on est baisés.
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