Partout en Europe se manifestent, même pour des socialistes de gauche comme Marie-Noëlle Lienemann et quelques autres, les signes d’une régression sociale de type dickensien. Un « surmoi libéral », comme dirait toujours Marie-Noëlle, empêche les politiques de penser autrement, même si dans les faits, on voit bien que cela va de plus en plus mal. On pourrait multiplier les exemples concrets, un peu partout sur le continent : enfants anglais au travail après l’école, double journée pour les working poors français ou espagnols, émigration massive de la jeunesse grecque qui fuit les faubourgs d’Athènes et de Salonique où la famine commence à rôder au bout de sept ans de récession.
On va dire qu’on exagère, mais le premier ministre hollandais (pas hollandien, hein), Mark Rutte, libéral bon teint, vient d’expliquer qu’il n’avait pas l’intention de continuer à saigner à blanc son modèle social. Rutte, donc, décrète un moratoire sur l’austérité et précise que les 3% de déficit n’étaient pas l’alpha et l’omega du « buon governo », tel qu’on peut l’admirer sur la fresque de Lorenzetti que l’on trouve à Sienne, Italie.
L’Italie, justement, parlons-en. Parmi tous les méfaits sociaux engendrés par les politiques austéritaires, on a découvert avec stupeur ce week-end que des gens, élus du peuple, eux-mêmes grands électeurs, n’ont pas hésité à envoyer au turbin un homme de 87 ans qui pourtant leur avait demandé de le laisser enfin tranquille. Mais, sans pitié, ils ont demandé à Giorgio Napolitano, 88 ans en juin, de rempiler.
C’est ça aussi le travail des vieux. On se dit que l’on va pouvoir se retirer tranquillement, lire Salluste, Marx (Napolitano est un ancien communiste) et Gramsci au bord de la mer, et voilà que l’on vous demande de rempiler pour sept ans. Napolitano devrait faire un syndicat, avec tous ces types à cheveux blancs, que l’on voit de plus en plus souvent, sur le Vieux Continent, servir dans les restaurants, conduire des bus, poinçonner des tickets à l’entrée des musées ou rapporter jusqu’à votre voiture les meubles en kit que vous avez commandés dans une enseigne suédoise.
Enfin, nous diront les libéraux, puisque l’espérance de vie augmente, pourquoi ne pas augmenter la durée du travail ? C’est tellement logique ! Napolitano peut bien faire un petit effort, il n’aura que 95 ans à la fin de son second mandat.
Mais une étude un peu gênante vient d’être publiée par l’Action conjointe européenne sur les espérances de vie. En fait, en France comme dans le reste de l’Europe, la longévité continue d’augmenter mais l’espérance de vie en bonne santé stagne depuis 2005. Elle augmente de 0,2 an pour les hommes et baisse d’autant pour les femmes. L’espérance de vie en bonne santé est, à 65 ans, de 8,8 ans pour les hommes et de 8,6 ans pour les femmes. « Cela signifie que les années de vie supplémentaires sont vécues avec des limitations d’activité », conclut Jean-Marie Robine, directeur de recherche à l’Inserm et coordinateur de l’Action européenne conjointe sur les années de vie en bonne santé.
On souhaite bien du courage à Giorgio Napolitano et, pour le consoler de ces prolongations, on lui dira qu’il vaut mieux être vieux au Quirinal que vieux à l’hôpital.
*Photo : The PIX-JOCKEY (photo manipulation).
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