La foi aveugle dans le progrès peut prendre le travers de toutes les autres fois d’autrefois, et transformer l’espérance en certitude. Notre confiance dans le jusqu’au-boutisme de certains médecins ou épidémiologistes, observée lors de cette crise sanitaire, devrait nous interroger.
Le biologiste britannique Richard Dawkins dit souvent qu’il n’arrive pas à comprendre comment certains peuvent concevoir la science comme une discipline aride et désenchantée quand son premier rôle est justement de réenchanter le monde en nous délivrant les clés de sa compréhension.
Comment en effet ne pas s’émerveiller devant la beauté complexe d’un flocon de neige ou de la voie lactée ? Comment ne pas perdre l’équilibre devant l’étourdissante dimension des planètes ? Ne pas frémir devant les aventures du monde microscopique ? Ne pas avoir de gratitude pour ces chercheurs et médecins dont les découvertes ont permis de sauver tant de vies ? Le mouvement des Lumières vit en la science cet outil précieux qui sortirait l’homme des ténèbres et force est de reconnaître que leur pari fut gagné. En quelques siècles, nos connaissances décuplèrent et devinrent accessibles au plus grand nombre.
Le progrès est devenu une foi
La pauvreté diminua, l’hygiène s’améliora, notre espérance de vie augmenta. Il suffit de lire Le Triomphe des Lumières du philosophe canadien Stephen Pinker pour s’en convaincre : les statistiques montrent clairement que l’humanité fit un bon en avant dès que la science et la raison commencèrent à servir de boussoles à nos sociétés. La science nous permit et nous permet encore d’appréhender le réel avec exigence et curiosité. C’est une ode sans fin à la vérité. Elle nous sauva maintes fois de nos superstitions meurtrières et nous offrit l’opportunité d’exaucer certains de nos rêves les plus fous. Combien d’enfants rêvent encore de devenir astronaute, de piloter un avion ou de construire un gratte-ciel ?
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L’homme ayant malheureusement la sale manie de fanatiser ses meilleures idées, tout émerveillement peut tourner à la dévotion. La foi dans le progrès prit vite le travers de toutes les autres fois en transformant l’espérance en certitude. Le progrès devint un mot galvaudé et estampillé sur toute forme de nouveauté quelle qu’elle fût. Nos philosophes des Lumières vivaient à une époque où il eut été impensable qu’un jour l’Église ne soit plus l’institution la plus influente. Ainsi, ils sous-estimèrent ce défaut incorrigible de l’homme que nous connaissons mieux dorénavant : cet art de faire une religion de tout ce qui nous rassure. Pour peu que la science arrive un jour à éclairer le monde, il y en aurait toujours quelques uns pour organiser leur vie autour d’elle au point d’en faire une doctrine sectaire.
Science sans conscience…
La science est pourtant faite de doutes et de contradictions. Le débat scientifique ne se nourrit pas de consensus. La science est faite de curiosité et d’interrogations. Ceux qui cherchent dans la science un réconfort ou un confort intellectuel se trompent.
Jamais les philosophes des Lumières n’auraient proposé d’étendre la méthode scientifique aux domaines de notre vie qui relèvent d’autres disciplines : la morale, le social, la politique, les arts… Mais il est impossible de prévoir les conséquences des époques troubles. Un homme apeuré se précipite inévitablement dans les bras de quiconque lui inspirera confiance : un roi, un pape, un général et, il faut croire, un épidémiologiste aussi.
Plus d’une fois la science s’est rangée du côté obscur de nos passions et nous savons tous ce qui arrive à une science sans conscience. La science n’a pas réponse à tout pour la simple raison qu’elle est objective et que nos vies sont faites de choix subjectifs. Faire appel à la science sur des questions éthiques n’est pas une dérive de la raison : c’est une démarche qui n’a rien de rationnel. Tout comme n’a rien de rationnel l’hygiénisme intégriste de nos sociétés terrifiées par le risque. Il nous faut urgemment interroger cette nouvelle tendance à remettre en question les fondements de nos civilisations dès qu’une épidémie nous renvoie à notre propre mortalité.
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Au siècle de la technologie régnante, nous serons toujours plus assaillis par de nouvelles utopies. Or, toute utopie contient en elle le germe d’une tentation totalitaire. Qu’on ne s’y trompe pas, le transhumanisme, mouvement prônant le dépassement des limites naturelles du vivant grâce à l’intelligence artificielle et les biotechnologies, est une utopie potentiellement totalitaire. L’hygiénisme est une utopie potentiellement totalitaire. Dans le monde des idées, la notion de pureté est toujours un signal d’alarme.
Exclure une partie de la population des lieux de la vie quotidienne sur simple suspicion d’une possible contamination assoit le triomphe actuel de ce scientisme ravageur qui humilie la pensée scientifique en la caricaturant à l’extrême. De la même manière et n’en déplaise à certains, considérer un vaccin comme une solution magique, c’est insulter la vaccination, ses exigences et ses limites. Considérer une personne en bonne santé comme potentiellement malade, c’est peut-être rendre hommage malgré soi au génie de Molière et de Jules Romains, mais c’est insulter la médecine.
Le scientisme est une escroquerie car il fait passer la science pour ce qu’elle ne sera jamais : un dogme. Un dogme binaire et simpliste, à l’abri de toute critique. La science ne mérite certainement pas ce détournement grotesque de ses facultés. Nous lui devons mieux que ça.
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