Au cours de l’été dernier, quinze de nos écrivains ont passé trois jours et trois nuits à l’abbaye de Lagrasse, entre Carcassonne et Narbonne. En adoptant dans un recueil chacun le registre que leurs lecteurs leur connaissent bien, ils témoignent de ces journées singulières faites de prières et de travail auprès des quarante moines vivant sur les lieux…
Trois jours et trois nuits dans une abbaye au rythme des offices, au son du chant grégorien et au milieu de quarante-deux chanoines aux personnalités colorées. C’est le pari qu’ont fait quelques-uns de nos écrivains, recrutés pour une immersion spirituelle dans l’abbaye de Lagrasse, au sein d’une communauté religieuse de chanoines de saint Augustin. À tour de rôle, ils ont partagé la vie des frères, et vient de paraître le très beau livre qui rassemble leurs impressions. Quatorze écrivains se sont prêtés au jeu : entre autres, Sylvain Tesson, Frédéric Beigbeder, Pascal Bruckner, Jean-Paul Enthoven, pour en citer quelques-uns des plus connus. Pas vraiment connus pour leur catholicisme fervent – euphémisme. Pourtant, ils ont rendu compte avec finesse de la beauté tranquille du mode de vie monastique, de ses rituels, de son dépouillement volontaire. Le décor était splendide : un majestueux édifice roman de la campagne de l’Aude, occupé depuis l’époque carolingienne. Rendez-vous avec l’éternité. Un petit B.A.-BA de la retraite spirituelle, somme toute.
Beigbeder livre un récit très drôle
La constance à dire la même chose en toute situation est probablement une des plus grandes forces de l’écrivain, et on voit avec amusement Bruckner faire du Bruckner, Beigbeder du Beigbeder, etc. Ce dernier livre un récit très drôle, à la légèreté nihiliste non dénuée de profondeur. Ailleurs, l’académicien Xavier Darcos s’offre avant tout l’occasion de doctes réflexions sur la transmission de la latinité païenne via le christianisme ; Franz-Olivier Giesbert polémique contre les bien-pensants. On se réjouit du texte de Camille Pascal, historien de formation, qui détonne dans le recueil puisqu’il est un excellent pastiche d’une hagiographie médiévale racontant la fondation de l’abbaye. Enfin, quand on en vient au récit de la descente en rappel du clocher de Lagrasse par Sylvain Tesson accompagné de trois chanoines enthousiastes, on sourit franchement de cette géniale aptitude à assumer d’être sa propre caricature.
A lire aussi: Marseille: où peut-on encore manger la vraie bouillabaisse?
Au-delà de cela cependant, accepter de participer à une telle entreprise, c’était accepter de se livrer, au moins un peu, sur sa foi – qui touche à l’intime de nos êtres. De ce point de vue, comme les voûtes d’une église, l’expérience de la retraite spirituelle est une caisse de résonance : on laisse les bruits du monde dehors pour écouter la musique intérieure. De là sont nées quelques pages bouleversantes, entre autres chez Simon Liberati – qui intitule son texte « Eli, Eli, lema sabachtani » – « Mon Père, mon Père, pourquoi m’as-tu abandonné », et Boualem Sansal parlant tristement de son frère devenu témoin de Jéhovah.
Le christianisme passé de mode?
Au terme du livre, une constatation. L’air du temps n’est pas particulièrement favorable au christianisme – nouvel euphémisme. Surtout, la crainte qu’il soit en train de mourir n’a peut-être jamais été aussi forte. Or, au sein de ce qui pourrait, à première vue, apparaître comme une forme de publicité pour le mode de vie monastique destinée au grand public, on aurait pu s’attendre à ce que cette crainte soit plus présente. En réalité, cette crainte semble inversement proportionnelle à la proximité avec la foi chrétienne. Ce sont Bruckner, Enthoven, Sansal qui s’inquiètent, parce qu’ils ne croient pas. Au contraire du chrétien, qui a appris à « se confier dans le Seigneur ». Reste à savoir si on choisit d’y croire aussi.
Trois jours et trois nuits, préface de Nicolas Diat, Fayard, 2021.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !