L’Obs a récemment proposé une Nouvelle histoire de France afin de « dépoussiérer le roman national ». Le résultat n’apporte rien à notre compréhension de l’histoire, mais revêt cette dernière des oripeaux wokistes à la mode.
Sous prétexte de « dépoussiérer le roman national », L’Obs (n° 2983-2984) propose Une nouvelle histoire de France. L’histoire de France sent le renfermé, explique en substance François Reynaert, coordonnateur de ce travail ; celle du « roman national » est à jeter à la benne. Elle permit pourtant à quelques générations d’élèves de retenir la chronologie et les grands noms et événements de l’histoire de France avant de se livrer à des recherches plus précises, universitaires par exemple, mettant en perspective et discutant les différentes approches historiographiques. Le journaliste est heureux que ce récit-là ne soit plus guère enseigné. L’Éducation nationale n’ayant pas attendu François Reynaert pour appliquer ses préceptes, des étudiants confondent aujourd’hui Napoléon Ier et Napoléon III, croient que 1515 est une marque de bière concurrente de la 1664, se demandent où s’est déroulée la bataille de Marignan, ignorent à quel événement se réfère notre 14 juillet national. Pourtant, le journaliste désespère de voir que « les suppléments en papier glacé de Valeurs Actuelles ou du Fig Mag » fassent encore référence à cette histoire « identitaire » portée au pinacle par « le néo-maurassien Éric Zemmour ». Sa Nouvelle histoire de France se veut, elle, « ouverte, inclusive et inventive ».
Patrick Boucheron avait ouvert la voie avec L’Histoire mondiale de la France de 2017, ouvrage collectif censé « mobiliser une conception pluraliste de l’histoire contre l’étrécissement identitaire » afin de « neutraliser la question des origines ». Nous avions rapidement compris que cette histoire serait plus mondiale (donc multiculturaliste, sansfrontiériste, diverse, métissée, etc.) que française (car étriquée, réactionnaire, identitaire, etc.). Nous apprîmes à cette occasion qu’en 34 000 avant J.-C. la grotte Chauvet avait accueilli un Homo sapiens dont le chemin allait consacrer « la profondeur indicible de ses origines et le métissage irréductible de ses identités ». Nous découvrîmes également que Descartes, avant d’être « une sorte de génie français », avait été un « philosophe itinérant » (les auteurs n’avaient quand même pas osé le mot « migrant » qui a dû les démanger – nous verrons que Reynaert n’a pas de ces pudeurs-là), pour avoir traversé le Danemark et l’Italie avant de s’installer à Amsterdam.
Quand l’histoire devient grotesque
Sur les 30 événements retenus dans L’Obs, j’en soulignerai deux qui montreront assez la manière de faire des dépoussiéreurs de l’histoire de France.
Il fallait frapper plus fort que Boucheron et sa grotte Chauvet, le titre du premier article de cette Nouvelle histoire de France y va par conséquent franco : « – 45 000, nos ancêtres les migrants ». Aucun mot n’est choisi au hasard, ça marteau-pilonne : « Non seulement les Européens descendent de migrants, mais nous sommes tous des métis, car Sapiens n’a cessé de bouger en tous sens… » On aura compris qu’il ne s’agit nullement ici de faire œuvre historique (tout ce qui relève strictement de l’histoire dans ces articles n’est souvent qu’une redite de faits connus) mais de revêtir l’histoire des oripeaux immigrationnistes, créolisationnistes, racialistes ou indigénistes à la mode. Ainsi sommes-nous sommés de ne pas oublier que les « premiers Européens » d’il y a environ dix mille ans avaient « les yeux bleus et la peau noire ! », et que notre pays faisant appel à une main-d’œuvre belge, suisse, savoyarde ou piémontaise dès le XIXe siècle, « notre population est plus multiculturelle que celle de nos voisins. » CQFD.
L’article consacré au philosophe arabe, Averroès, se contente de coller à l’historiographie traditionnelle sur la prétendument paradisiaque Al-Andalus (les territoires espagnols et du sud de la France sous domination arabo-musulmane de 791 à 1492) et la supposée redécouverte de textes philosophiques grecs par la traduction de manuscrits arabes, en particulier par Averroès, présenté ici comme l’unique rouage de transmission des écrits d’Aristote en Europe. Rappelons d’abord qu’Al Andalus a été une conquête militaire suivie d’une soumission à l’islam de toute la population (soit conversion, soit dhimmitude) que seule une historiographie anti-chrétienne (entretenue par des Occidentaux comme par des associations internationales comme la Ligue Arabe) a transformée en une convivensia merveilleuse, tolérante et pacifique. Précisons ensuite que le beau mythe d’un Occident chrétien devant au monde islamique la sauvegarde et la transmission d’une grande partie des textes philosophiques grecs a été depuis trente ans largement réévalué. S’il est avéré que la médecine arabe a longtemps été supérieure à celle de l’Europe, il est maintenant prouvé que la transmission des textes grecs a été réalisée pour la plus grande part par d’autres voies que celle de l’Espagne musulmane (1). De plus, François Reynaert, tout à son dithyrambe sur Averroès, oublie de rappeler que ce même très tolérant philosophe fut un juge éminent et redoutable de la charia à Cordoue, n’hésitant ni à faire décapiter les récalcitrants, ni à débattre sur la meilleure façon de lapider les femmes adultères. Ajoutons qu’à la question de savoir pour quelles raisons le monde arabe islamisé déclina, pour ce qui relève des sciences et des savoirs classiques, à partir des XIVe et XVe siècles, la réponse est en partie apportée dans le rapport des Nations Unies établi sous la direction du sociologue égyptien Nader Fergany. Là où le Coran passe, la traduction des écrits savants trépasse : au cours des douze derniers siècles le nombre de livres traduits dans les 22 pays que compte la Ligue Arabe correspond à celui que la seule Espagne traduit de nos jours en une année (2). François Reynaert retient, lui, que le mot algèbre vient de l’arabe al-jabr,et cela lui semble être une preuve indépassable de l’héritage inestimable que nous devrions à la civilisation arabe.
Repentance et multiculturalisme à tous les étages
Dans cette opération de toilettage historique, 1519 se substitue à 1515 : François Ier aurait pu être l’empereur du Saint Empire romain germanique et « créer une sorte de “Françallemagne” qui eût changé le cours de l’histoire ». 1337 et le début de la guerre de Cent Ans sont remplacés par 1346 et la naissance du premier Code forestier, « prémices du développement durable ». Oubliez Voltaire et Rousseau, remplacés au pied levé par Madame du Châtelet, mathématicienne dont la place dans nos livres d’histoire est légitime mais dont la présence ici ressortit plus à l’acte militant. N’allez surtout pas penser que cette Nouvelle histoire de France relève d’une idéologie quelconque. Il ne s’agit que d’enrichir notre histoire en la modernisant, selon Reynaert. D’ailleurs, rappelle-t-il, les récents travaux historiques ont permis d’éclairer d’un jour nouveau notre perception de l’esclavage, « crime longtemps minimisé », et d’aboutir à… la loi Taubira – laquelle loi, omet de dire Reynaert, ne « criminalise » que la traite transatlantique et passe sous silence les traites intra-africaines et arabo-musulmanes, pourtant plus longues et plus meurtrières. Enfin, parmi les dates les plus fameuses de la période révolutionnaire, une a particulièrement retenu l’attention de François Reynaert : « le 6 octobre 1791, le code est adopté […] un pas historique vient d’être franchi. » Ce code consacre entre autres « l’abolition du crime de sodomie » et reconnaît qu’il ne peut pas y avoir de crime (sexuel) s’il n’y a pas de victime. « On est sur le chemin de notre morale sexuelle, fondée sur le consentement », souligne hardiment Reynaert, heureux de cocher la case « consentement » en attendant de trouver les événements historiques qui lui permettront de cocher celles de « masculinité toxique » ou « d’hétérocentrisme ».
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Nos enfants sont de plus en plus nuls en français et en mathématiques. Leurs connaissances littéraires sont rabougries. Celles des arts frôlent le zéro. La même pente déclinante se dessine pour l’Histoire de leur pays. Les conceptions idéologiques de Patrick Boucheron, de François Reynaert (au cursus impeccable : journaliste à France Inter, puis à Libération et à L’Obs), de Pascal Blanchard (spécialiste du décolonialisme à la sauce racialo-indigéniste), dominent actuellement l’historiographie française. Le cahier des charges (ou à charge, au choix) d’une histoire de France « dépoussiérée » est maintenant assez clair : repentance à tous les étages, mise en relief de dates et d’événements singuliers (relevant plus du travail universitaire que du « récit national ») lorsque ceux-ci peuvent servir le militantisme multiculturaliste, mondialiste, féministe, européiste, racialiste, etc., ou éreinter la France, anachronismes admis pour les mêmes raisons. Ces histoires de France (mondiale, nouvelle, inclusive, etc.) déconstruisent la France. Elles ne se contentent pas de la dépoussiérer, elles lui demandent de débarrasser le plancher.
(1) Livres à consulter : le plus accessible, Dario Fernandez-Morera, Chrétiens, juifs et musulmans dans Al Andalus (Éditions Jean-Cyrille Godefroy, 2018) ; le plus complet, Serafin Fanjul, Al-Andalus, l’invention d’un mythe (Éditions de L’Artilleur, 2017) ; le plus introuvable, Sylvain Gougenheim, Aristote au mont Saint-Michel (Éditions du Seuil, 2008), ouvrage qui valut à son auteur une tribune meurtrière d’un certain milieu universitaire l’accusant de « racisme culturel » (sic).
(2) Jean Birnbaum cite ce rapport, Human development and the acquisition of advanced knowledge in Arab countries, dans La religion des faibles (Éditions du Seuil, 2018), p. 249.
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