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Lundi soir, j’ai retrouvé ma carte d’identité

Un documentaire revient sur les inoubliables Rochefort, Noiret, Marielle


Lundi soir, j’ai retrouvé ma carte d’identité
Jean Rochefort dans "Un éléphant ça trompe énormément" d'Yves Robert (1976) © SIPA Numéro de reportage : 00375346_000002

Le documentaire « Rochefort, Noiret, Marielle : les copains d’abord » de Pascal Forneri diffusé lundi dernier est à revoir gratuitement sur le site France TV


Comment leur résister ? On connait toutes leurs vieilles ficelles : grimoire du Conservatoire, cabotinage des studios, exhausteur des Trente Glorieuses, moustache en folle liberté et verdeur du propos, vestes à carreaux et canassons de compétition, à l’arrière d’une Bentley ou sur un balcon plongeant, cinéma de papa et clair de lune à Maubeuge, toute la lyre de notre jeunesse enfouie défile en accéléré. Et cette manière de mettre les cons à distance, de voiler les rires gamins par une émotion venue du tréfonds d’un pays en détresse. On en pleurerait tellement c’est beau, léger et intuitif, délicatement suranné et poétiquement avancé, diaboliquement courtois et complètement barré. Le sceau d’une qualité maison qui ne se pousse pas du col, qui refuse l’exégèse et la leçon, le toc et la morale, les gros sabots et la menace idéologique, simplement l’expression d’une identité singulière, la jointure céleste entre les grands textes et l’incarnation complice, entre le divertissement populaire et le respect pour un public sous le charme depuis si longtemps déjà. Ces trois-là, nés au début des années 1930, avaient l’honneur du métier en héritage et le sens du ridicule à la boutonnière. Tout le contraire d’une société du spectacle qui s’admire pour mieux nous détester. Que nous est-il arrivé collectivement pour que cet esprit-là disparaisse et l’aigreur nous monte au nez ?

Trois virtuoses

Chez d’autres, cette fantaisie carnassière semblerait ruse ou démagogie. Suspecte assurément. Il ne fait pas bon pratiquer le second degré ou la politesse grivoise en France, le détachement souverain et l’introspection non geignarde, le renoncement jouissif et le sens de l’amitié. Aujourd’hui, l’acteur doit s’exprimer sur tout, le prix du lait et les barrières douanières, la crise migratoire et les GAFAM. A force de vouloir paraître intelligent et concerné par la marche du monde, l’acteur contemporain manque cruellement à son devoir premier, celui de jouer et de nous extraire d’une si médiocre réalité. De nous divertir sans nous avilir.

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Ces trois-là, virtuoses du contrepoint, nous arrachaient au quotidien par une forme d’irrévérence joyeuse et la force d’un trouble contenu, jamais pleurnichard. Leur compagnonnage sur un demi-siècle passé tient du miracle. Comment les remercier d’avoir nourri notre provincialisme à fleur de peau, notre goût pour les ors des brasseries, les chahuts enfantins et ce romantisme ébréché d’après-crise du pétrole ? Ils étaient nos maîtres sans brides, artistes sans pancartes, ultimes respirateurs artificiels dans une société qui commençait à nous asphyxier. On savait qu’à leurs côtés, la liberté ne serait pas ce mot abstrait au fronton des mairies, que dans un film mineur ou un chef-d’œuvre, leur seule présence nous emplirait d’un bonheur presque béat. Nous étions si bien avec eux, loin des calculs et des mesquineries, du vulgaire et du factice, protégés de la horde des inquisiteurs. Nous nous régénérons à leur vision nostalgique. Le documentaire de Pascal Forneri diffusé lundi (désormais disponible sur le site France TV) est un moment de connivence et de gratitude. Non, nous n’avons pas rêvé, ils étaient brillants et secrets, interprètes géniaux de nos débords, tantôt boulevardiers, tantôt tragiques, la banalité leur était complètement étrangère. Au-delà du portrait croisé, cette émission agit comme une enluminure des temps anciens. C’était donc ça, la classe et le charisme, la pulpe des sentiments et l’outrance comique. Rochefort, Noiret et Marielle mettaient immédiatement nos cerveaux disponibles en pilotage automatique. Nous enfilions nos charentaises. Chacun, avec ses plaies et sa touche personnelle, nous délivrait une partition originale, d’apparence facile et reflétant pourtant mille couches. Mille anfractuosités. Il y avait le moustachu éternellement écorché, le traînard jazzy et le dandy encombré. Comment faisaient-ils pour ne pas sombrer dans l’équivoque et l’affèterie ? Ces chevaliers du cinéma tournant explosaient telle une geste lointaine, du fond des âges. Ils s’inscrivent durablement dans notre tapisserie intime. On court, on accourt même, on les suivrait partout dans la gaudriole fessue ou le drame amoureux, avec Annie et Romy, en costumes d’époque ou en bordées, en imper ou en marinière, ils étaient notre meilleur reflet.


Rochefort, Noiret, Marielle : les copains d’abord, réalisé par Pascal Forneri (2020).

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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