Le philosophe a été parmi les premiers à pointer les dangers du voile pour la société française. Après l’affaire des jeunes filles voilées de Creil en 1989, il dénonçait avec d’autres, dans Le Nouvel Observateur le « Munich de l’école républicaine ». Il a fallu quinze ans pour aboutir à la loi proscrivant les signes religieux ostentatoires à l’école. Lâcheté politique et complicité idéologique ont ouvert un boulevard à l’islamisme.
Elisabeth Lévy. Dans Le Nouvel Observateur (ça ne s’appelait pas L’Obs) du 2 Novembre 1989, vous avez publié avec Élisabeth Badinter, Régis Debray, Élisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler un appel intitulé « Profs, ne capitulons pas ! » Vous rappelez-vous comment est née cette initiative ?
Alain Finkielkraut. N’ayant jamais tenu de journal, je ne suis sûr de rien. Mais je crois me souvenir que l’initiative de cet appel revient à Élisabeth Badinter. Les féministes de l’époque étaient très hostiles au voile : ce qu’elles lui reprochaient d’abord, c’était non sa pudibonderie, mais son obscénité. Les femmes en terre d’islam étaient astreintes à couvrir leurs cheveux pour ne pas éveiller la concupiscence des hommes. Il leur fallait, comme l’écrit Fethi Benslama, occulter les signes maléfiques de séduction dont leurs corps étaient porteurs. Bref, ce que le voile ou le foulard islamique, comme on disait à l’époque, avait de révoltant, c’était de réduire les femmes et les jeunes filles à l’état d’objet sexuel. Autant que le défi à la laïcité, cette réduction était jugée insupportable.
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Alors que Lionel Jospin, encouragé par David Kessler, décidait de laisser les chefs d’établissement se débrouiller avec le voile, vous parliez du « Munich de l’école républicaine ». Pourtant, il était difficile de savoir, à l’époque, que l’islamisme serait le fascisme du xxie siècle. En aviez-vous l’intuition ?
Nous n’étions pas extralucides. Nous regardions autour de nous l’ayatollah Khomeiny régner sur l’Iran depuis dix ans déjà et sa révolution contraignait toutes les femmes iraniennes à porter le tchador. Quelques mois avant notre appel, une fatwa avait été lancée contre Salman Rushdie coupable de « blasphème ». Devant ce grand retour du fondamentalisme islamique, les responsables politiques rivalisaient de couardise. Jacques Chirac, par exemple, mettait sur le même plan l’auteur des Versets sataniques et ceux qui voulaient sa mort. Il était temps de réagir ! Et de rappeler au ministre qui affirmait, la main sur le cœur,
